En 1622, l’objet était encore tout à fait dans le vent : « La voilà damoiselle mariée à un homme de qualité, et porte les colets montez a quatre et cinq estages, les cotillons de satin à fleurs ! » dit une des visiteuses de L’Accouchée. Pourtant, même en pleine vogue, ce parement semble avoir contenu une certaine pruderie qui portait en germe le succès futur de l’expression ; une autre visiteuse remarque ainsi : « Si aujourd’huy une passementière porte un colet monté à cinq étages, elle le fait pour une considération qui est très bonne, sçavoir, afin qu’on ne puisse atteindre à son pucelage, qu’elle met et constitue au dernier estage de son colet. » Une autre ajoute : « Pourveu que vous ne touchiez point au colet ; vous estes le plus galand cavalier du monde ; mais, si une fois vous avez rompu un rang de passement vous perdez toute l’estime qu’on avait de vous auparavant [190] Les Caquets de l’accouchée.
. »
C’est que ça devait être fragile, ces échafaudages ! Un peu trop précieux même pour autoriser les plus menues galipettes !
Servir de chaperon
À la même mode appartient le chaperon, bien qu’il soit plus ancien que le collet. Au Moyen Âge c’était la coiffure qui allait avec la chape (voir p. 386) — un des anciens proverbes dit : « Qui a fait la chape doit faire le chaperon. » Le mot désigne aussi le capuchon de cuir qui enveloppe la tête de l’oiseau de proie pendant les déplacements, et qui l’empêche d’être effrayé.
Au début du XVII e il était devenu une « coiffure de tête qui avait un bourrelet sur le haut et une queue pendante sur l’épaule. » Il suivit, dans le même temps, le même sort que le collet monté. En 1666, dans Le Roman bourgeois, Furetière constate sa disparition : « C’est là [l’église des Carmes] que, sur le midy, arrive une caravane de demoyselles à fleur de corde [191] Élégantes et délurées ?
, dont les mères, il y a dix ans, portoient le chapperon, qui estoit la vraye marque & le caractère de la bourgeoisie, mais qu’elles ont tellement rogné petit à petit, qu’il s’est evanouy tout à fait. »
Littré définit le chaperon de naguère comme une « personne âgée ou grave qui accompagne une jeune femme par bienséance, et comme pour répondre de sa conduite ; locution prise — ajoute-t-il — de ce que cette personne couvre, protège, comme un chaperon. »
Cela se comprend, mais je ne suis pas sûr qu’il n’y ait pas eu aussi dans l’expression l’image du collet monté, comme le dit plus haut Furetière, d’une « vieille femme critique, un grand chaperon. »
Ici et en Espagne, mal vit qui ne gagne.
Vieux proverbe (en quelque sorte, prémonitoire…)
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le monde du travail n’a pas donné grand-chose à la langue, du moins dans le domaine des locutions courantes. L’artisanat a eu beau fourmiller en façons de parler pittoresques, en images, en comparaisons alertes prises aux outils, aux gestes quotidiens, c’est une parole qui, en France, n’a jamais été reconnue. Au fond, c’est assez logique ; à aucun moment le langage du travail ne s’est trouvé en contact étroit avec les deux pôles extrêmes qui ont été les véhicules majeurs de notre langue : le monde des voyous d’une part, plus hostile encore aux travailleurs qu’à quiconque parce qu’ils en étaient plus proches et aussi les victimes les plus ordinaires — et à l’opposé celui de la bonne société, le beau monde qui ne pouvait avoir que mépris souverain à l’égard des besogneux.
Il faut ajouter que la langue du travail a été longtemps le domaine de prédilection des langues régionales, chez les paysans de toute évidence, mais aussi chez les artisans de tout bois et de tout poil — langues régionales, ou français dialectal dans les régions franciennes, la verve des travailleurs n’avait aucune chance de passer la rampe ! Comme le dit P. Guiraud : « Il y a un tiers état du langage qui a toujours été soigneusement maintenu à l’écart ; on ne mélange pas les torchons et les serviettes. »
Il est significatif qu’à part quelques généralités, je n’aie pu grouper, parmi les expressions les plus courantes, que des résidus du domaine du tissage et de la couture, le seul (avec celui du commerce bien sûr, traité indépendamment) qui se soit constamment mêlé aux préoccupations du beau monde.
J’ai ajouté quelques locutions venues du théâtre, activité un peu particulière, et dont le contact avec la société polie est, je puis dire, sa raison d’être.
Généralités
Les jours ouvrables
Dans les anciennes coutumes, les loisirs, et par conséquent le travail, se réglaient sur l’observance des fêtes religieuses. Outre les dimanches, consacrés au Seigneur, donc aux offices, donc intouchables pour la productivité, il existait au fil de l’année un nombre assez coquet de fêtes de saints de haut renom qui étaient elles aussi obligatoirement chômées.
Chaque paroisse avait un saint patron et il aurait été offensant de ne pas l’honorer dignement par le repos et la fête.
Seuls les plus célèbres de ces « chômages » nous sont restés : le 15 août, fête de la Vierge, le jeudi de l’Ascension, les lundis de Pâques et de Pentecôte, ainsi bien sûr que la Nativité du 25 décembre : Noël. Heureusement certaines fêtes laïques et nationales sont venues renforcer le lot, suppléant aux Saint-Michel et aux Saint-Martin défaillantes…
Donc dans la pratique on peut dire que les « jours ouvrables » sont aujourd’hui ceux où les bureaux de poste et les banques sont ouverts, où l’Administration en général reçoit ses administrés. Le mot ouvrable s’en trouve rapproché naturellement du verbe « ouvrir », comme sur les pancartes des issues secondaires du métro parisien : « Ouvert de 5 h 30 à 20 heures les jours ouvrables. » Pourtant ce n’est pas du tout son sens véritable. Ouvrable est un dérivé de l’ancien verbe ouvrer, qui signifie travailler. Le mot a donné ouvrage, ouvroir, dans le sens d’atelier, œuvre, et bien entendu ouvrier. La malheureuse enfant du vilain comte d’Anjou et sa vaillante camarade, recueillies par une brave femme à Orléans, ne restent pas les deux pieds dans le même sabot :
Leur ouvrouer [192] Ouvroir.
ont apresté
Et se mectent a faire ouvrage ;
Si en font de maintes mennieres,
Quer [193] Car.
molt en sont bonnes ouvrieres.
Nés, quant par jor ouvré avoient,
Par nuit oiseuses pas n’est oient.
Ouvrer a donc été le mot usuel jusqu’au XVI e siècle, où il a été remplacé par travailler (voir plus loin).
Vers la fin du XVII e siècle « ouvrable » était lui aussi tombé en désuétude, et avait déjà son sens réduit actuel : « Ne se dit qu’en cette phrase, Jour ouvrable, & signifie les jours ordinaires de la semaine où il n’est pas fête, où il est permis de travailler, d’ouvrir les boutiques. On dit aussi jours ouvriers. » (Furetière.)
Charles d’Orléans disait justement :
Et tandis qu’il est jour ouvrier
Le temps perds quand à vous devise.
Faire le pont
« Il n’est pas de bonne fête sans lendemain », dit un vieux proverbe qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd : nous avons repris l’habitude salutaire de faire, dès que l’occasion se présente, d’agréables ponts pour relier les fêtes aux dimanches ! Nos ancêtres doivent se frotter les phalanges dans leur tombe de nous voir revenus à des coutumes aussi raisonnables.
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