Luca Fulvio - Le gang des rêves

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Une Italienne de quinze ans débarque avec son fils dans le New York des années vingt…
L’histoire commence, vertigineuse, tumultueuse. Elle s’achève quelques heures plus tard sans qu’on ait pu fermer le livre, la magie Di Fulvio.
Roman de l’enfance volée,
brûle d’une ardeur rédemptrice : chacun s’y bat pour conserver son intégrité et, dans la boue, le sang, la terreur et la pitié, toujours garder l’illusion de la pureté.
Dramaturge, le Romain Luca Di Fulvio est l’auteur de dix romans.
Deux d’entre eux ont déjà été adaptés au cinéma ; ce sera le destin du
, qui se lit comme un film et dont chaque page est une nouvelle séquence.
Traduit de l’italien par Elsa Damien

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— Mais… comment ça se fait ? »

Elle le regarda, intriguée :

« Je n’ai aucune idée de l’endroit où ils habitent. Mais ne les cherchez pas dans les quartiers huppés, ajouta-t-elle. Ils ont eu des problèmes financiers. »

Christmas la fixa un instant, sans mot dire, puis il tourna les talons et regagna la voiture. Il s’appuya contre la capote, tête baissée, sans savoir que faire.

« Referme, Charles ! » lança la femme au domestique.

Christmas entendit le portail grincer, puis la serrure se fermer. Il leva les yeux. Los Angeles était immense. Il se sentit perdu. Sans espoir. Il remonta en voiture et commença à errer dans les rues, observant tous les passants sur le trottoir. Il n’avait jamais prévu de ne pas trouver Ruth. Il ne l’avait tout simplement pas prévu. Et tandis qu’il continuait à conduire sans but, tout lui sembla soudain bien différent de ce qu’il avait imaginé. Et si Ruth avait quelqu’un d’autre ?

Il coupa le moteur. Quelqu’un klaxonna derrière lui. Christmas ne l’entendit pas. Peut-être devrait-il s’adresser à un détective privé. À présent, il avait assez d’argent pour en embaucher un. « Mais je veux te trouver moi-même, se dit-il pourtant. C’est moi qui dois te trouver ! » Il regarda alentour. Repéra un diner .

« Vous avez un bottin ? » demanda-t-il en entrant.

L’homme derrière le comptoir tendit le bras vers la cabine téléphonique en bois sombre, déglinguée, à la porte branlante.

Christmas dénicha un annuaire sur une tablette, sous le téléphone. Il le feuilleta avec appréhension. Rien. Aucun Isaacson à Los Angeles. Et s’ils avaient changé de ville ? Dépité, il jeta le bottin.

« Ho là ! » s’écria l’homme derrière le bar.

Christmas se retourna mais ne le vit pas. Et si Ruth s’était mariée et avait changé de nom ? Il sortit du diner , regagna sa voiture et recommença à conduire sans but, sans se soucier des klaxons qui retentissaient derrière lui parce qu’il allait trop doucement, les yeux rivés sur les gens qui marchaient dans la rue, sursautant à chaque fois qu’il apercevait des boucles noires. « Où tu es ? » se répétait-il de manière obsessionnelle. « Où tu es ? » Et pour la première fois, avec une lucidité et un désespoir qui croissaient de carrefour en carrefour, il se demanda si tout était vraiment fini. S’il était vraiment arrivé trop tard.

Il ne se rendit compte de l’heure avancée qu’en tombant sur une grande horloge au coin d’une rue. Alors il réalisa que le chauffeur de Mayer devait déjà être arrivé à la villa de Sunset Boulevard.

« Mister Mayer déteste qu’on ne soit pas ponctuel ! prévint le chauffeur, nerveux, lorsqu’il le vit enfin arriver.

— Et bien dépêche toi, alors ! » fit Christmas en montant dans l’automobile. Mais il n’en avait rien à faire, de Mayer. Et tandis qu’ils filaient à toute allure vers les studios, il continuait à épier les gens sur les trottoirs.

Louis Mayer le fit attendre une demi-heure, assis sur un canapé, face à une secrétaire efficace qui répondait à des dizaines de coups de téléphone. Puis Christmas entendit le téléphone interne grésiller et une voix lança : « Faites-le entrer ! » La secrétaire bondit, se dirigea vers la porte du bureau et l’ouvrit, faisant signe à Christmas de s’installer. Christmas s’arracha à ses pensées et pénétra dans la vaste pièce.

Mayer l’attendait assis derrière son bureau, un large sourire barrant son visage roublard et amical.

« Je ne vous imaginais pas comme ça, Mister Luminita ! fit-il.

— Plutôt un petit brun, avec des sourcils fournis touchant presque les cheveux, une démarche de singe et une odeur d’ail ? » lança Christmas.

Mayer se mit à rire :

« Et un pistolet à la ceinture, ajouta-t-il.

— En ce moment, à New York, ce sont surtout les juifs qui ont des pistolets » rétorqua Christmas défiant.

Mayer le regarda, pour être sûr de bien comprendre :

« Je sais, j’ai mes renseignements, fit-il. Il paraît que vous êtes beaucoup plus ami avec certains juifs qu’avec les Italiens. »

Christmas le fixa sans répondre.

Louis Mayer eut un rire rapide, comme une quinte de toux.

« Asseyez-vous, Mister Luminita, dit-il. Je suis heureux que vous ayez accepté de faire un aussi long voyage. »

Christmas ne dit toujours rien.

Mayer hocha doucement la tête.

« Ainsi vous êtes joueur ? fit-il. Très bien, j’adore les joueurs » et son sourire disparut de son visage.

Christmas se dit que cet homme était certainement capable d’être aussi dur et impitoyable que Rothstein. On racontait d’ailleurs qu’il était aussi puissant que lui. Il respirait la force et le sens pratique. Christmas sourit. Il le trouvait sympathique.

« Vous avez déjà écrit, Mister Luminita ? lui demanda Mayer.

— Vous me demandez si je sais lire et écrire ? »

Mayer sourit :

« Non, pas vraiment. Mais on peut aussi partir de là.

— Je sais lire et écrire.

— Et vous n’avez jamais pensé à écrire professionnellement ?

— Non.

— Qui écrit les scripts de vos émissions ?

— Personne. J’improvise. »

Mayer le regarda avec admiration :

« Vous êtes un acteur né, si j’en crois les journaux et certains de mes amis qui vous écoutent tous les soirs à sept heures et demie, dit-il.

— Je ne veux pas devenir acteur. »

Mayer se mit à rire :

« Oh, surtout pas ! À Hollywood, les acteurs se multiplient aussi vite que les cafards à New York. Moi, c’est d’auteurs dont j’ai besoin. Des auteurs originaux, capables de produire quelque chose de neuf et d’électrisant. Est-ce que vous pouvez le faire ?

— Je ne sais pas.

— Vous voulez qu’on joue cartes sur table ? »

Mayer se leva et contourna son bureau. Il donna une tape sur l’épaule de Christmas.

« Moi, je regarde vers l’avenir. Or, l’avenir du cinéma, il est aussi dans le genre de personnages dont vous savez si bien parler. Vous avez déjà entendu parler de la Rome antique ? Les Romains avaient des stades où les gens s’entretuaient ou étaient dévorés par les lions. Et ces stades étaient toujours pleins, toujours complets. Ça fait partie de la nature humaine. Et selon moi, le cinéma… doit toujours être attentif à ce qui plaît au public. C’est un jouet qui coûte beaucoup trop cher pour qu’on puisse se permettre de ne pas lui plaire. Vous me suivez ?

— Autrement dit, c’est le public qui commande.

— C’est un peu réducteur, dans le sens où nous pouvons en partie orienter le goût des gens, sourit Mayer. Mais en fin de compte, vous avez raison. Le public est notre maître. Et un bon producteur doit savoir ce que les gens pensent. Or, en ce moment, l’Amérique réclame quelque chose de différent. Elle veut du sang, de la vie, des héros négatifs… parce que tout a aussi un côté sombre. L’important c’est qu’à la fin, la lumière triomphe. Vous, dans vos histoires, vous évoquez à la fois la lumière et l’obscurité. »

Mayer s’assit près de Christmas. Il posa une main sur sa jambe.

« Vous voulez essayer de prêter votre talent au cinéma ?

— Je ne sais pas si j’en serais capable. »

Mayer sourit :

« C’est exactement pour ça qu’on se rencontre, non ? »

Il sourit à nouveau.

« Combien de temps comptez-vous rester à Los Angeles, Mister Luminita ?

— On verra.

— Ah, vous êtes décidément grand joueur ! s’amusa Mayer. Vous aimez la villa ?

— Beaucoup.

— Avec ce que je suis prêt à vous donner, vous pourrez vous en acheter une à vous.

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