« Arty…
— Oui ! rit Arty.
— Arty Short…
— C’est ça ! »
Bill s’écarta un peu d’Arty et regarda alentour. Les yeux dévorés par la peur.
« Ils me cherchent, Arty…, murmura-t-il. Ils veulent me mettre sur la chaise électrique (et il jeta encore un œil autour de lui, effrayé). Je dois fuir…
— Mais non, écoute-moi, Cochrann ! Regarde-moi… regarde-moi ! dit Arty, le tenant fermement par les épaules. La police est venue me voir. Ils te cherchent pour une connerie, un vol à Détroit. Une ouvrière de chez Ford t’a dénoncé. Tu lui as volé ses économies. Tu m’entends, Cochrann ? On fout personne sur la chaise électrique pour un vol !
— Liv…
— Oui, Liv ! »
Bill avait de nouveau le regard trouble, à présent. Comme s’il recommençait à se perdre dans ses souvenirs.
« Écoute-moi, Cochrann… (Arty le secoua). Regarde-moi. Je vais tout arranger… Mais on y va, maintenant ! On rentre chez moi. Il faut que tu te laves et que tu manges, tu es horriblement maigre. Tout le monde t’attend. Tout le monde me demande ce que tu deviens. Il faut qu’on tourne un nouveau film ! »
Bill sourit. Un sourire distant. Mais un sourire quand même.
« On s’remet au cinéma, Punisher ! lui chuchota Arty à l’oreille, en le prenant par le bras. On retourne à Hollywood !
— Sodome et Gomorrhe ! » s’écria le prophète, posant une main sur Bill dans un geste de possession. Les trois autres mendiants s’approchèrent, menaçants.
« Va t’faire foutre, le vioque ! Et pousse-toi d’là ! » Arty plongea une main dans sa poche et en sortit une poignée de pièces, qu’il jeta sur le trottoir.
Le prophète et ses trois disciples se jetèrent à genoux pour les ramasser, se les disputant.
« On y va ! » lança alors Arty à Bill. Il le saisit fermement par le bras et l’entraîna vers sa voiture.
Bill se laissait faire. Tout en continuant à traîner la caisse derrière lui.
« Merde, laisse donc cette caisse ! On s’en va, dépêche-toi ! » Il poussa Bill dans l’auto et partit à toute allure.
Une semaine plus tard, Bill se souvenait de tout et avait retrouvé le contrôle de son cerveau. Il se rappelait avoir été recueilli par le prophète et les vagabonds qui l’accompagnaient. Il se rappelait avoir dormi dehors, sans couverture, allumant des feux ici et là et survivant d’aumônes. Il se rappelait qu’au début, le prophète l’avait frappé avec un bâton, avant de lui assigner la tâche de porter la caisse sur laquelle il faisait ses discours. Et enfin, il se rappelait le matin où Arty l’avait retrouvé et sauvé.
Entre-temps, Arty — qui accueillait Bill chez lui — avait fermé son compte en banque et transféré tout son argent sur un autre compte, dans une autre banque, après lui avoir procuré une nouvelle identité.
« À partir de maintenant, tu t’appelles Kevin Maddox, lui avait annoncé Arty au bout d’une semaine. Les histoires de Cochrann Fennore, ça ne te regarde plus. (Puis le réalisateur s’était adouci). Je sais, c’était ton nom, tu y étais sûrement attaché… Mais on n’a pas le choix. Je suis désolé. »
Bill l’avait regardé et, soudainement, avait éclaté de rire. De ce rire léger qu’il avait perdu en vagabondant avec les prophètes dans les collines de Beverly Hills.
Arty l’avait dévisagé, interloqué, sans savoir que penser.
« T’en fais pas, Arty, je vais bien ! avait alors lancé Bill. C’est juste que Cochrann Fennore, c’était un nom qui commençait à me faire chier. Kevin Maddox, par contre, j’aime bien. Mais toi tu m’appelles Bill, d’accord ?
— Bill ?
— Oui c’est ça, Bill.
— D’accord, fit Arty. (Puis il l’observa, essayant de le jauger). Il y a autre chose que tu m’as caché… Bill ? »
Bill le regarda en silence. Puis lui donna une claque sur l’épaule.
« Je suis prêt à recommencer, Arty !
— Pétard ! C’est exactement ce que j’avais envie d’entendre !
— Je suis prêt à rentrer en piste.
— Il y a une nouveauté, fit Arty.
— C’est quoi, ta nouveauté ? demanda Bill sur la défensive.
— Détends-toi, associé ! rit Arty. C’est quelque chose qui rendra nos films encore plus exquis.
— Quoi donc ?
— Le parlant, Bill. Le parlant !
— Le parlant ?
— Eh oui ! J’ai embauché un technicien et je me suis mis d’accord avec un studio de synchronisation, expliqua Arty enthousiaste. On les entendra hurler ! (Il rit). Et on entendra les coups de poing du Punisher !
— Le parlant…, répéta Bill doucement.
— Mais viens donc par là ! » fit alors Arty.
Il le conduisit à la fenêtre du salon, qui donnait sur la rue. Il écarta les rideaux :
« Regarde, Bill ! »
Garée le long du trottoir, une resplendissante LaSalle.
« C’est la mienne ? demanda Bill.
— Oui, c’est la tienne ! fit Arty en lui tendant les clefs de la voiture.
— Merci, dit Bill.
— Ça n’a pas été difficile… (Puis Arty baissa la voix). Par contre, il y a un problème que je n’arrive pas à résoudre… » ajouta-t-il.
Bill le regarda.
« Les clients te connaissent tous comme Cochrann Fennore. Je ne vois pas comment on pourra leur expliquer que tu as changé de nom ! Peut-être qu’il vaut mieux que, pendant un temps, tu te fasses un peu oublier… Du coup je traiterai seul avec eux, comme avant » expliqua Arty.
Bill pointa un doigt contre sa poitrine :
« N’essaie pas de me rouler, Arty ! lança-t-il d’un ton sinistre. Je te suis reconnaissant, mais n’essaie pas de me rouler !
— Tu t’es fourré dans de sales draps… » continua Arty.
Bill remarqua que son regard était devenu plus assuré.
« Il va falloir me faire confiance, affirma le réalisateur.
— D’accord, j’te fais confiance.
— Et il va peut-être falloir aussi me filer un peu de ta part…
— Alors là, j’vois pas l’rapport !
— Bill, Bill…, soupira Arty. Je vais devoir tout faire seul ! Tout le boulot va me retomber dessus !
— Combien ?
— Je ne veux pas te saigner…
— Combien ?
— Soixante-dix pour moi, trente pour toi.
— Soixante.
— Soixante-dix, Bill.
— Merde, soixante-cinq ! hurla Bill.
— T’énerve pas… Soixante-dix. Je peux pas faire moins. Crois-moi… (Et il lui posa une main sur l’épaule). T’es dans la mouise… La police qui te cherche, les faux papiers… et si ça s’trouve, y a même un autre truc que tu m’as pas raconté… Bill, Bill… moi aussi je cours des risques, s’ils me chopent, tu comprends ?
— File-moi un coup à boire ! » coupa Bill en se jetant sur le canapé.
Arty ouvrit le meuble-bar, versa un whisky de contrebande et lui tendit un verre :
« Sans rancune, associé ?
— Va t’faire foutre, Arty.
— Avec le parlant, on va se faire un paquet de fric. Des brouettées de fric !
— Va t’faire foutre, Arty.
— Quand est-ce qu’on commence ?
— J’suis tellement à cran que j’pourrais commencer tout de suite… »
Arty se mit à rire :
« Ah, je reconnais mon homme ! (Il se versa à boire et leva son verre). Au retour du Punisher ! »
Bill leva son verre :
« Va t’faire foutre, Arty !
— Aujourd’hui ce n’est pas possible. Demain non plus. Mais sous la main j’ai une petite salope qui va te faire perdre la tête ! lança Arty en se laissant tomber sur le canapé, près de Bill. C’est exactement ton type. Brune, cheveux frisés, maigre, regard innocent… Elle raconte qu’elle est majeure mais je ne le jurerais pas. Vendredi, ça irait ?
— C’est quand tu veux, j’t’ai dit. »
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