— Tu n’as pas oublié qu’on rentrait demain à Mulranny ? me demanda Edward après le dîner, alors que nous fumions une cigarette dehors.
— Je n’y pensais plus, lui répondis-je avec un poids soudain sur l’estomac.
— Ça va ?
— Je me sens libre, ici. Je n’ai pas envie de rentrer.
— Allons dormir.
Il me tint la porte d’entrée ouverte, je passai devant en le frôlant, il me suivit jusqu’à ma chambre. En me retournant, je fus surprise par sa proximité. Il avait une main appuyée en hauteur sur le mur, la tête baissée.
— Merci pour ces trois jours.
— J’ai été heureux de t’avoir avec moi.
Il plongea son regard dans le mien. Mon cœur s’emballa. Il s’approcha de moi, ses lèvres se posèrent sur ma tempe et s’y attardèrent. Ce fut plus fort que moi, je m’agrippai à sa chemise. Il se détacha légèrement et se pencha. Nos fronts se frôlèrent. Je ne maîtrisai plus ma respiration, mon ventre se contracta. Sa bouche effleura la mienne une première fois, puis une deuxième. Il m’enlaça, et m’embrassa profondément, je lui rendis son baiser. Lorsque nos lèvres se séparèrent, il posa son front contre le mien, et caressa ma joue.
— Arrête-moi, s’il te plaît, me murmura-t-il.
Je baissai les yeux et vis mes mains toujours agrippées à sa chemise. Tous mes sens étaient en ébullition, mais je devais faire le tri dans mes émotions. À contrecœur, je desserrai mes doigts, et le plus doucement possible, je l’éloignai de moi. Il se laissa faire, trop facilement.
— Excuse-moi, dit-il. Je…
Je le fis taire en posant un doigt sur sa bouche.
— Je crois que pour ce soir, il vaut mieux s’en tenir là.
Je déposai un baiser à la commissure de ses lèvres. J’ouvris la porte et pénétrai dans ma chambre. Je me tournai vers lui, il ne me lâchait pas des yeux.
— Dors bien, lui dis-je tout bas.
Il passa une main sur son visage, me sourit et fit deux pas en arrière. Je fermai la porte silencieusement et m’y adossai. Ce n’est qu’à cet instant que je remarquai mes jambes flageolantes. J’écoutai les bruits de la maison, j’entendis Edward redescendre. Je souris, il allait fumer, j’en étais certaine.
Encore chamboulée, je me glissai sous la couette. Dans la pénombre, je passai mes doigts sur mes lèvres. J’avais aimé sentir les siennes. J’aurais pu aller plus loin, je ne l’avais pas fait. Trop rapide, peut-être. Je me calai au milieu du lit. Malgré mes paupières lourdes, je fixai le rai de lumière sous la porte. Puis il y eut des pas dans l’escalier, qui s’arrêtèrent devant ma chambre. Je me redressai. Edward était là, tout prêt. Je posai mes pieds par terre en réfléchissant à toute vitesse à ce que je devais faire. J’étais décidée à lui ouvrir la porte quand je l’entendis partir vers sa chambre. L’obscurité fut totale, je me rallongeai. En sentant le sommeil me gagner, je me dis que le lendemain je verrais Edward. J’étais impatiente.
J’ouvris les yeux, et mes premières pensées furent pour lui. Je regardai ma montre, notre bateau partait dans une heure. Je me douchai, m’habillai, rangeai mes affaires et fermai mon sac. Dans le couloir, je jetai un coup d’œil à la porte de sa chambre, elle était ouverte. J’allai voir s’il était encore là. Personne. Le ménage avait déjà été fait. Je me rendis à la cuisine. Seul le propriétaire s’y trouvait. Il me sourit et me tendit une tasse de café. Il entreprit de me servir encore un de ses petits déjeuners dont il avait le secret.
— Non merci. Je n’ai pas très faim, ce matin.
— Comme vous voulez, mais pour la traversée, c’est mieux d’avoir quelque chose dans le ventre.
— Je me contenterai du café.
En restant debout, je bus quelques gorgées.
— Vous avez vu Edward ? questionnai-je.
— Il est tombé du lit. Encore moins causant que d’habitude, vous imaginez ?
— Difficile à croire.
— Il est parti sur le port, et puis il est revenu régler vos nuits.
— Et là, où est-il ?
— Un vrai lion en cage, il vous attend dehors.
— Ah…
Je déglutis et finis mon café, sous l’œil goguenard de mon hôte.
— Vous êtes toute pâle. C’est à cause de la traversée ou d’Edward ?
— Quel est le pire ?
Il éclata de rire.
Je lui fis un petit signe de la main pour le saluer et me dirigeai vers l’entrée.
Edward ne remarqua pas mon arrivée. Le visage fermé, il tirait sur sa cigarette comme un forcené. Je l’appelai doucement. Il se tourna, me fixa avec une expression indéchiffrable sur le visage et s’avança vers moi. Sans un mot, il attrapa mon sac. Je le retins par le bras.
— Tu vas bien ?
— Et toi ? me demanda-t-il brutalement.
— Oui, enfin je crois.
— Allons-y.
Il esquissa un sourire, prit ma main et m’entraîna vers le port. Plus nous avancions, plus je me rapprochais de lui. Je finis par entrelacer nos doigts.
En arrivant sur le bateau, nous dûmes nous lâcher pour qu’il se décharge de son fardeau. Je le suivis sur le pont. Il y avait un vent à décorner les bœufs. Il alluma une cigarette qu’il me tendit, je la pris et l’observai allumer la sienne. Il s’appuya au bastingage. On fuma en silence.
Le bateau quitta l’île. Nous n’avions pas bougé.
— Ça va secouer, me dit Edward en se redressant.
— Tu restes là ?
— Pour le moment. Rentre, si tu préfères.
Je me campai sur mes pieds et m’accrochai à mon tour à la rambarde. Ça tanguait déjà, et le vent me faisait mal aux oreilles, mais pour rien au monde je n’aurais voulu être ailleurs. D’un coup, je fus à l’abri. Edward s’était installé derrière moi, ses bras autour de mon corps, ses mains sur les miennes.
— Préviens-moi si tu te sens mal, me dit-il à l’oreille.
Le rire était perceptible dans sa voix, je lui donnai un léger coup de coude dans les côtes.
Nous effectuâmes toute la traversée serrés l’un contre l’autre et sans échanger un mot. C’était tellement bon de profiter de tout ça à deux. Une fois que le bateau fut à quai, Edward alla récupérer nos sacs de voyage. Il prit à nouveau ma main dans la sienne pour rejoindre le parking. Pendant que je montai dans la voiture, il chargea le coffre. Lorsqu’il grimpa à son tour, il soupira profondément. Il dut sentir que je l’observai, il se tourna et me regarda droit dans les yeux.
— On rentre ?
— C’est toi le chauffeur.
Durant tout le trajet, nous nous enfermâmes chacun dans nos pensées. En dehors d’un fond musical, seul le bruit de l’allume-cigare se faisait entendre. Alternativement, nous enchaînions les cigarettes. Le paysage défilait sous mes yeux, et je tripotais ma chaîne et mon alliance. Je n’osais plus regarder Edward. Lorsque je vis le panneau de Mulranny, je me raidis. Il gara la voiture devant mon cottage et laissa le moteur tourner.
— Bon, j’ai du boulot.
— Pas de problème, lui répondis-je précipitamment en descendant de la voiture.
Je claquai la portière plus fort que je ne le souhaitais. Je récupérai mes affaires dans le coffre. Edward ne bougea pas et ne démarra pas pour autant. Arrivée devant la porte du cottage, je partis en quête de ma clé. Lorsque je mis enfin la main dessus, je fulminais tellement que je n’arrivai pas à trouver le trou de la serrure. S’il n’avait rien à me dire, il n’avait qu’à partir.
Je lâchai tout et me retournai précipitamment. Je percutai Edward. Il me rattrapa par la taille avant que je ne tombe en arrière. Plusieurs secondes passèrent. Puis il me lâcha. Je passai ma main dans mes cheveux, il s’alluma une cigarette.
— Tu pourrais me rejoindre chez moi, ce soir ? me proposa-t-il.
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