Question: Comment désamorcer la bombe à retardement biologique qui menace cette si précieuse exploratrice?
Les réponses se bousculent. Les idées les plus folles s'expriment. Chacune a un remède à présenter.
6e propose de gaver 103e de racines de saule pleureur, l'acide salicylique soignant, selon elle, toutes les affections. Mais on lui répond que la vieillesse n'est pas une maladie.
8e suggère qu'étant donné que c'est son cerveau qui renferme les informations précieuses, on sorte de son crâne celui de 103e pour le placer dans un corps sain et jeune. Celui de 14e par exemple. 14e n'est pas séduite par l'idée. Les autres non plus. Trop hasardeux, estime le groupe.
Pourquoi ne pas aspirer au plus vite toutes les phéro-mones de ses antennes? émet 14e.
Il y en a trop, soupire 5e.
103e toussote et toussote encore, ses labiales tremblent.
7e rappelle que si 103e était une reine, elle aurait encore douze années à vivre.
Si 103e était une reine…
5e soupèse l'idée. Faire de 103e une reine, ce n'est pas complètement impossible. Toutes les fourmis savent qu'il existe une substance saturée d'hormones, la gelée royale, qui possède la vertu de transformer un insecte asexué en sexué.
La communication s'accélère. Impossible d'utiliser la gelée royale produite par les abeilles. Les deux espèces ont désormais des caractéristiques génétiques trop différenciées. Cependant, abeilles et fourmis ont un ancêtre commun: la guêpe. Les guêpes existent toujours et certaines d'entre elles savent comment fabriquer de la gelée royale afin de créer artificiellement des reines-guêpes de substitution au cas où leur unique reine décéderait par accident.
Enfin un moyen de repousser la vieillesse. Les antennes des douze s'agitent de plus belle. Comment trouver de la gelée royale de guêpe?
12e assure connaître un village guêpe. Elle prétend avoir assisté une fois, par hasard, à la métamorphose d'un asexué en femelle. La reine était morte d'une maladie inconnue et les ouvrières avaient élu l'une des leurs pour la remplacer. Elles lui avaient donné une. mélasse sombre à ingurgiter et l'impétrante avait dégagé au bout de quelques instants des odeurs de femelle. Une autre ouvrière avait été alors désignée pour lui servir de mâle. Une substance similaire lui avait été donnée et elle avait effectivement émis des relents mâles.
12e n'a pas assisté à l'union des deux sexués artificiels créés en état d'urgence, mais lorsque plusieurs jours plus tard elle était repassée par là, elle avait constaté que non seulement le nid était toujours actif mais que, de plus, sa population avait augmenté.
Pourrait-elle retrouver ce lieu où vivent ces guêpes chimistes? interroge 5e.
C'est près du grand chêne septentrional.
103e est prise d'une grande excitation. Devenir sexuée… Posséder un sexe… Ce serait donc possible? Même dans ses espérances les plus folles, elle n'aurait osé espérer un tel miracle. Cela lui redonne aussitôt courage et santé.
Si vraiment c'est possible, elle veut un sexe! Après tout, il est injuste que, simplement par le hasard de leur naissance, certaines aient tout et d'autres rien. La vieille exploratrice rousse dresse ses antennes et les tourne en direction du grand chêne.
Demeure pourtant un problème de taille: le grand chêne se dresse fort loin d'ici et, pour le rejoindre, il faut traverser la grande zone aride des territoires septentrionaux, celle qu'on appelle le désert sec et blanc.
37. PREMIER COUP D'ŒIL SUR LA PYRAMIDE MYSTÉRIEUSE
Partout des arbres humides et de la verdure.
Le commissaire Maximilien Linart se dirigeait à pas prudents vers la mystérieuse pyramide de la forêt.
Il avait aperçu un serpent curieusement recouvert de piques de hérisson mais il savait que la forêt recelait toutes sortes de bizarreries. Le policier n'aimait pas la forêt. C'était pour lui un milieu hostile, infesté d'animaux rampants, volants, grouillants et visqueux.
La forêt était le lieu de tous les sortilèges et de tous les maléfices. Jadis, les voyageurs y étaient détroussés par des brigands. Les sorcières s'y terraient pour se livrer à leurs pratiques ésotériques. La plupart des mouvements révolutionnaires y organisaient leurs guérillas. Déjà, Robin des Bois s'en était servi pour mener la vie dure au shérif de Sherwood.
Quand il était plus jeune, Maximilien avait rêvé de voir la forêt disparaître. Tous ces serpents, tous ces moustiques, toutes ces mouches et ces araignées n'avaient que depuis trop longtemps nargué l'homme. Il rêvait d'un monde bétonné où il n'y aurait plus la moindre once de jungle. Rien que des dalles à perte de vue. Ce serait plus hygiénique. En outre, cela permettrait de circuler en patins à roulettes sur de grandes distances.
Pour passer inaperçu, Maximilien s'était habillé en promeneur.
«Le vrai camouflage n'est pas celui qui copie le paysage mais celui qui s'intègre naturellement au paysage.» Il l'avait toujours enseigné aux jeunes recrues de l'école de police: dans le désert on remarque plus facilement un homme en tenue couleur sable qu'un chameau.
Enfin, il repéra le bâtiment suspect.
Maximilien Linart sortit ses jumelles et observa la pyramide.
Le reflet des arbres se multipliant sur les grandes plaques de miroir camouflait le bâtiment au premier regard. Mais un détail pourtant trahissait le lieu. Il y avait deux soleils. Un de trop.
Il s'avança.
Le miroir était un excellent choix de revêtement. C'est à l'aide de miroirs que les prestidigitateurs font disparaître des filles dans des malles transpercées de sabres acérés. Simple effet d'optique.
Il sortit son calepin et nota soigneusement:
1) Enquête sur la pyramide de la forêt,
a) Observation à distance.
Il relut ce qu'il avait écrit et s'empressa de déchirer le feuillet. Il ne s'agissait pas d'une pyramide mais d'un tétraèdre. La pyramide a quatre flancs, plus celui de la surface au sol. Soit en tout cinq côtés. Le tétraèdre a trois flancs plus la surface au sol. Soit en tout quatre côtés. Quatre se dit tétra en grec.
Il rectifia donc:
1) Enquête sur le tétraèdre de la forêt.
L'une des grandes forces de Maximilien Linart était justement sa capacité de désigner précisément ce qu'il voyait et non ce que l'on croyait voir. Ce don d'«objectivité» lui avait déjà évité nombre d'erreurs.
L'étude du dessin avait renforcé chez lui cette aptitude. Quand on dessine, si l'on voit une route, on pense à une route et on est tenté de tracer deux traits parallèles. Mais si on retrace «objectivement» ce qu'on voit, la perspec tive fait que de face, une route se représente par un triangle, ses deux bords servant de lignes de fuite et se rejoignant au fond, à l'horizon.
Maximilien Linart rajusta ses jumelles et se remit à examiner la pyramide. Il s'étonna. Même lui se laissait obséder par le terme «pyramide». Il était vrai que «Pyramide» avait une connotation énigmatique et sacrée. Il déchira donc le feuillet. Pour une fois, il ferait exception à son souci de parfaite exactitude.
1) Enquête sur la pyramide de la forêt.
a) Observation à distance.
– Édifice assez haut. Environ trois mètres. Camouflé par des arbustes et des arbres.
Le croquis achevé, le policier se rapprocha. Il était à peine à quelques mètres de la pyramide quand il repéra dans la terre meuble des traces de pas humains et de pattes de chien sans doute laissées par Gaston Pinson et son setter irlandais. Il les dessina elles aussi.
Maximilien contourna l'édifice. Pas de porte, pas de fenêtre, pas de cheminée, pas de boîte aux lettres. Rien qui évoquât une habitation humaine. Seulement du béton recouvert de miroirs et une pointe translucide.
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