Il s’agita légèrement.
— J’aurais voulu voir Dupont.
— Qui, Dupont ?
— Le cuisinier de l’archéologue.
— Où voulez-vous que je le trouve ?
— Il doit être encore avec cette cochonnerie de Lardier… murmura Amadis.
— Vous ne voulez rien prendre ? dit Rochelle. Je peux vous préparer du thé d’édréanthes.
— Non, dit Amadis. Rien.
— Bon.
— Merci, dit Amadis.
— Oh, dit Rochelle, je ne fais pas ça pour vous êtes agréable. Je ne vous aime pas du tout.
— Je sais, dit Amadis. On prétend pourtant, d’habitude, que les femmes aiment bien les homosexuels.
— Les femmes qui n’aiment pas les hommes, dit Rochelle. Ou les femmes qui généralisent.
— On dit qu’elles se sentent en confiance avec eux, qu’elles n’ont pas peur d’être importunées, etc.
— Quand ils sont beaux, dit Rochelle, c’est possible. Moi, je n’ai pas peur d’être importunée.
— Qui vous importune ici, à part Anne ?
— Vous êtes indiscret, dit Rochelle.
– Ça n’a pas d’importance, dit Amadis. Anne et Angel redeviennent des hommes ordinaires, je les ai renvoyés.
— Anne ne m’importune pas, dit Rochelle. Je fais l’amour avec lui. Il me touche. Il me malaxe.
— Angel vous importune ?
— Oui, dit Rochelle, parce que je veux bien. Il a l’air moins costaud que son ami. Et puis, je préférais Anne, au début, parce qu’il est moins compliqué.
— Angel est compliqué ? Je trouve qu’il est idiot et paresseux. Et, pourtant, physiquement, il est mieux qu’Anne.
— Non, dit Rochelle. Pas à mon goût. Mais, enfin, il n’est pas mal.
— Vous pourriez coucher avec lui ?
— Bien sûr ! dit Rochelle. Maintenant je peux. Je ne pourrai plus avoir grand-chose d’Anne.
— Je vous demande tout ça parce que vous êtes un monde tellement étrange pour moi, dit Amadis. Je voudrais comprendre.
— C’est le coup que vous avez reçu qui vous rappelle que vous êtes un homme ? dit Rochelle.
— J’ai très mal, dit Amadis, et je suis insensible à l’ironie.
— Quand cesserez-vous de croire qu’on se moque de vous ? dit Rochelle. Si vous saviez comme ça m’est égal !
— Passons, dit Amadis. Vous dites qu’Angel vous importune ; est-ce que cela vous ennuie ?
— Non, dit Rochelle. C’est une espèce de réserve de sécurité.
— Mais il doit être jaloux d’Anne.
— Comment pouvez-vous le savoir ?
— Je raisonne par analogie, dit Amadis. Je sais bien ce que je voudrais faire à Lardier.
— Quoi ?
— Le tuer, dit Amadis. À coups de pieds dans le ventre. Tout écraser.
— Angel n’est pas comme vous. Il n’est pas si passionné.
— Vous devez vous tromper, dit Amadis. Il en veut à Anne.
Rochelle le regarda inquiète.
— Vous ne le pensez pas pour de bon ?
— Si, dit Amadis. Ça va se régler comme ça. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse. Je ne le dis pas pour vous embêter.
— Vous parlez comme si vous le saviez vraiment, dit Rochelle. Je crois que vous voulez m’acheter. Les airs mystérieux, ça ne prend pas avec moi.
— Il n’y a pas d’airs mystérieux, dit Amadis. Je souffre et je comprends des choses. À propos, où en est votre travail ?
— Il est terminé, dit Rochelle.
— Je vais vous donner autre chose. Prenez votre bloc.
— Vous devez beaucoup moins souffrir, dit Rochelle.
— Le ballast est arrivé, dit Amadis. Il faut préparer les feuilles de paie des chauffeurs des camions et leur proposer de travailler à la voie.
— Ils refuseront, dit Rochelle.
— Prenez une note de service, dit Amadis. On peut s’arranger pour qu’ils ne refusent pas.
Rochelle fit trois pas et saisit son bloc et son crayon. Amadis s’accouda quelques instants à son bureau, la tête entre ses mains, et il commença à dicter.
— Cet acte saint est vraiment de premier ordre, dit l’abbé Petitjean.
Anne, l’archéologue et l’abbé revenaient à petits pas.
— La négresse… dit Anne. Vingt dieux !..
— Allons, allons, dit l’archéologue.
— Foutez la paix à Claude Léon, dit l’abbé. Il ne se débrouille pas si mal.
— Je lui donnerais bien un coup de main, dit Anne.
— La main n’est pas exactement ce qu’il utilise, dit Petitjean. Vous avez mal suivi le détail.
— Oh, Gygho !.. dit Anne. Parlez d’autre chose. Je ne peux plus marcher.
– Ça fait de l’effet, dit l’abbé. Je suis d’accord. Mais moi, j’ai une soutane.
— Qu’est-ce qu’il faut faire pour être prêtre ? demanda Anne.
— Vous, dit Petitjean, vous ne savez pas ce que vous voulez. Tantôt ci, tantôt ça. Tantôt vous dites des conneries, tantôt vous avez l’air intelligent, tantôt vous êtes sensible, et tantôt aussi salaud qu’un marchand de bestiaux qui ne pense qu’à ça. Excusez-moi, mon langage reste bien inférieur à ma pensée.
– Ça va bien, dit Anne. Je vois.
Il se mit à rire et prit le bras de l’abbé.
— Petitjean, dit-il, vous êtes un mâle !
— Merci, dit Petitjean.
— Et vous, vous êtes un lion, continua Anne en se tournant vers l’archéologue. Je suis content de vous connaître.
— Je suis un vieux lion, dit Athanagore. Et la comparaison serait plus exacte si vous aviez choisi un animal fouisseur.
— Mais non, dit Anne. Vos fouilles, c’est de la blague. Vous en parlez toujours et on ne les voit jamais.
— Vous voudriez les voir ?
— Sûr ! dit Anne. Tout m’intéresse.
— Tout vous intéresse un peu, dit Petitjean.
— Tout le monde est comme ça, dit Anne.
— Et les spécialistes, alors ? observa l’archéologue. Mon modeste exemple ne signifie rien, mais seule l’archéologie compte pour moi.
— Pas vrai, dit Anne. C’est un genre.
— Mais pas du tout ! dit Athanagore indigné.
Anne rit de nouveau.
— Je vous mets en boîte, dit-il. Vous y mettez bien des pots en faïence qui ne vous ont rien fait…
— Taisez-vous, homme superficiel ! dit Athanagore.
Il n’était pas en colère.
— Alors, dit Anne, on va les voir vos fouilles ?
— On y va, dit Petitjean.
— Venez, dit l’archéologue.
Angel venait à leur rencontre. Il marchait d’un pas incertain, tout chaud encore du corps de Cuivre. Elle était repartie de l’autre côté, pour rejoindre Brice et Bertil et les aider dans leur travail. Elle savait qu’il valait mieux ne pas rester près du garçon inquiet qui venait de la prendre dans un creux de sable délicatement, tendrement, sans vouloir la blesser. Elle rit et courut. Ses jambes fines s’élevaient, élastiques, au-dessus du sol clair, et son ombre dansait près d’elle et lui donnait quatre dimensions.
Lorsqu’il fut tout près d’eux, Angel les regarda avec application. Il ne s’excusait pas de les avoir quittés. Anne était là aussi, fort et gai, comme avant Rochelle ; ainsi Rochelle était finie.
Il restait un chemin très court à faire jusqu’au campement d’Athanagore. Ils parlaient seulement et les choses étaient prêtes à s’accomplir.
Car Angel savait ce qu’était Cuivre, et il perdait d’un coup tout ce qu’Anne avait eu de Rochelle.
— Je descends le premier, dit Athanagore. Faites attention. Il y a, en bas, un tas de pierres à emballer.
Son corps s’engagea dans l’ouverture du puits et ses pieds prirent un appui solide sur les barreaux d’argent.
— Passez ! dit Anne en s’effaçant devant Petitjean.
— C’est un sport ridicule, dit Petitjean. Hé, vous, en bas, ne levez pas les yeux. Ça ne se fait pas !
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