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Jean-Marie Le Clézio: Ourania

Здесь есть возможность читать онлайн «Jean-Marie Le Clézio: Ourania» весь текст электронной книги совершенно бесплатно (целиком полную версию). В некоторых случаях присутствует краткое содержание. Город: Paris, год выпуска: 2007, ISBN: 978-2070346431, издательство: Éditions Gallimard, категория: Современная проза / на французском языке. Описание произведения, (предисловие) а так же отзывы посетителей доступны на портале. Библиотека «Либ Кат» — LibCat.ru создана для любителей полистать хорошую книжку и предлагает широкий выбор жанров:

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Jean-Marie Le Clézio Ourania

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« Quand j'ai compris que Mario était mort, tous les détails me sont revenus. Les gens racontaient cela en long et en large à ma grand-mère. Mario traversait le champ, un peu plus haut, à la sortie du village. Il cachait la bombe dans un sac, il courait. Peut-être qu'il s'est pris les pieds dans une motte de terre, et il est tombé. La bombe a explosé. On n'a rien retrouvé de lui. C'était merveilleux. C'était comme si Mario s'était envolé vers un autre monde, vers Ourania. Puis les années ont passé, j'ai un peu oublié. Jusqu'à ce jour, vingt ans après, où le hasard m'a réuni avec le jeune homme le plus étrange que j'aie jamais rencontré. » C'est ainsi que Daniel Sillitoe, géographe en mission au centre du Mexique, découvre, grâce à son guide Raphaël, la république idéale de Campos, en marge de la Vallée, capitale de la terre noire du Chernozem, le rêve humaniste de l'Emporio, la zone rouge qui retient prisonnière Lili de la lagune, et l'amour pour Dahlia. » J.M.G. Le Clézio.

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Tout était retombé. J'ai marmonné une protestation vaine. « Moi, je crois que les êtres humains ça n'est pas du cambouis, » J'ai ajouté : « Et même si c'est du cambouis, ça n'est pas un sujet d'étude, pas de cette façon-là. Vous me faites penser aux étudiants qui blaguent avec les corps qu'ils dissèquent. »

Ariana s'est énervée. « Et de quel droit tu te permets de juger ce qu'ils font ? » Elle s'accrochait au sourire mou de Garci Lazaro. Elle mentait, probablement. Elle devait savoir que la Zone était le pire sujet pour une étude de terrain.

Saramago m'a accompagné dehors. Son cigarillo était éteint. Les gouttes de pluie coulaient sur ses cheveux longs, sur sa barbe mêlée de fils d'argent. Il ressemblait à Zeus, ou plutôt, au Moïse de Michel-Ange. Il cherchait le mot de la fin.

« Tu sais, les géographes et les anthropologues, c'est comme les artistes et les sociologues, ça n'a jamais fait bon ménage. » Puis, avec un petit rire entendu : « Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un de tes compatriotes, le philosophe Gilles Deleuze. »

Là-dessus, je me suis sauvé en titubant, j'ai descendu sous la pluie le chemin de pierres noires et glissantes vers le bas de la colline, vers le quartier des Parachutistes. À pied, le long de la chaussée, vers la ville, vers

la Vallée

ces rues défoncées, ces rues étroites aux trottoirs très hauts, et les flaques, non pas des flaques, mais des étangs, des puits d'eau noire, à travers lesquels les voitures aux phares allumés avancent, l'eau jusqu'à mi-jupes, en projetant de grandes éclaboussures sur les rares passants qui se hâtent en s'abritant comme ils peuvent sous des sacs en plastique.

Au mois d'août, sous le ciel qui voilait les volcans, l'eau noyait la Vallée. Elle sortait des caniveaux, une eau noire, acre, qui surgissait du fond des champs et qui recouvrait tout lentement, les cours, les parkings, les côtés des routes. Autour de la ville miroitaient des rizières sans fin.

J'étais arrivé dans cette saison, par un car de l'ADO ( Autobuses de Occidente, qu'on appelait aussi de accidente à cause de leur état mécanique) en provenance de Morelia. Une mission de trois mois, renouvelable. De quoi remplir trois cahiers : un relevé pédologique du Tepalcatepec, un plan d'occupation des sols dans la Vallée, et une carte géopolitique du Bajio. Mon viatique, c'était la lettre de recommandation de mon directeur de recherche à l'OPD, le professeur Cosmao, au directeur de l'Emporio, le docteur Thomas Moises. Et un mot aimable pour le professeur Valois, qui avait fait ses études en France, à la faculté de Toulouse.

Je n'étais pas sûr de ce que je venais chercher. Peut-être le dépaysement, ou bien au contraire la réalité, une certaine réalité qui ne figurait pas vraiment dans la formation que j'avais reçue en France. J'avais la tête pleine de chiffres. Un dossier plein de projets. La déficience protéinique de l'alimentation en Amérique latine, le travail des enfants, l'exploitation de la main-d'œuvre féminine, l'endettement des paysans, leur exil forcé vers la capitale ou vers la frontière avec les États-Unis. Des rapports tapés à la machine, des fiches techniques, des communiqués de l'OPD, de la FAO, de l'Unesco.

Durant ma première nuit dans la Vallée, à l'hôtel Peter Pan, dans le centre, une gouttière avait trempé la moitié de mes dossiers. J'avais acheté une corde et des pinces à linge à la quincaillerie, et j'avais mis les documents à sécher près de la fenêtre. La chambre ressemblait à une fabrique de faux billets.

Jour après jour, j'ai exploré la ville. C'étaient des cercles concentriques. Au milieu, la place avec ses magnolias topiaires en forme de champignons, et l'orphéon qui ne servait plus, où les gosses jouaient à cache-cache. L'église, et juste à côté le palais municipal et la prison, celle-ci construite en pisé ne devant pas gêner beaucoup les échappades des prisonniers. Au cercle suivant, le marché. D'abord le marché couvert, où se vendaient les cosmétiques, la lingerie, les disques et les cassettes vidéo, ainsi que les rares colifichets pouvant servir de souvenir aux éventuels touristes. On y entrait par une sorte de galerie de fer forgé et de verre cassé, où s'étaient installés aussi les marchands de chongos, caramel au lait, pâte de goyave et autres cactus confits. À gauche de l'église débutait la rue des fripiers, marchands de rebozos, qui se terminait en appendice par un bout de rue sinueux où se trouvaient trois ateliers de photographe, et l'unique boutique de photocopie et d'ordinateurs. Au cercle suivant, le marché des fruits et légumes débordait de sa stalle. J'étais allé là au deuxième jour de ma rencontre avec Dahlia, sans imaginer que nous allions devenir amants. Elle était arrivée récemment dans la Vallée, elle m'avait expliqué : « Si une ville t'inquiète, va au marché pour apprendre à la connaître. » J'avais répondu : « Moi je préfère aller au cinéma, mais ça ne fait rien, je peux t'accompagner. »

Dahlia Roig était portoricaine, elle était venue au Mexique il y a plusieurs années. Elle s'était mariée avec un Salvadorien, un révolutionnaire en exil, étudiant à l'Université Autonome. Après la naissance de leur enfant, ils s'étaient séparés, et c'est lui qui avait eu la garde de son fils pour des raisons économiques. Elle était venue ici, elle s'était inscrite à l'Emporio, en histoire de l'art, en ethnomusicologie, quelque chose de ce genre. Dahlia était une grande fille brune, à la peau couleur de pain brûlé, aux yeux couleur de miel. Elle était longue et souple, elle avait sur le ventre une cicatrice violette au-dessus du pubis. La première fois que je l'ai vue nue, je lui ai demandé : « Qu'est-ce qui s'est passé là ? » Elle a pris ma main, elle l'a appuyée sur son ventre, sur le bourrelet durci. « C'est par là que mon fils Fabio est né. Je ne pouvais pas l'appeler César, alors j'ai trouvé un autre nom latin. »

Nous avons marché dans les allées du marché aux légumes, elle me tenait par la main. À cause de sa haute stature, elle avançait un peu courbée, une main en avant pour écarter les pans de toile. Nous respirions une odeur puissante de coriandre, de goyave, de piment grillé. Une odeur d'eau noire, qui sortait des caniveaux recouverts de grilles en ciment. Par instant, nous débouchions en plein soleil, au milieu d'un vol de fausses guêpes rouge et noir. C'était enivrant. Nous avons terminé notre reconnaissance par les rues adjacentes à la gare des cars, où les Indiens de Capacuaro vendent leur cargaison de meubles mal équarris en bois de pin encore vert, qui sentent bon. L'esprit du quartier, nous l'avons rencontré sous les traits d'un homme cul-de-jatte, sans âge, qui se faufilait en ramant sur son petit chariot, un fer à repasser dans chaque main, comme dans le film de Buñuel. Je lui ai donné un billet, il m'a fait un clin d'oeil. Après-midi, nous avons rapporté des sacs de fruits à l'hôtel Peter Pan. Nous nous sommes gorgés de pastèques douces, de mangues, de bananes primitives. Nous avons fait l'amour sur le matelas posé à même le sol, pour éviter le sommier défoncé. Puis nous avons somnolé en regardant la lumière changer sur les rideaux de la fenêtre, au fur et à mesure que les nuages emplissaient le ciel. C'était une façon de faire connaissance avec cette ville, de ressentir ses toits de tuile et ses rues encombrées d'autos, ses places archaïques et ses grands centres commerciaux. C'était pour ne pas trop se sentir de passage. Pour croire qu'on allait rester, un certain temps, peut-être même longtemps.

Le lendemain j'ai trouvé un appartement à louer devant l'église en ruine. Nous avons emménagé en quelques heures. Un matelas matrimonial à ressorts sur une natte de jonc, une table en sapin dont j'ai fait scier les pieds, trois chaises basses achetées aux vendeurs à la sauvette sur l'avenue Cinco de Mayo. L'appartement recelait un gros réfrigérateur rouillé qui ronflait comme un chien asthmatique, et une cuisinière graisseuse. Il a fallu acheter deux cylindres de gaz propane avec leur détendeur, et quelques ustensiles. Les deux fenêtres de la pièce à vivre faisaient face à l'église en ruine, donc nul besoin de rideaux. Pour la chambre, j'avais pensé installer un pan de tissu, mais Dahlia a préféré coller des journaux sur les carreaux. Elle n'était pas très fille d'intérieur. L'appartement comportait aussi une petite pièce pouvant servir de bureau, mais Dahlia a décidé que ce serait la chambre de Fabio, lorsqu'elle en aurait obtenu la garde.

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