– Et vous avez placé les armes?…
– À couvert, sur le guéridon… mais ne puis-je savoir?…
– Rien! l’interrompit froidement Marguerite. Vous diriez que je suis folle! Quand tout sera fait, vous comprendrez… Et vous admirerez, je vous en donne ma parole! Nous avons fini ici. Sortons.
Annibal se dirigeait vers la porte du boudoir. Marguerite l’arrêta.
– Pas par-là, dit-elle. Par-là, c’est le Volcan qui est entré, c’est le Volcan qui doit sortir par-là, le Nuage a une autre issue.
– Il paraît qu’on s’aimait ici autrefois. Ces bons vieux ducs de Clare et leurs duchesses étaient fort bien ensemble. Dans mon alcôve, il y a une issue sentimentale qui mène au corridor conduisant aux appartements de l’autre aile. Cela servait au temps du vieux Roland de Clare, qui venait voir ainsi discrètement dame Raymonde-Dorothée de Chevreuse-Lorraine, son épouse. Passez!
Ils étaient dans le corridor. Marguerite ferma la porte à double tour, et en présenta la clef à Annibal.
– Pourquoi faire? demanda ce dernier.
Marguerite lui serra la main fortement.
– Annibal, dit-elle d’un accent étrange, si je faisais un faux pas, cette nuit, si je glissais… on peut glisser… si je tombais, enfin. Annibal, me regretteriez-vous?
– Oh! Madame! voulut s’écrier le vicomte.
– Ne prenez pas la peine de mentir, Annibal! l’interrompit Marguerite. Vous ne me regretteriez pas. Je vais vous dire pourquoi, c’est que vous n’auriez pas le temps. Chacun prend ses précautions, mon ami. Si je mourais cette nuit, vous ne seriez pas en vie demain matin, c’est moi qui vous l’affirme!
Quoiqu’il fit sombre dans cet étroit couloir, on eût pu voir l’Italien trembler et chanceler.
– Rassurez-vous, poursuivit Marguerite, il y a cent à parier contre un que je ne mourrai pas. Je me porte bien, et je suis gardée contre tous autres, comme je me garde contre vous. C’est la vraie confiance. Vous trouviez tout à l’heure que je me fiais à vous trop abondamment; je vais aller beaucoup plus loin, je vais mettre le sort entier de ma partie entre vos mains. Approchez-vous, je vais parler très bas, ces vieux murs pourraient avoir des oreilles.
Elle mit ses lèvres jusque sous les brillants cheveux du vicomte, qui fit un geste d’étonnement.
– Il le faut! reprit-elle; il le faut absolument! Mme la comtesse du Bréhut de Clare ne peut abandonner ainsi sa fête. Elle doit se montrer de temps en temps dans ses propres salons. Et ses chambrières qui l’ont vue rentrer chez elle, doivent la voir ressortir. En connaissez-vous une qui ait ma taille, ma tournure?
Annibal réfléchissait.
– Pas trop cher, poursuivit Marguerite. Une grosse somme donnerait des soupçons: quinze ou vingt louis: c’est le prix d’une plaisanterie. Vous la ferez entrer par ce corridor, vous lui mettrez mon costume de volcan sur le dos, vous la ferez passer devant mes femmes de chambre bien ostensiblement, et vous ne la quitterez pas d’une semelle, entendez-vous, jusqu’au moment où j’aurai besoin de vous. Alors, son rôle sera fini. Est-ce entendu?
– C’est entendu, répondit le vicomte qui descendit l’escalier d’un air soucieux.
Au lieu de passer la porte des salons, il prit le vestibule, mit son manteau et sortit.
Marguerite, elle, de son pas léger et tranquille, traversa toute la longueur du corridor et gagna l’aile opposée où étaient les appartements du comte.
On ne peut pas dire qu’elle fût pensive; ses réflexions étaient faites. Elle marchait vaillamment dans cette route tortueuse, dont elle avait marqué d’avance tous les coudes et tous les retours.
Dans l’antichambre du malade, un vieux valet dormait à demi.
– Comment va-t-il, bon Valentin? demanda Marguerite en entrant.
– Ah! Madame la princesse, répondit le valet, comme on reconnaît bien Votre Altesse, malgré le masque! M. le comte est avec son médecin et une dame que je ne connais pas. Il va être bien content de vous voir.
Marguerite hésita et fut sur le point de se retirer.
Mais, après tout, c’était une épreuve. Et quelle épreuve plus décisive pouvait-on choisir? Marguerite savait le nom de la dame qui était avec le docteur Lenoir. Elle allait affronter la présence de Rose de Malevoy, l’amie de pension de Nita! Elle allait défier le regard de Rose de Malevoy, son instinctive, sa mortelle ennemie!
Elle entra et dès le seuil:
– Bon ami, au risque de vous déranger, je suis venue. On m’a dit que vous vous trouviez beaucoup mieux.
– Nita! s’écria une femme en domino noir qui était debout au chevet du lit où le comte se tenait sur son séant, que je suis contente de te voir!
– Rose! fit la comtesse, qui s’arrêta comme frappée de surprise. Ton frère vient de me dire que tu étais souffrante, et j’ai ta lettre annonçant que tu ne viendrais pas. Que signifie cela?
Le docteur Lenoir et le comte gardaient le silence. Évidemment, on avait tenu conseil ici. Marguerite alla droit à Rose et l’embrassa.
– Je n’ôte pas mon masque, dit-elle, il est pris dans mes cheveux et je crois qu’il faudra me tondre pour me l’enlever.
– Tu as donc vu mon frère? demanda Rose de Malevoy.
– Mais oui, répondit la fausse princesse d’Eppstein qui s’approcha du malade et lui donna son front à baiser. Je le quitte.
– Et sait-il ce qui se passe ici?
– Ici? répéta la princesse d’un air innocent. Il se passe quelque chose?
– Cet Italien qu’on promène! poursuivit Mlle de Malevoy avec colère, ce prince Policeni! tu n’as pas entendu que tout le monde l’appelle déjà le duc de Clare!
– Ma foi non, répondit la prétendue Nita; j’ai causé avec Roland…
– Chère enfant! murmura le comte. Nous veillons pour vous.
«Bon! pensa Marguerite, mon mari est franchement contre moi. Ayez donc des remords!»
– Vous avez été plus heureuse que nous, princesse, dit en ce moment le docteur Lenoir. Nous avons essayé de parler à M. de Malevoy; mais Mme la comtesse n’a cessé de l’accaparer.
– C’est vrai, dit Marguerite. Que pouvaient-ils donc avoir ensemble? Bon ami, vous avez bien meilleur visage.
– Voulez-vous me permettre de vous demander, reprit le docteur, si c’était vous qui étiez tout à l’heure dans le billard, ici, au-dessous?
– Et si tu étais avec M. Roland? ajouta Rose.
– Nous avons été ici et là, répliqua Marguerite ingénument. Je pense bien que nous sommes entrés dans le billard.
– Et l’on vous a laissé passer? interrogea le comte.
– Ah! non! fit la fausse Nita, comme si un souvenir subit l’eût frappée.
Je me le rappelle maintenant. Ce grand dadais de M. Constant, déguisé en maître de cérémonies, nous a barré le passage en marmottant: «Mme la comtesse vous prie de l’excuser…» ou quelque chose comme cela.
– Alors, s’écria Rose, qui est-ce qu’elle cache là-dedans?
Le docteur se leva.
– Princesse, dit-il, grâce à vous, j’espère que nous allons rejoindre M. de Malevoy, à la fin!
Marguerite eut le rire argentin qui rendait Nita si jolie.
– Est-ce bien pressé? demanda-t-elle.
– Pauvre chère! murmura Rose à son oreille, si tu savais ce qui se passe!
– Rien ne menace Roland, mon cousin, j’espère! s’écria Marguerite en reculant d’un pas et avec un geste qui était un chef-d’œuvre.
On ne lui répondit point.
– Écoutez, dit-elle, je suis toute drôle cette nuit, et quelque chose me serre le cœur. Je ne crois pas aux pressentiments, au moins. J’aurais dû vous le dire tout de suite, mais je ne sais à quoi je songe… j’avais oublié. M. de Malevoy est sorti.
– Sorti! répétèrent les trois assistants d’une seule voix.
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