D'un souffle, il éteignit toutes les bougies puis se servit une part de gâteau.
– Et nous t'avons aussi acheté un cadeau!
Sa femme lui tendit une boîte. Il avala une dernière bouchée au chocolat, découpa le carton qui révéla un ordinateur portable de la dernière génération.
– Quelle excellente idée! s'émerveilla-t-il.
– J'ai choisi un modèle léger, rapide et doté d'une très grande capacité de mémoire, souligna sa femme. Je pense que tu t'amuseras bien avec.
– Sûrement. Merci, mes amours.
Jusqu'ici, il s'était contenté du volumineux ordinateur de son bureau qu'il utilisait comme machine à traitement de textes et instrument comptable. Avec ce petit portable à la maison, il allait enfin pouvoir explorer toutes les possibilités de l'informatique. Sa femme avait le chic pour dénicher le cadeau idéal.
Sa fille prétendait avoir, elle aussi, un cadeau. Elle avait adjoint à l'ordinateur un logiciel de jeu qui s'intitulait Évolution . «Recréez artificiellement une civilisation et comprenez votre monde comme si vous en étiez le dieu», annonçait la publicité.
– Tu passes tellement de temps à t'occuper de ton aquarium à guppys, déclara Marguerite, que j'ai pensé que cela t'amuserait d'avoir tout un monde virtuel à ta disposition, avec des gens, des villes, des guerres, tout ça, quoi!
– Oh, moi, les jeux…, dit-il en embrassant quand même la donatrice pour ne pas la décevoir.
Marguerite introduisit le disque C.D.-Rom et se donna beaucoup de mal pour lui expliquer les règles de ce dernier-né, et très à la mode, produit de l'informatique. Il s'ouvrait sur une vaste plaine où, en 5000 av. J.-C, le joueur avait mission d'installer sa tribu. Ensuite, à lui de créer un village, de le protéger par une palissade puis d'agrandir son territoire de chasse, construire d'autres villages, maîtriser les guerres avec les tribus avoisinantes, développer les recherches scientifiques et artistiques, construire des routes, dessiner des champs, mettre en route une agriculture, transformer les villages en villes pour que la tribu forme une nation, survive et évolue le plus rapidement possible.
– Au lieu de t'amuser avec vingt-cinq poissons, tu disposeras de centaines de milliers d'hommes virtuels. Ça te plaît?
– Bien sûr, dit le policier, pas encore convaincu mais soucieux de ne pas désappointer sa fille.
COMMUNICATION DES BÉBÉS : Au treizième siècle, le roi Frédéric II voulut faire une expérience pour savoir quelle était la langue «naturelle» de l'être humain. Il installa six bébés dans une pouponnière et ordonna à leurs nourrices de les alimenter, les endormir, les baigner, mais surtout… sans jamais leur parler. Frédéric II espérait ainsi découvrir quelle serait la langue que ces bébés «sans influence extérieure» choisiraient naturellement. Il pensait que ce serait le grec ou le latin, seules langues originelles pures à ses yeux. Cependant, l'expérience ne donna pas le résultat escompté. Non seulement aucun bébé ne se mit à parler un quelconque langage mais tous les six dépérirent et finirent par mourir. Les bébés ont besoin de communication pour survivre. Le lait et le sommeil ne suffisent pas. La communication est aussi un élément indispensable à la vie.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu , tome III.
33. PSOQUES, THRIPS ET MÉLOÏDES
Le monde dé la falaise a sa végétation et sa faune spécifiques. En descendant le long de la roche verticale, les douze jeunes exploratrices et la vieille guerrière découvrent un décor inconnu. Les fleurs accrochées à la paroi sont des œillets roses aux calices cylindriques rougeâtres, des orpins brûlants aux feuilles charnues et à l'odeur poivrée, des gentianes aux longs pétales bleus, des triques-madame dont les feuilles rondes et lisses taquinent les petites fleurs blanches, des artichauts de muraille aux pétales pointus et aux feuilles serrées.
Les treize fourmis dévalent ce mur de grès en s'y cramponnant au moyen des coussinets adhésifs de leurs pattes.
Au détour d'une grosse pierre, l'escouade myrmé-céenne tombe soudain sur un troupeau de psoques. Ces petits insectes, sorte de poux des roches, possèdent des yeux composés très saillants, une bouche broyeuse et des antennes si fines qu'on les en croit à première vue dépourvus.
Les psoques, affairés à lécher les algues jaunes qui poussent sur la roche, n'ont pas perçu l'approche des fourmis. Il est quand même rare de rencontrer des fourmis alpinistes dans le coin. Les psoques ont toujours cru jusqu'ici que leur monde vertical leur assurait une certaine tranquillité; si les fourmis se mettent à gravir et dévaler les falaises, on ne s'en sortira plus!
Sans demander leur reste, ils s'enfuient.
En dépit de son âge avancé, 103 683e réussit quelques beaux tirs d'acide formique qui atteignent à chaque fois les psoques en pleine course. Ses compagnes l'en félicitent. Elle a l'anus encore très précis pour son âge.
L'escouade mange les psoques et constate avec grande surprise qu'ils ont un peu la même saveur que les moustiques mâles. Pour être plus exact, leur goût se situe entre le moustique mâle et la libellule verte, mais sans les arômes mentholés typiques de cette dernière.
Les treize fourmis rousses contournent de nouvelles fleurs: des casse-pierres blancs, des coronilles panachées et des saxifrages perpétuelles aux minuscules pétales immaculés.
Plus loin, elles mettent à sac un attroupement de thrips. 103 683e ne les avait même pas reconnus. À force de vivre parmi les Doigts, elle a oublié nombre d'espèces. Il faut avouer qu'il y en a tellement. Les thrips, petits herbivores aux ailes frangées, claquent sèchement sous les labiales. Ils sont certes croustillants mais laissent, une fois avalés, un arrière-goût citronné qui ne ravit pas les papilles des Belokaniennes.
Les exploratrices tuent encore des hespéries sautillantes, des pyrales purpurines qui sont des papillons pas très jolis mais bien épais, des cercopes sanguinolentes, des odonates paresseux et des lestes aux mouvements gracieux: toutes espèces paisibles et sans autre intérêt que d'être comestibles pour les fourmis rousses.
Elles tuent des méloïdes, insectes dodus dont le sang et les organes génitaux contiennent de la cantharidine, substance excitatrice, même pour des fourmis.
Sur la paroi, le vent leur rabat les antennes telles des mèches rebelles. 14e tire sur un bébé coccinelle orange à deux points noirs. L'animal pleure un sang jaune puant par toutes les articulations de ses pattes.
103 683e se baisse pour mieux l'examiner. Il s'agit d'un leurre. Le bébé coccinelle fait semblant d'être mort mais le tir d'acide a ricoché sur sa carapace hémisphérique sans le blesser. La vieille fourmi solitaire connaît ce stratagème. Certains insectes sécrètent un liquide, de préférence nauséabond, dès qu'ils se sentent en danger, afin d'éloigner leurs prédateurs. Tantôt ce liquide gicle par tous les pores, tantôt des vésicules gonflent puis crèvent au niveau des articulations. Dans tous les cas, ce phénomène ôte tout appétit aux prédateurs affamés.
103 683e s'approche de l'animal suintant. Elle sait que ces hémorragies volontaires cesseront d'elles-mêmes mais, pourtant, cela l'impressionne. Elle signale aux douze jeunes fourmis que cet insecte n'est pas mangeable et le bébé coccinelle reprend sa route.
Mais les Belokaniennes ne font pas que descendre, tuer et manger. Elles sont aussi à l'affût du meilleur chemin. Elles évoluent entre corniches et parois lisses. Parfois, elles sont obligées de se suspendre, de se retenir par les pattes et les mandibules pour franchir des passes vertigineuses. De leurs corps, elles forment des échelles ou des ponts. La confiance est de rigueur; qu'une seule des treize fourmis n'assure pas suffisamment sa prise et c'est tout leur pont vivant qui s'effondrerait.
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