Agnès Martin-Lugand - Les gens heureux lisent et boivent du café

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Les gens heureux lisent et boivent du café: краткое содержание, описание и аннотация

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« Ils étaient partis en chahutant dans l'escalier. […] J'avais appris qu'ils faisaient encore les pitres dans la voiture, au moment où le camion les avait percutés. Je m'étais dit qu'ils étaient morts en riant. Je m'étais dit que j'aurais voulu être avec eux. »
Diane perd brusquement son mari et sa fille dans un accident de voiture. Dès lors, tout se fige en elle, à l'exception de son cœur, qui continue de battre. Obstinément. Douloureusement. Inutilement. Égarée dans les limbes du souvenir, elle ne retrouve plus le chemin de l'existence. C'est peut-être en foulant la terre d'Irlande, où elle s'exile, qu'elle apercevra la lumière au bout du tunnel.
Entre «
» et «
», l'histoire de Diane nous fait passer par toutes les émotions. Impossible de rester insensible au parcours tantôt dramatique tantôt drôle de cette jeune femme à qui la vie a tout donné puis tout repris, et qui n'a pas d'autre choix que de faire avec.

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Un coup d’œil à ma montre m’indiqua qu’il ne me restait que peu de temps. Un café dans la main, une cigarette aux lèvres, je choisis quelques photos au hasard et les glissai dans mon sac à main.

J’attendais dans le canapé l’heure du départ, en remuant nerveusement les doigts ; mon pouce buta sur mon alliance. Je ne manquerais pas de rencontrer du monde en Irlande, ces gens verraient que j’étais mariée, ils me demanderaient où est mon époux, et je serais incapable de leur répondre. Sans me séparer de cette bague, je devais la cacher. Je décrochai la chaîne que je portais à mon cou, la fis glisser dans mon alliance et replaçai le pendentif à l’abri des regards, sous mon sweat.

Deux coups de sonnette brisèrent le silence. La porte s’ouvrit sur Félix. Il entra sans un mot et plongea son regard dans le mien. Son visage portait ses excès de la nuit passée. Ses yeux étaient rouges et gonflés. Il empestait l’alcool et le tabac. Il n’avait pas besoin de parler pour que je sache que sa voix était enrouée. Il commença à sortir mes valises. Nombreuses. Je fis le tour de l’appartement, éteignis toutes les lumières, fermai toutes les pièces. Ma main se crispa sur la poignée de la porte d’entrée au moment de la refermer. Le seul son perceptible fut celui du verrou.

3

Je me tenais devant ma voiture de location, mes valises aux pieds, les bras ballants, les clés à la main. Des rafales de vent s’engouffraient dans le parking et me faisaient perdre l’équilibre.

Depuis ma descente d’avion, j’avais l’impression de flotter. J’avais suivi mécaniquement les passagers jusqu’au tapis roulant pour récupérer mes bagages. Puis un peu plus tard, chez le loueur, j’avais réussi à comprendre mon interlocuteur — en dépit de son accent à couper au couteau — et à signer le contrat.

Mais là, devant la voiture, frigorifiée, courbaturée, exténuée, je me demandais dans quel bourbier je m’étais mis en tête de patauger. Je n’avais pas le choix, je voulais être chez moi, et chez moi, c’était désormais à Mulranny.

Je dus m’y reprendre plusieurs fois pour allumer une cigarette. Ce vent cinglant ne baissait jamais, ça commençait déjà à me taper sur le système. Ce fut pire quand je me rendis compte qu’il grillait ma clope à ma place. Du coup, j’en rallumai une avant de charger le coffre. Au passage, je mis le feu à une mèche de cheveux qui se rabattit sur mon visage après une bourrasque.

Un autocollant sur le pare-brise me rappela qu’ici la conduite se faisait à gauche. Je mis le contact, passai la première, et la voiture cala. La deuxième et la troisième tentative de démarrage se soldèrent également par un échec. J’étais tombée sur une voiture véreuse. Je me dirigeai vers une guérite où se trouvaient cinq gaillards. Le sourire aux lèvres, ils avaient assisté à la scène.

— Je veux qu’on change ma voiture, elle ne marche pas, leur dis-je vexée.

— Bonjour, me répondit le plus âgé sans se départir de son sourire. Que vous arrive-t-il ?

— Je n’en sais rien, elle ne veut pas démarrer.

— Allez les gars, on va aider la p’tite dame.

Impressionnée par leur taille, je reculai lorsqu’ils sortirent. « Des rugbymen mangeurs de moutons », avait dit Félix. Il ne s’était pas trompé. Ils m’escortèrent jusqu’à la voiture. J’effectuais une nouvelle tentative infructueuse de démarrage. La voiture cala encore une fois.

— Vous vous trompez de vitesse, m’annonça l’un des géants, hilare.

— Mais enfin, non… pas du tout, je sais conduire.

— Passez la cinquième, enfin la vôtre, vous verrez.

Il me regardait sans moquerie, à présent. Je suivis son conseil. La voiture avança.

— Tout est à l’envers chez nous. La conduite, le volant, les vitesses.

— Ça va aller, maintenant ? me demanda un autre.

— Oui, merci.

— Où allez-vous comme ça ?

— Mulranny.

— Pas tout près. Faites attention à vous et prenez garde aux ronds-points.

— Merci beaucoup.

— C’était un plaisir. Au revoir, bonne route.

Ils me firent un signe de tête et encore un grand sourire. Depuis quand les types qui s’occupaient des véhicules de locations étaient-ils aimables et serviables ?

J’étais à mi-parcours et je commençais vaguement à me détendre. J’avais passé avec succès les épreuves de l’autoroute et du premier rond-point. Sur la route, rien d’autre à signaler que des moutons et des champs vert fluo. À perte de vue. Aucun bouchon, pas de pluie à l’horizon.

La séparation avec Félix repassait en boucle dans mon esprit. Nous n’avions pas échangé un mot entre chez moi et l’aéroport. Il avait fumé cigarette sur cigarette sans me jeter un regard. Il n’avait desserré les dents qu’au dernier moment. Nous étions l’un en face de l’autre, à nous regarder, à hésiter.

— Tu fais attention à toi ? m’avait-il demandé.

— Ne t’inquiète pas.

— Tu peux encore renoncer, tu n’es pas obligée de partir.

— Ne rends pas les choses plus compliquées. Il est l’heure, je dois embarquer.

Je n’avais jamais supporté les séparations. Celle-là avait été bien plus difficile que je ne l’avais pensé. Je m’étais blottie contre lui, il avait mis quelques instants avant de réagir et de me serrer dans ses bras.

— Prends soin de toi, ne fais pas de bêtises, lui avais-je recommandé. Promis ?

— On verra. File.

Il m’avait lâchée, j’avais attrapé mon sac et pris la direction des portiques de sécurité. J’avais esquissé un geste de la main. Puis j’avais tendu mon passeport. J’avais senti le regard de Félix peser sur moi durant toutes les formalités. Aussi ne m’étais-je pas retournée une seule fois.

J’y étais. J’étais à Mulranny. Devant ce cottage dont j’avais à peine regardé les photos sur l’annonce. J’avais dû traverser tout le village et prendre la route chaotique de la plage pour arriver au bout de mon périple.

J’aurais des voisins, une autre maison se tenait à côté de la mienne. Un petit bout de femme arriva vers moi et me salua de la main. Je me forçai à sourire.

— Bonjour, Diane, je suis Abby, ta propriétaire. Tu as fait bonne route ?

— Enchantée de faire votre connaissance.

Elle regarda avec amusement la main que je lui tendais avant de la serrer.

— Tu sais, ici tout le monde se connaît. Et tu ne passes pas un entretien d’embauche. Ne t’avise pas de me lancer du madame à tout bout de champ. Même pour des questions de respect ou de bonne éducation, d’accord ?

Elle m’invita à entrer dans ce qui allait sous peu devenir chez moi. Je découvris un intérieur cosy, chaleureux.

Abby n’arrêtait pas de parler, je n’écoutais pas la moitié de ce qu’elle disait, je souriais bêtement et bougeais la tête pour lui répondre. J’eus droit au descriptif de toute la batterie de cuisine, des chaînes câblées, des horaires de marées, sans oublier ceux de la messe. C’est là que je la coupai.

— Je ne crois pas en avoir besoin, je suis fâchée avec l’église.

— Nous avons un sérieux problème, Diane. Tu aurais dû te renseigner avant de venir ici. Nous nous sommes battus pour notre indépendance et notre religion. Tu vis désormais parmi des Irlandais catholiques et fiers de l’être.

Ça commençait bien.

— Abby, je suis désolée, je…

Elle éclata de rire.

— Détends-toi, pour l’amour du ciel. C’est une blague. Ça fait juste partie de mes habitudes. Rien ne t’oblige à m’accompagner le dimanche matin. En revanche, un petit conseil, n’oublie jamais que nous ne sommes pas anglais.

— Je m’en souviendrai.

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