— Alors, dit Angel, vous êtes contents ?
— Non, dit Didiche. Le capitaine est un vieux veau.
— Qu’est-ce qu’il vous a fait ? demanda Angel. Il vous a chassé de sa passerelle ?
— Il a voulu faire mal à Olive, dit l’enfant. Il l’a pincée là.
Olive mit sa main à l’endroit désigné et elle renifla un bon coup.
– Ça me fait encore mal, dit-elle.
— C’est un vieux cochon, dit Angel. Il était furieux contre le capitaine.
— Je lui ai donné un coup d’entonnoir sur la gueule, observa le garçon.
— Oui, dit Olive, c’était drôle.
Elle se mit à rire tout doucement, et Angel et Didiche rirent aussi en pensant à la figure du capitaine.
— S’il recommence, dit Angel, venez me chercher. Je lui casserai la figure.
— Vous, au moins, remarqua Didiche, vous êtes un pote.
— Il voulait m’embrasser, dit Olive. Il sentait le vin rouge.
— Vous n’allez pas la pincer aussi ?… Didiche, soudain s’alarmait. Ne pas aller trop vite avec ces adultes.
— N’aie pas peur, dit Angel. Je ne la pincerai pas et je n’essaierai pas de l’embrasser.
— Oh, dit Olive, je veux bien que vous m’embrassiez, mais pas pincer, ça fait mal.
— Moi, observa Didiche, je ne tiens pas du tout, à ce que vous embrassiez Olive. Je peux très bien le faire…
— Tu es jaloux, hein ? dit Angel.
— Pas du tout.
Les joues de Didiche prirent une belle teinte pourpre et il regarda délibérément par-dessus la tête d’Angel. Ça lui faisait renverser le cou en arrière à un angle très incommode. Angel riait. Il attrapa Olive sous les aisselles, l’éleva à sa hauteur et l’embrassa sur les deux joues.
— Voilà, dit-il en la reposant, maintenant on est des potes. Serre-moi la pince, dit-il à Didiche.
Celui-ci tendit sa patte sale à contre-cœur, mais il se dérida en voyant la figure d’Angel.
— Vous en profitez parce que vous êtes plus vieux que moi, mais, après tout, je m’en fiche. Je l’ai embrassée avant vous.
— Je te félicite, dit Angel. Tu es un homme de goût. Elle est très agréable à embrasser.
— Vous venez en Exopotamie aussi ? demanda Olive.
Elle préférait qu’on parle d’autre chose.
— Oui, dit Angel. Je suis engagé comme ingénieur.
— Nos parents, dit Olive avec fierté, sont des agents d’exécution.
— C’est eux qui font tout le travail, compléta Didiche. Ils disent toujours que les ingénieurs tout seuls, ils ne pourraient rien faire.
— Ils ont raison, assura Angel.
— Et puis, il y a le contremaître Arland, conclut Olive.
— C’est un beau salaud, précisa Didiche.
— On verra ça, dit Angel.
— Vous êtes le seul ingénieur ? demanda Olive.
Alors Angel se rappela qu’Anne et Rochelle étaient ensemble dans la cabine, en bas, et le vent fraîchit. Le soleil se cachait et le bateau dansait plus fort. Les cris des mouettes se firent agressifs.
— Non… dit-il avec effort. Il y a un de mes amis qui vient aussi. Il est en bas…
— Comment qu’il s’appelle ? demanda Didiche.
— Anne, répondit Angel.
C’est marrant, observa Didiche. C’est un nom de chien.
— C’est un joli nom, dit Olive.
— C’est un nom de chien, répéta Didiche. C’est idiot, un type avec un nom de chien.
— C’est idiot, dit Angel.
— Vous voulez voir notre cormoran ? proposa Olive.
— Non, dit Angel, il vaut mieux pas le réveiller.
— On vous a dit quelque chose qui vous a ennuyé ? demanda doucement Olive.
— Mais non, dit Angel.
Il posa sa main sur les cheveux d’Olive et caressa la tête ronde, et puis il soupira. En haut, le soleil hésitait à revenir.
… et il n’est pas toujours mauvais de mettre un peu d’eau dans son vin…
(Marcelle Véton.
« Traité de Chauffage » Dunod éditeur, Tome I. page 145.)
On tapait à la porte d’Amadis Dudu depuis déjà cinq bonnes minutes. Amadis regardait sa montre pour compter combien de temps il fallait avant que sa patience fût à bout et à six minutes dix, il se dressa en donnant un formidable coup de poing sur la table.
— Entrez, rugit-il d’une voix rageuse.
— C’est moi, dit Athanagore en poussant la porte. Je vous dérange ?
— Naturellement, dit Amadis.
Il faisait des efforts surhumains pour se calmer.
— C’est parfait, dit Athanagore, comme ça, vous vous rappellerez ma visite. Vous n’avez pas vu Dupont ?
— Mais non, je n’ai pas vu Dupont.
— Oh ! dit Athanagore, vous allez fort ! Alors où est-il ?
— Enfin, nom de Dieu ! dit Amadis. Est-ce que c’est Martin ou moi qui s’envoie Dupont ? Demandez à Martin !
— Bon ! c’est tout ce que je voulais savoir, répondit Atha, Ainsi, vous n’avez pas encore réussi à séduire Dupont ?
– Écoutez, je n’ai pas de temps à perdre. Les ingénieurs et le matériel arrivent aujourd’hui et je suis en plein baccarat.
— Vous parlez comme Barrizone, dit Athanagore. Vous devez être influençable.
— Je vous en fous, dit Amadis. Ce n’est pas parce que j’ai le malheur de sortir une expression diplomatique à Barrizone que vous devez m’accuser d’être influençable. Influençable ? Vous me faites rigoler, tenez !
Amadis se mit à rigoler. Mais Athanagore le regardait et ça le rendit furieux de nouveau.
— Au lieu de rester là, dit-il, vous feriez mieux de m’aider à tout préparer pour les recevoir.
— Préparer quoi ? demanda l’archéologue.
— Préparer leurs bureaux. Ils viennent ici pour travailler. Comment voulez-vous qu’ils fassent s’ils n’ont pas de bureaux ?
— Je travaille bien sans bureau, dit Athanagore.
— Vous travaillez ? Vous ?… Vous vous rendez bien compte que sans bureau, il n’y a pas de travail sérieux, non ?
— J’ai l’impression que je travaille autant qu’un autre, dit Athanagore. Vous croyez que c’est léger un marteau archéologique ? Et casser des pots toute la journée pour les mettre dans des boîtes standard, vous vous imaginez que c’est une plaisanterie ? Et surveiller Lardier, et engueuler Dupont, et écrire mon livre de bord et chercher dans quelle direction on devrait creuser, alors, tout ça, ce n’est rien ?
— Ce n’est pas sérieux, dit Amadis Dudu. Faire des notes de service et envoyer des rapports, à la bonne heure ! Mais creuser des trous dans du sable ?…
— Qu’est-ce que vous allez faire en fin de compte ? dit Athanagore. Avec toutes vos notes et tous vos rapports ? Vous allez bâtir un ignoble chemin de fer, puant et rouillé, qui mettra de la fumée partout. Je ne dis pas qu’il ne servira à rien, mais ce n’est pas un travail de bureau non plus.
— Vous devriez bien vous dire plutôt que le plan a été approuvé par le Conseil d’Administration et Ursus de Janpolent, dit Amadis avec suffisance. Vous n’êtes pas en mesure de juger de son utilité.
— Vous me cassez les pieds, dit Athanagore. Au fond, ce que vous êtes, c’est un homosexuel. Je ne devrais pas vous fréquenter.
— Vous ne risquez rien, dit Amadis. Vous êtes trop vieux. Dupont, à la bonne heure !
— Oh, la barbe, avec Dupont. Qu’est-ce que vous attendez, aujourd’hui, finalement ?
— Angel, Anne, Rochelle, un contremaître, deux agents d’exécution et leur famille, le matériel. Le docteur Mangemanche arrive par ses propres moyens, avec un interne, et un mécanicien nommé Cruc nous rejoindra dans quelque temps. Nous recruterons sur place les quatre autres agents d’exécution indispensables, s’il y a lieu, mais je crois qu’il n’y aura pas lieu.
– Ça fait une considérable quantité de travailleurs, dit Athanagore.
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