Agnès Martin-Lugand - Les gens heureux lisent et boivent du café

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Les gens heureux lisent et boivent du café: краткое содержание, описание и аннотация

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« Ils étaient partis en chahutant dans l'escalier. […] J'avais appris qu'ils faisaient encore les pitres dans la voiture, au moment où le camion les avait percutés. Je m'étais dit qu'ils étaient morts en riant. Je m'étais dit que j'aurais voulu être avec eux. »
Diane perd brusquement son mari et sa fille dans un accident de voiture. Dès lors, tout se fige en elle, à l'exception de son cœur, qui continue de battre. Obstinément. Douloureusement. Inutilement. Égarée dans les limbes du souvenir, elle ne retrouve plus le chemin de l'existence. C'est peut-être en foulant la terre d'Irlande, où elle s'exile, qu'elle apercevra la lumière au bout du tunnel.
Entre «
» et «
», l'histoire de Diane nous fait passer par toutes les émotions. Impossible de rester insensible au parcours tantôt dramatique tantôt drôle de cette jeune femme à qui la vie a tout donné puis tout repris, et qui n'a pas d'autre choix que de faire avec.

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— Touché… garce. Mais ce n’est pas comparable. Tu es déjà mal en point, tu vas être irrécupérable.

— Arrête. J’ai décidé que je partais en Irlande plusieurs mois, tu n’as rien à me dire.

— Ne compte pas sur moi pour t’accompagner.

Je me levai et me mis à ranger tout ce qui me tombait sous la main.

— Tant mieux, parce que tu n’es pas invité. Je n’en peux plus d’avoir un toutou derrière moi. Tu m’étouffes ! criai-je en le regardant.

— Dis-toi bien une chose, je vais très vite recommencer à t’étouffer.

Il pouffa de rire et, sans me quitter des yeux, s’alluma tranquillement une cigarette.

— Tu veux savoir pourquoi ? Parce que je ne te donne pas plus de deux jours. Tu vas revenir toute penaude et tu me supplieras de t’emmener au soleil.

— Jamais de la vie. Crois ce que tu veux, mais je fais ça pour guérir.

— Tu te trompes de méthode, mais au moins tu es remontée comme une pendule.

— Tu n’as pas des copains qui t’attendent ?

Je n’en pouvais plus de son regard inquisiteur. Il se leva et s’approcha de moi.

— Tu veux que j’aille fêter ta nouvelle lubie ?

Son visage se rembrunit. Il posa ses mains sur mes épaules et planta ses yeux dans les miens.

— Tu cherches vraiment à t’en sortir ?

— Évidemment.

— Donc, tu es d’accord pour que tes valises ne contiennent aucune chemise de Colin, aucune peluche de Clara, pas de parfum à part le tien.

Je m’étais fait prendre à mon propre piège. J’avais mal au ventre, à la tête, à la peau. Impossible de fuir ses yeux noirs comme le charbon, ses doigts broyaient mes épaules.

— Bien sûr, je veux aller mieux, je vais me séparer petit à petit de leurs affaires. Tu devrais être content, depuis le temps que tu veux que je le fasse.

Par je ne sais quel miracle, ma voix n’avait pas flanché. Félix soupira profondément.

— Tu es irresponsable, tu n’y arriveras jamais. Colin ne t’aurait jamais laissé entreprendre un tel projet. C’est bien, tu as cherché à faire quelque chose pour t’en sortir, mais renonce, s’il te plaît, on va trouver autre chose. J’ai peur que tu t’enfonces.

— Je n’abandonnerai pas.

— Va dormir, on en reparle demain.

Il fit une moue désolée, embrassa ma joue et prit la direction de la sortie sans un mot de plus.

Au lit, enroulée dans la couette, le doudou de Clara étroitement serré dans mes bras, je tentais de calmer les battements de mon cœur. Félix avait tort, Colin m’aurait laissé partir seule à l’étranger, à l’unique condition qu’il se soit occupé de l’organisation. Il gérait tout lorsque nous partions en voyage, du billet d’avion à la réservation d’hôtel, en passant par mes papiers d’identité. Jamais il ne m’aurait confié mon passeport ou celui de Clara, il disait que j’étais tête en l’air. Alors aurait-il eu confiance en moi pour mener un tel projet ? Pas sûr, finalement.

Je n’avais jamais habité seule, j’avais quitté la maison de mes parents pour m’installer avec lui. J’avais peur de passer un simple coup de téléphone pour demander un renseignement ou faire une réclamation. Colin savait tout faire. Il fallait que je l’imagine me guider pour tout préparer. J’allais le rendre fier de moi. Si c’était une des dernières actions que je faisais avant de m’enterrer, je prouverais à tous que j’étais capable d’aller jusqu’au bout.

Certaines choses ne changeaient pas, comme ma technique pour faire mes valises. Ma penderie était vide et mes bagages pleins à craquer. Je n’en utiliserais pas le quart. Ne manquait plus que de la lecture, et je devais me faire violence.

Depuis combien de temps n’avais-je pas pris ce chemin ? Félix allait s’écrouler derrière le comptoir en me voyant arriver. En moins de cinq minutes, je rejoignis la rue Vieille-du-Temple. Ma rue. À une époque, j’y passais mes journées ; aux terrasses, dans les boutiques, dans les galeries et quand je travaillais. Le simple fait d’y être me rendait heureuse, avant.

Aujourd’hui, dissimulée sous la capuche d’un sweat de Colin, je fuyais les devantures, les habitants, les touristes. Je marchais sur la route pour éviter ces foutus poteaux qui obligeaient à slalomer. Tout m’agressait, jusqu’à la délicieuse odeur de pain chaud qui s’échappait de la boulangerie où j’avais mes habitudes.

Mon pas ralentit à l’approche des Gens. Plus d’un an que je n’y avais pas mis les pieds. Je m’arrêtai sur le trottoir d’en face sans y jeter un coup d’œil. Immobile, la tête basse, je plongeai la main dans une de mes poches, il me fallait de la nicotine. On me bouscula, et mon visage se tourna involontairement vers mon café littéraire. Cette petite vitrine en bois, la porte au centre avec sa clochette à l’intérieur, ce nom que j’avais choisi, il y avait six ans, « Les gens heureux lisent et boivent du café », tout me ramenait vers ma vie avec Colin et Clara.

Le matin de l’inauguration avait été marqué par la panique générale. Les travaux n’étaient pas finis, nous n’avions pas encore déballé les livres. Félix n’était pas arrivé, j’étais seule à me battre pour que les ouvriers accélèrent la cadence. Colin m’avait téléphoné tous les quarts d’heure afin de s’assurer que nous serions prêts pour la soirée d’ouverture. À chaque fois, j’avais ravalé mes larmes et ri comme une bécasse. Mon très cher associé, beau comme un camion, avait pointé le bout de son nez en milieu d’après-midi, alors que je frôlais la crise d’hystérie parce que l’enseigne n’était pas encore fixée au-dessus de la façade.

— Félix, où étais-tu ? avais-je hurlé.

— Chez le coiffeur. D’ailleurs, tu aurais dû en faire autant, m’avait-il répondu en saisissant une mèche de mes cheveux avec une mine dégoûtée.

— Quand aurais-tu voulu que j’y aille ? Rien n’est prêt pour ce soir, je mens à Colin depuis ce matin, j’avais bien dit que c’était voué à l’échec, c’est un cadeau empoisonné, cet endroit. Pourquoi mes parents et Colin m’ont-ils écoutée quand je leur ai dit que je voulais tenir un café littéraire ? Je n’en veux plus.

Ma voix était montée dans les aigus, et j’avais recommencé à m’activer dans tous les sens. Félix avait mis tous les ouvriers à la porte et était revenu vers moi. Il m’avait attrapée et secouée comme un prunier.

— Stop ! À partir de maintenant, je gère. Va te préparer.

— Je n’ai pas le temps !

— Il est hors de question qu’on ouvre avec une patronne aux allures de gorgone.

Il m’avait poussée jusqu’à la porte de derrière, qui menait au studio loué avec le café. À l’intérieur, j’avais trouvé une nouvelle robe et tout le nécessaire pour me faire belle. Un énorme bouquet de roses et de freesias trônait à même le sol. J’avais lu le mot de Colin. Il me répétait à quel point il croyait en moi.

Finalement, la soirée d’inauguration avait été très réussie, malgré notre chiffre d’affaires proche de zéro. Félix s’était autoproclamé responsable de la caisse. Les clins d’œil et les sourires de Colin m’avaient encouragée. Avec Clara dans les bras, j’avais circulé de table en table, entre la famille, les amis, les collègues de mon mari, les relations douteuses de Félix et les commerçants de la rue.

Aujourd’hui, cinq ans plus tard, tout avait changé, Colin et Clara n’étaient plus là. Je n’avais aucune envie de retravailler, et tout, dans ce lieu, me rappelait mon mari et ma fille. La fierté de Colin quand il venait fêter une victoire au tribunal, les premiers pas de Clara entre les clients, la première fois qu’elle avait écrit son prénom, assise au comptoir devant une grenadine.

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