Depuis l’entrée en vigueur de cette première loi sur l’asile, le cadre juridique s’est développé de manière à la fois rapide et profonde. Même si le traitement des ressortissants étrangers relève d’une compétence clé de l’Etat souverain, cette souveraineté se justifie et s’exerce dans les limites du droit international public. Les engagements de droit international pris par la Suisse ont une importance cruciale dans le cadre des procédures d’asile et de l’octroi d’une protection.
Depuis une vingtaine d’années, le régime européen de l’asile exerce une influence considérable sur la Suisse. Même si elle n’est pas membre de l’Union européenne, la Suisse participe au régime de Dublin et de Schengen. A ce titre, elle est géographiquement, juridiquement et politiquement partie intégrante des évolutions européennes. Une vue d’ensemble des normes en vigueur ne peut donc faire l’économie [25] de comprendre les relations parfois complexes entre le droit suisse, le droit européen et les normes de droit international public.
1 Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (Convention de Genève, CR, RS 0.142.30). Le champ d’application de la CR a été élargi par le Protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés (dit Protocole de New York). Dans le présent manuel, la CR fait toujours référence à la Convention de 1951 telle qu’élargie par le Protocole de New York.
2 Rapport du Conseil fédéral du 1 erfévrier 1957 concernant les « Principes à observer dans la pratique de l’asile en cas de tension internationale accrue ou de guerre », publié dans le contexte du rapport Ludwig (Ludwig Carl, La politique pratiquée par la Suisse à l’égard des réfugiés au cours des années 1933 à 1955, rapport adressé au Conseil fédéral à l’intention des conseils législatifs). Voir annexe au rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale du 13 septembre 1957 sur la politique pratiquée par la Suisse à l’égard des réfugiés au cours des années 1933 à nos jours, p. 387 ss, FF 1957 II 668.
3 Initiative populaire fédérale « contre l’emprise étrangère », voir à ce sujet le Rapport du Conseil fédéral, FF 1969 II 1050. La votation a eu lieu le 7 juin 1970, FF 1970 II 301.
[26][27]II Développements juridiques
Johan Rochel
1 Les développements du droit suisse
1.1 Développements précédents
Jusqu’en 1981, les dispositions légales sur l’asile étaient intégrées au droit général des étrangers. Les deux matières étaient traitées ensemble, car elles concernaient toutes deux des personnes de nationalité étrangère. Aujourd’hui, le droit d’asile forme un régime spécifique qu’il faut distinguer du droit des étrangers, mais aussi de l’association de la Suisse à certaines parties du droit de l’Union européenne. Sur le fond, les matières présentent des différences importantes. Malgré ces différences, ces domaines du droit connaissent de nombreux recoupements et interférences. Par exemple, le statut juridique des personnes admises provisoirement ou les mesures de contrainte qui touchent de nombreux requérants déboutés sont réglés dans la loi sur les étrangers (LEtr). Les bases essentielles sur les questions de l’intégration ou de l’octroi des autorisations pour cas de rigueur sont également contenues dans le droit des étrangers. Suivant le statut en cause, différentes bases légales sont donc applicables.
Depuis la première loi sur l’asile de 1979, le développement du droit d’asile est marqué par une cadence de révisions très rapide. Ces révisions reflètent notamment l’évolution des conditions cadres extérieures de la politique suisse de l’asile, marquée entre autres par une augmentation constante des demandes d’asile jusqu’au début des années nonante. Depuis lors, d’importantes variations ont eu lieu. Les périodes d’augmentation des demandes ont été marquées par une forte attention publique. Alors qu’en 1979, le nombre des demandes d’asile était encore inférieur à 1’000, il a dépassé les 10’000 pour la première fois en 1987. En 1989, il s’est élevé à 24’425 avant d’atteindre 41’629 en 1991. En 1992, il a diminué de plus de la moitié. En 1997, un peu moins de 24’000 demandes d’asile ont été enregistrées alors que 41’302 demandes ont été déposées en 1998 suite au conflit du Kosovo. En 2014, 21’695 personnes ont déposé une première demande d’asile en Suisse. 1
[28]En plus de provoquer de vifs débats de politique intérieure sur les prétendus excès de générosité de la législation suisse sur l’asile, l’évolution du nombre des demandes d’asile a posé des problèmes administratifs et logistiques considérables aux autorités fédérales et cantonales (longue durée de la procédure, nombre de dossiers pendants, difficultés d’hébergement, etc.). Depuis 1979, les révisions partielles ont ainsi toujours été axées sur l’accélération et la simplification de la procédure. Elles ont aussi régulièrement conduit à des tentatives visant à détériorer le statut juridique des requérants d’asile.
La loi sur l’asile de 1979 a été soumise à une révision totale en 1998. Entre 1999 et 2014, celle-ci a connu d’importants changements par le biais de nombreuses révisions partielles. Parmi ces changements, les adaptations de la loi sur l’asile dans les processus d’adoption de la loi sur les étrangers et d’association à l’espace Schengen/ Dublin ont été les plus significatives. La LEtr et l’association à Schengen/Dublin ont été confirmées en votation populaire en 2005 et 2006. Durant cette phase d’évolutions, trois éléments ont joué un rôle prépondérant.
Premièrement, le domaine de l’asile a fait l’objet d’initiatives populaires visant directement les requérants d’asile et d’autres propositions traitant plus généralement des conditions d’entrée et de séjour des ressortissants étrangers. En 2002, l’initiative populaire « contre les abus du droit d’asile » lancée par l’UDC a été rejetée d’extrême justesse par 50.1 % des voix en votation populaire. L’initiative puisait sa source dans la crise du Kosovo, une période difficile durant laquelle de très nombreuses personnes déplacées cherchaient une protection en Suisse. Pour le Conseil fédéral et la majorité des partis politiques, son rejet de justesse était un signe révélateur que de nombreux citoyens souhaitaient de nouveaux durcissements de la loi sur l’asile. De manière plus générale, l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels (acceptée par le peuple et les cantons en 2010) et l’initiative contre l’immigration de masse (acceptée par le peuple et les cantons en 2014) sont particulièrement symptomatiques de la pression politique qui s’exerce sur la thématique générale de la migration en Suisse.
Deuxièmement, la loi sur l’asile a été durcie pour raison d’économie sur le budget fédéral. A titre d’exemple, le régime de l’aide sociale a été durablement modifié et une forte pression continue à s’exercer demandant l’exclusion de l’aide sociale des personnes relevant de l’asile. Le passage de l’aide sociale à l’aide d’urgence est devenu pratique courante dans le domaine de l’asile. En 2005, le Parlement fédéral avait même proposé d’exclure de l’aide d’urgence les requérants déboutés qui refussaient de coopérer. En même temps, le Tribunal fédéral a jugé dans un cas d’espèce que l’exclusion de l’aide d’urgence était contraire à la Constitution. 2Cette décision [29]a poussé les Chambres fédérales à retirer cette proposition. Plusieurs propositions discutées dans le domaine mettent directement en jeu la répartition des compétences entre les cantons et la Confédération. De manière générale, ces propositions illustrent le changement de paradigme dans le domaine de l’aide sociale pour l’asile et le nécessaire dialogue qui s’engage entre autorités judiciaires et pouvoirs politiques.
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