Une autre machine, pareillement actionnée par les roues, était une faneuse. Celle-là déjà, était plus légère ! Son ancien propriétaire l’avait transformée pour l’atteler derrière son tracteur. Nous montâmes deux tubes métalliques à la place du timon pourri et y conduisîmes Calina en reculant. Cela lui plaisait déjà mieux ! A travers le châssis, une sorte de vilebrequin était posé dans des roulements, actionné par la rotation des roues. Celui-ci faisait bouger plusieurs fourches à l’arrière. Celles-ci retournaient le foin en le jetant dans l’air. Les enfants baptisèrent l’engin « pattes de Frodo » parce qu’il travaillait de la même manière que le chien. Celui-ci aimait courir derrière la machine pour happer le foin tourbillonnant dans l’air. Le terrain étant trop en pente, je préférais ne pas monter sur le siège mais plutôt courir à côté et guider le cheval.
Dans un hameau, nous avions découvert un râteau-andaineur. Il mesurait dans les 2 mètres 50 et était équipé sur toute sa largeur de dents en demi-cercle qui, en avançant, glissaient sur le sol et ramassaient le foin en forme de grosses saucisses. Les enfants l’appelèrent la « machine à saucisses de foin ». Quand assez de foin s’était accumulé devant les dents, en appuyant sur un levier celles-ci se levaient en l’air par la rotation des roues, laissant derrière elles une « saucisse » de foin de la hauteur des hanches. Tout l’art consistait à déposer les bouts de « saucisses » de manière à ce qu’elles forment des rangées que nous pouvions charger sur le traîneau. Souvent nous préférions le travail manuel, car par un ratissage intelligent nous arrivions à raccourcir ou à sauter certaines étapes.
Le fauchage se faisait à la motofaucheuse. En altitude l’herbe poussait si clair, qu’elle ne pouvait pas bourrer la barre de coupe. Et au lieu de la retourner, il suffisait de procéder à un ratissage par étapes. A l’aide de deux troncs de frêne légèrement courbés et quelques planches je bricolais un traîneau assez long, muni d'une sorte de large échelle en bois à l’avant et à l’arrière, légèrement inclinée vers l’extérieur. Entre ces deux supports nous posions le foin, et, une fois que c’était plein, nous le serrions et le fixions à l’aide d’une corde. Pour faciliter le chargement, nous le ratissions d’abord en gros tas. Mais notre poulain prenait trop de plaisir à se rouler dans ces tas et à les éparpiller de nouveau. Nous n’avions pas d’autre choix que de l’enfermer momentanément. Notre Calina semblait fière de nous montrer de quoi elle était capable ! Elle se laissait tomber dans son harnais et traînait les charges vers la grange. Grâce à une fourche plus longue nous montions le foin au grenier.
Combien de fois le soir nous pensions « maintenant tout est plein » ! Et le lendemain le foin s’était tassé et nous désespérions presque. Nous nous sentions comme Sisyphe. Eh bien, pas tout à fait. Car nous le faisions volontiers et à un moment donné notre corvée pris fin. Le dernier foin était dedans !
*
Les journées étaient longues. Pas seulement parce qu’on était en été. C’était le travail qui réglait la longueur de la journée. Le coq nous réveillait le matin. Puis nous mangions du muesli avec du lait et du miel de Roger. Puis nous trayions les vaches. Chacun de nous s’était créé son domaine, même si souvent il devait donner un coup de main à l’autre. Le domaine de Doris était grosso modo les enfants, la cuisine, la maison et le jardin. Je m’occupais des travaux de la ferme : soigner les animaux, poser les clôtures, défricher et en même temps faire le bois de chauffage, continuer la rénovation de la maison et plein d’autre choses comme des chantiers à l’extérieur, afin de gagner un peu d’argent, ou aider quelqu’un au village. De ce fait j’étais parfois absent au moins la demi-journée.
Le soir il y avait la traite commune. Très souvent les vaches nous attendaient déjà au lieu de la traite, deux arbres auxquels nous les attachions. Il suffisait de leur poser une corde sur la nuque. Quand elles n’étaient pas là, ça dégénérait parfois en une partie de cache-cache dont souvent le chien sortait vainqueur. Malgré leurs cloches, elles se tenaient silencieuses. Quand c’était possible, je courais avec le chien à la recherche des vaches, répétais fort les ordres, les encerclais, afin qu’il apprenne. Souvent, arrivé près des vaches, celles-ci montaient de quelques mètres pour repartir dans l’autre direction. Mais en montant je ne courais pas bien longtemps. Je m’essoufflais rapidement. Le chien était avantagé à cause de ses quatre jambes ! Mais quand les vaches s’obstinaient il arrivait que nous nous trouvions tous deux côte à côte, allongés dans les fougères, nos respirations sifflant à qui mieux mieux.
Quand les animaux étaient soignés, c’était le tour des enfants. En général nous dînions ensemble avant qu’ils aillent au lit. Doris leur lisait des histoires ou chantait doucement des chansons qui se posaient, avec le ciel étoilé, comme une couverture de paix sur nos terres. Quand elle ne s’était pas endormie avec eux, elle s’asseyait ensuite à côté de moi contre le mur encore tiède de la maison, nos mains se rejoignaient et ensemble nous regardions la silhouette des montagnes encadrées par le ciel scintillant en nous réjouissant de notre journée accomplie. Doucement le murmure du ruisseau montait vers nous, de loin on entendait l’aboiement d’un chien, et un chevreuil bêla en face dans les bois, faisant sursauter le chien. Son poil se hérissa sous ma main et il gronda, à peine audible. Les grillons chantaient. Leur mélodie semblait venir de partout, nous donnant le sentiment d’être vraiment dans le Midi. Le chat se frottait en ronronnant contre nos jambes.
Parfois, les nuits de pleine lune, je marchais vers le versant en face et appuyé contre un arbre je regardais notre ferme planer dans la lumière de la lune. Dans ces moments je me sentais plus qu’heureux, indemnisé des peines de la journée, et j’étais prêt à en supporter d’autres. Le bonheur souvent n’est qu’un état éphémère. Pour le rendre plus durable il faut payer le prix, nommé labeur.
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Deux fois par semaine une bétaillère avec des étalons remontait la vallée et s’arrêtait si besoin. C’étaient des animaux du haras de l’armée de Tarbes, qui avait une succursale à St. Girons. On pouvait aussi y mettre une jument en pension. Là elle était présentée une fois par jour à un étalon tant qu’elle était en chaleur. Mais ça coûtait assez cher. Quand nous descendîmes en ville, nous visitâmes le haras afin de voir le choix des étalons, connaître les prix et les jours où le camion montait dans notre vallée. L’édifice se trouvait en bordure de la ville. Déjà de loin on sentait l’odeur sucrée du cheval. L’intérieur était constitué d’une grande halle couverte de sciure, dont les ailes étaient équipées de nombreux boxes aux séparations élevées. D’un côté étaient logés les étalons, des animaux magnifiques et fiers, s’ébrouant excités ou hennissant dans des tonalités les plus variées. Un tableau au mur indiquait leur nom, race et dates. De l’autre côté se trouvaient les pensionnaires, les juments à saillir.
Dans la halle se trouvaient différentes barrières en bois, qui avaient l’air d’être solides, presque de la hauteur d’un cheval, dont deux étaient alignées face à face comme un couloir. Un propriétaire amena sa jument. Elle était très excitée. Il la conduisit, sur instructions, dans le couloir en la tenant court. Un employé en uniforme du haras, amena un étalon. Celui-ci sautillait d’excitation, s’ébrouait, et sans doute se réjouissait d’avance en approchant la jument, qui était entre les cloisons, par le côté. Il renifla le derrière de la jument et posa sa tête sur son dos. Plus vite qu’on ne pouvait le voir, la jument avait soulevé son derrière et rué en hennissant de colère. Indigné l’étalon se retira. Alors c’était pour rien ! « Mais attendons la prochaine fois ! », semblait-il penser. Soit la jument était pleine ou pas encore bien en chaleur, ce qui se produisait tous les 21 à 23 jours. Les chaleurs, la période pendant laquelle la jument peut être fertilisée, durent 5 à 7 jours. Avec plus de chances vers la fin de cette période.
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