« Eh, tu t’es amusée ? » répéta Sal.
Cetta le regarda, un peu hébétée, puis tourna la tête vers les montagnes russes et les indiqua, sans mot dire.
Sal resta immobile un instant, puis la prit par le bras, alla à la caisse, acheta un billet et le lui donna. Sur le ticket, il était écrit : « Les plus hautes du monde ». Dans les wagons, les gens hurlaient.
« J’ai peur d’y aller toute seule ! » s’exclama Cetta.
Sal leva les yeux vers les montagnes russes. Il flanqua un coup de pied furieux dans un réverbère, fit volte face, retourna à la caisse, poussa un couple d’amoureux et acheta un autre billet. Puis il s’assit dans le wagon près de Cetta.
Tant qu’ils montèrent, Cetta fut tout sourire. Mais lorsqu’elle se retrouva au bord de la première descente vertigineuse, elle regretta d’avoir voulu essayer les montagnes russes. Elle écarquilla les yeux, sentit le souffle lui manquer, agrippa le bras de Sal et puis hurla à pleins poumons. Sal demeura immobile. Il n’émit pas un son. Il porta une main à son chapeau pour éviter qu’il ne s’envole.
Quand le tour fut finit, Sal lui lança : « Tu m’as explosé les tympans, imbécile ! »
Cetta eut l’impression qu’il était très pâle.
« On y va ! » commanda Sal, après quoi il ne lui adressa plus la parole.
Et même lorsqu’il la vit frissonner pendant le voyage du retour, il ne lui dit pas un mot, ni ne lui offrit sa veste pour la protéger. Ensuite, une fois la voiture récupérée, Sal les conduisit de l’autre côté de Manhattan, traversa l’East River, rejoignit Brooklyn et l’emmena dans une rue plantée d’arbrisseaux qui avaient du mal à pousser, dans le quartier de Bensonhurst. Les immeubles n’avaient que deux ou trois étages. Tout était différent du Lower East Side. On aurait dit un village. Sal fit descendre Cetta et, toujours en la tenant par le bras, la fit entrer dans un des immeubles. Ils montèrent au deuxième étage. Sal sortit des clefs de sa poche et ouvrit une porte.
« J’habite ici » expliqua-t-il.
Il la poussa sur un divan marron, ôta sa veste ainsi que l’étui contenant son pistolet. Il retroussa ses manches. « Enlève ta culotte ! » ordonna-t-il.
Cetta ôta sa culotte, qu’elle laissa tomber à terre. Puis elle tendit la main et toucha le sexe de Sal.
« Non ! » s’écria Sal. Il s’agenouilla devant elle, lui écarta les jambes et souleva sa jupe. Puis il plongea la tête dans la touffe noire de ses poils. Il renifla. « Des épices… » fit-il sans bouger la tête — et la vibration sourde de sa voix provoqua en Cetta un étrange frisson. « Du romarin… du poivre… » continua-t-il à dire doucement, déplaçant son nez écrasé par les coups de poings, en faisant de petits cercles.
Cetta s’aperçut qu’elle avait envie de fermer les yeux.
« Un sous-bois épais… chauffé par le soleil… mais humide… »
Quand elle était avec un client, Cetta gardait toujours les yeux ouverts. Même lorsqu’il faisait noir et que nul ne pouvait la voir. Elle ne savait pas pourquoi. Elle n’avait pas envie de fermer les yeux, c’était tout.
« Oui, c’est ça… romarin et poivre sauvage… » fit Sal, écartant les poils avec son nez.
À présent, Cetta n’arrivait plus à garder les yeux ouverts. La voix chaude et profonde de Sal résonnait entre ses jambes, comme dans une grotte, et des vibrations semblaient monter dans son ventre, qui se contractait. Et elle écoutait cette voix qui pénétrait son corps avant même de parvenir à ses oreilles.
« Des arbustes sauvages… » et, glissant son nez entre les poils noirs, Sal le pressa contre la peau « … dans une terre humide… »
Les yeux clos, Cetta ouvrit la bouche, mais sans dire un mot et en retenant son souffle.
« Et dans cette terre… »
Cetta sentit le nez remonter et quitter sa peau qui devenait humide, comme le disait la voix de Sal.
« … et dans cette terre, le miel… »
Et Cetta sentit la langue de Sal qui, lentement, se glissait en elle, comme pour chercher ce miel qu’elle découvrait, émerveillée, dans son propre ventre, en train de couler à la recherche d’une sortie.
« Du miel de châtaignier… » poursuivait Sal, continuant à parler dans son corps, en la faisant trembler. « Âpre et amer… et pourtant sucré… »
Cetta avait le souffle coupé. Sa bouche s’ouvrait et se fermait, au rythme des bouffées de chaleur qui enflammaient son ventre. Elle tenait maintenant les bras écartés. Ses mains s’ouvraient et se fermaient en même temps que sa bouche, tandis qu’elle entendait — et sentait — la voix de Sal, qui ne cessait de parler et de vibrer à l’intérieur d’elle, dans les profondeurs.
« Et dans ce miel… » la langue de Sal écarta la peau et puis monta « … un bourgeon tendre… délicat… sucré… de la pâte d’amande… »
« Non… » chuchota Cetta, dans un long souffle. Et elle ne savait pas pourquoi elle avait dit ce mot, qu’elle n’avait jamais prononcé lorsqu’elle avait été violée. « Non… » répéta-t-elle plus doucement encore, pour que Sal ne l’entende pas. « Non… » dit-elle encore, en proie à un supplice qu’elle ne connaissait pas, qui ne faisait pas mal et ne déchirait rien. Elle avait l’impression qu’une espèce de mélasse, quelque chose de visqueux et poisseux, sortait d’elle.
« Un bourgeon clair… » continuait Sal, enroulant le bout de sa langue et puis l’élargissant, comme pour montrer à Cetta ce qu’elle avait sans le savoir, lui enseignant ce qu’elle ignorait être capable d’éprouver « … un bourgeon clair dans une coquille sombre… comme une huître, comme la perle d’une huître… » Sal fit entendre un bruit sourd, satisfait, et poussa plus fort sa tête et sa langue entre les jambes de Cetta, accélérant le rythme de ses baisers. « Oui… c’est ça, c’est ça… »
Les bras de Cetta agrippèrent la grosse et puissante tête de Sal, ses doigts se glissèrent dans ses cheveux gominés et poussèrent cette tête tout au fond d’elle, presque jusqu’à ce qu’il étouffe, parce qu’elle-même étouffait.
« Voilà… maintenant, je le sens… Le sel, le sel du miel… vas-y, petite, ça vient, ça vient… »
Cetta écarquilla les yeux lorsqu’elle sentit le sel , comme l’appelait la voix profonde de Sal, jaillir d’elle, irrésistible, contracter son ventre et lui couper le souffle. Alors que jusqu’ici elle gémissait, elle comprit que c’était uniquement en criant qu’elle pourrait atténuer ce supplice de la chair :
« Sal ! » hurla-t-elle, vaincue.
Et Sal releva la tête. Il la regarda. Souriant.
Cetta vit qu’il avait des dents très blanches. Droites. Parfaites. Elles détonaient dans la laideur de son visage. Pleine de gratitude, encore secouée par le troublant vertige que la langue épaisse de Sal avait provoqué, elle se précipita sur son pantalon et se mit à le déboutonner. Sal repoussa ses mains :
« Non, je t’ai dit ! » fit sa voix profonde et brusque.
Cetta fixa ses lèvres, brillantes du plaisir qu’il venait de lui donner. Elle s’abandonna sur le divan, releva sa jupe, écarta les jambes, ferma les yeux et lança :
« Parle-moi encore, Sal ! »
« Alors, maintenant on est ensemble ? » demanda Cetta, les yeux étincelants de joie.
Devant elle, assis sur le lit, avec un vieux chapeau d’homme trop grand qui cachait une bonne partie de son visage, se tenait le petit Christmas.
« Bien sûr, petite ! fit Cetta, baissant la voix pour qu’elle ressemble à celle de Sal, qui était interprété par Christmas dans son jeu. Et à partir d’aujourd’hui, tu ne feras plus la putain ! Je te veux pour moi tout seul.
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