Son trait d’union possède une histoire. La Brève Doctrine , manuel de typographie du XVI e siècle, prône l’apostrophe devant le e élidé et l’applique fautivement à grand’mère car elle croit qu’on a enlevé un e . En 1694, l’Académie ne corrige pas son erreur et écrit grand’mère et grand-père . En 1718, elle supprime le trait d’union à grand père pour le remettre en 1798 et finir par écrire « grand-mère » et « grand-père » en 1935. On en a le tournis !
99. POURQUOI FAISONS-NOUS SOUVENT UNE FAUTE A « GENTIMENT » ?
Par gentillesse !
Nous ne sommes pas les seuls à vouloir écrire gentillement . Robert Estienne le fait sans que nul le lui reproche. En effet, les adverbes en ment se forment à partir du féminin. « Grande » a donné « grandement » ; « belle », « bellement » ; et « attentive », « attentivement ». D’où l’envie d’écrire cet adverbe à partir de « gentille ».
L’Académie écrira « gentiment » par fidélité à la manière dont nous le prononçons. Cette prononciation s’explique probablement par la présence de l’adverbe gentement , un dérivé du féminin « gente » : ce synonyme de « gentil » est aujourd’hui fort désuet, on ne le trouve plus guère que dans « gente dame ».
100. POURQUOI CONFONDONS-NOUS L’INFINITIF ET LE PARTICIPE PASSÉ DES VERBES EN ER ?
Pour ne pas se faire prendre !
Au Moyen Âge, le r qui termine un verbe à l’infinitif se prononçait : chanter, finir, savoir … Au XVI e siècle, cette habitude se perd et, au XVII e, elle est même vivement déconseillée. En effet, de manière générale, les consonnes finales se prononcent de moins en moins. La bonne société prononce i faut y aller ! Prononcer le l de « il » avait un petit côté provincial du plus mauvais effet. Au passage, cette absence permettait de distinguer le « il » au singulier qui se prononçait i , du pluriel qui se prononçait comme nous le faisons.
Cette tendance explique notre habitude de ne pas prononcer le r de « chanter ». Elle touchait également les verbes en ir . Le grammairien Vaugelas constate que si la cour et la ville articulent convenablement (c’est-à-dire en ignorant ce r ), on a tendance à le prononcer lorsqu’on déclame à haute voix. Un extrait de cette chanson du XVII e siècle atteste en tout cas que le r des verbes en ir ne se chantait pas :
Compère Guilleri
Te laisseras-tu mouri ?
Autre preuve, cet extrait tiré de la préface de la première édition du Dictionnaire de l’Académie française. Les académiciens y critiquent l’orthographe phonétique avec cet argument : « Il faudrait retrancher l’R finale des Verbes Aimer, Céder, Partir, Sortir. » Conclusion, à l’époque, on ne prononçait pas le r de « partir » et « sortir ».
Ce phénomène explique l’expression « par ouï-dire ». « Ouï » n’est pas un participe passé mais un infinitif écrit phonétiquement, qui correspond à « entendre dire ».
Au XVIII e siècle, les grammairiens tenteront de remettre en valeur la prononciation du r . Ils y réussiront, sauf pour les verbes en er .
Nous pouvons imaginer, avec Marcel Cohen dans son Histoire d’une langue, le français , que l’analogie explique leur réussite pour les verbes en ir qui ont dû bénéficier de leur ressemblance avec ceux en ire dont le r continuait à être prononcé. Les verbes en er n’ont pas eu cette chance. Notons que cette hésitation perdure de nos jours pour les autres terminaisons. Nous disons « cher ami » mais « un arc her ».
101. POURQUOI NE PRONONCONS-NOUS PAS TOUS LES « TOUS » DE LA MÊME MANIÈRE ?
Parce que tout est possible !
La principale difficulté de « tout » est que nous n’entendons pas son pluriel quand il est adjectif : « tous les hommes ». Il n’en va pas de même lorsqu’il est pronom : « Nous irons tous au paradis ! » André Lanly, dans ses Fiches de philologie française , explique que ce s cesse d’être prononcé dans la langue populaire dès le XIII e siècle et ce dans tous les cas. Au XVIII e, les grammairiens commencent à vouloir corriger notre manière de parler. Ils sont prudents, mais cette époque voit naître une habitude qui débouchera sur une phrase souvent entendue : « Même en parlant, il fait des fautes. »
Les grammairiens insistent pour que l’on prononce le s de « tous » lorsqu’il est pronom. Leur but n’est pas de nous simplifier la vie. Ne rêvons pas ! Si tel avait été le cas, ils nous auraient demandé de tous les prononcer. Ils désirent simplement que, à l’oral aussi, il soit possible de faire la distinction entre « ces habits sont tout abîmés » et « ces habits sont tous abîmés ». Ils sont encouragés par le succès de certaines de leurs trouvailles étymologiques. Par exemple, les partisans du s vont se trouver confortés par le fait que certains commencent à se prononcer. Ce que l’on disait juque, lorque, preque, puique se dit désormais « jusque », « lorsque », « presque » et « puisque ». L’oral a fini par obéir à l’écrit. Du coup, ils se sont dit que tout était possible…
102. POURQUOI DISONS-NOUS « CHAIRE » ET « CHAISE » ?
Pour que les professeurs d’université puissent se distinguer.
Entre les XIII eet XVI e siècles, le r à l’intérieur des mots tend à se prononcer s ou z . Les Parisiens disent faze le mot « farce ». Une réaction corrigera cette habitude, mais nous en avons gardé une trace dans le mot « chaise ». Celui-ci n’est autre que la prononciation populaire de l’antique « chaire », qui a perduré sous sa forme noble dans la « chaire » du prêtre ou du professeur. « Chaise » et « chaire » coexistent longtemps. Le peuple dit chaise , les savants chaire . Pensons à cette réplique de Martine dans Les Femmes savantes de Molière : « Les savants ne sont bons qu’à nous prêcher en chaise ! »
Mais nous utilisons encore le mot « chaire » lorsque nous voulons désigner un siège honorifique comme une « chaire d’université »… même s’il n’est pas qu’honorifique !
103. POURQUOI HÉSITONS-NOUS ENTRE LE MASCULIN ET LE FÉMININ ?
Pour décomplexer les étrangers.
Tous ceux qui apprennent le français comme langue étrangère le découvrent très vite avec joie : nos mots hésitent à distinguer le masculin et le féminin. Il arrive même à des francophones de se tromper (si ! si !). Pour mettre de l’ambiance au bureau, il suffit de demander naïvement : « On dit un ou une après-midi ? »
Vous étonnerai-je en vous disant qu’il en a toujours été ainsi ? Très souvent, l’origine latine joue un rôle. Rosa explique « la rose » : les mots en a de la première déclinaison étaient féminins. Murus explique « le mur » : ceux en us , de la deuxième déclinaison, étaient masculins. Si nous avons un ami qui étudie le français comme langue étrangère, conseillons-lui de bien mémoriser l’article avec le nom : house — « la maison ». Si nous l’aimons moins, disons-lui d’apprendre le latin ! Une aide utile mais pas suffisante.
En effet, parfois, l’analogie détermine le genre : on a eu tendance à unifier le genre des mots qui traitent d’un domaine équivalent. C’est rare, mais cela arrive. « Pendule » était masculin et l’est encore quand nous parlons d’« un pendule » (« le pendule de Foucault »). Une « horloge à pendule » désignait une petite horloge, que l’on a raccourcie en une « pendule ». « Pendule », dans ce cas, est féminin par analogie avec « horloge ». Ce dernier, masculin à l’origine, est progressivement, entre le XIII eet le XVII e siècle, devenu féminin, par analogie avec « montre ». En effet, « montre » désigne le cadran de l’horloge qui montre l’heure. « Montre » vient du verbe « montrer ».
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