Jeannette déclara que le lit était prêt, et on me fit monter comme un prisonnier entre quatre gendarmes, ma tante en tête et Jeannette à l’arrière-garde. La seule circonstance qui me donnât encore de l’espoir, c’est que, sur la question de ma tante à propos d’une odeur de roussi qui régnait dans l’escalier, Jeannette répliqua qu’elle venait de brûler ma vieille chemise dans la cheminée de la cuisine. Mais il n’y avait pas d’autres vêtements dans ma chambre que le triste trousseau que j’avais sur le corps, et quand ma tante m’eut laissé là en me prévenant que ma bougie ne devait pas rester allumée plus de cinq minutes, je l’entendis fermer la porte à clef en dehors. En y réfléchissant, je me dis que peut-être ma tante, ne me connaissant pas, pouvait croire que j’avais l’habitude de m’enfuir, et qu’elle prenait ses précautions en conséquence.
Ma chambre était jolie, située au haut de la maison et donnait sur la mer, que la lune éclairait alors. Après avoir fait ma prière, mon bout de bougie s’étant éteint, je me rappelle que je restai près de la fenêtre à regarder les rayons de la lune sur l’eau, comme si c’était un livre magique où je pusse espérer de lire ma destinée, ou bien encore comme si j’allais voir descendre du ciel, le long de ses rayons lumineux, ma mère avec son petit enfant pour me regarder comme le dernier jour où j’avais vu son doux visage. Je me rappelle encore que le sentiment solennel qui remplissait mon cœur, quand je détournai enfin les yeux de ce spectacle, céda bientôt à la sensation de reconnaissance et de repos que m’inspirait la vue de ce lit entouré de rideaux blancs ; je me souviens encore du plaisir avec lequel je m’étendis entre ces draps blancs comme la neige. Je pensais à tous les lieux solitaires où j’avais couché à la belle étoile et je demandai à Dieu de me faire la grâce de ne plus me trouver sans asile et de ne jamais oublier ceux qui n’avaient pas un toit où reposer leur tête. Je me souviens qu’ensuite je crus, petit à petit, descendre dans le monde des rêves par ce sentier de lumière qui jetait sur la mer un éclat mélancolique.
1Murdstone. Murderer, meurtrier.
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