Ce qui est sûr c’est qu’au XVII e au moins être aux trousses était compris comme se référant aux chausses et rapproché de « tenir quelqu’un au cul et aux chausses », le censurer, le serrer de près. La tournure s’accorde au sens général de « coller au cul », d’être « pendu aux basques » de quelqu’un — beaucoup moins bien avec l’idée majeure d’une cavalcade.
Tourner casaque
« Casaque — Manteau qu’on met par-dessus son habit, & qui a des manches où l’on fourre les bras. Les casaques sont commodes pour les gens de cheval.
« Il a pris la casaque, ou, il a rendu la casaque de Mousquetaire ; c’est-à-dire, il est entré au service, ou, il a quitté le service de Mousquetaire.
« On dit figurément, qu’un homme a tourné casaque, pour dire, qu’il a changé de parti. Ce prince étranger s’étoit mis du côté du Roi, mais depuis il a tourné casaque. Les troupes auxiliaires sont sujettes à tourner casaque » (Furetière).
Plutôt qu’un synonyme de « tourner bride » — faire demi-tour et montrer le dos (forme qui a peut-être influencé la construction de « tourner casaque ») — je pense que la casaque étant un élément important de l’uniforme des cavaliers, car elle était à la couleur du régiment, il faut comprendre qu’on la « retourne », qu’on change de couleur et donc de parti.
En tout cas la casaque ayant passé de mode on a « retourné sa jaquette. » Aujourd’hui on retourne allègrement sa veste !
Prendre une veste
À ce sujet on ne peut pas passer sous silence cette autre métaphore des périodes électorales : prendre ou ramasser une veste est une expression bien connue de tous les candidats. Elle était déjà en usage au siècle dernier : « M. Scribe ne pouvait se consoler de sa dernière veste », et résulte d’une joyeuse variation sur la formule plus ancienne prendre une capote venue de être capot aux cartes (voir p. 164).
Le Père Peinard écrit le 3 octobre 1897 : « L’an dernier, au congrès de Londres, la veste remportée par les politiciens était si richement matelassée qu’elle leur tient encore chaud. » Inconstance des métaphores : si la veste est vraiment très lourde on l’appelle à présent une déculottée !
Opiner du bonnet
Le bonnet est apparu au début du XV e siècle et il est resté très longtemps la coiffure courante des femmes comme des hommes. Voici son historique tel qu’il est donné au XVIII e siècle par Mœurs et coutumes des Français de Le Gendre, cité par le Dictionnaire de Trévoux : « On commença sous Charles V à abattre sur les épaules l’aumusse [coiffure de peau d’agneau avec le poil] & le chaperon, & à se couvrir d’un bonnet ; si ce bonnet étoit de velours, on l’appelait mortier ; s’il n’étoit que de laine, on le nommoit simplement bonnet. Il n’y avoit que le Roi, les Princes & les chevaliers qui se servissent de mortier ; le bonnet étoit la coiffure du clergé & des gradués : le mortier fut peu à la mode ; les bonnets y ont toujours été, avec cette différence, qu’autrefois ils étoient de laine, & que depuis environ cent ans, on ne les fait plus que de carte que l’on couvre de drap ou de serge. »
Cette histoire est partiellement inexacte. D’abord les mortiers n’ont été nommés ainsi qu’au XVII e siècle par comparaison avec une « machine de guerre » (large bouche à feu très courte) pour désigner la toque des magistrats. Ensuite ce Le Gendre ne parle là que des bonnets rigides des officiels, les « gros bonnets » qui dirigent les autres. Mais précisément ce sont eux qui, dans les assemblées de justice ou autres, opinent, c’est-à-dire donnent leur « opinion » — le mot a fini par se spécialiser sur une seule opinion au sens d’approuver.
Or c’était dans les conseils une forme de vote que d’ôter son bonnet pour marquer son adhésion à l’avis de l’orateur sur la question débattue — un vote, non à main levée mais à « bonnet levé. » C’est là, au sens propre opiner du bonnet. « On dit figurément — explique Furetière — qu’une question passe du bonnet, qu’on opine du bonnet, lorsque tout le monde est du même avis, ou qu’on opine sans raisonner & selon le sentiment de ceux qui ont déjà opiné. » Selon lui, il s’agirait même d’un vote à l’unanimité.
Avoir le béguin
Le béguin est une coiffure de femme ; à l’origine la coiffe des « béguines », un ordre religieux fondé au XII e siècle à Liège et qui eut un certain rayonnement pendant tout le Moyen Âge.
Un relevé de comptes de la fin du XIV esignale : « 22 aulnes de plus fine toille de Reins […] pour faire huit chemises, huit béguins et pleurouers pour ladicte dame (la reine). » Ce béguin passa ensuite aux enfants. Furetière le définit comme une « coeffe de linge qu’on met aux enfants sous leur bonnet, & qu’on leur attache par-dessous le menton […]. On dit proverbialement que les ânes ont les oreilles bien longues, parce que leurs mères ne leur avaient point mis de béguin. »
Or « être coiffé » de quelqu’un c’est être aveuglé par lui, réduit à sa merci : image traditionnelle de l’impuissance de celui qui a la tête couverte, ou le bonnet enfoncé sur les yeux. « Que de son Tartuffe elle paraît coiffée ! » dit Molière.
Naturellement si la coiffure est un béguin — elle l’était au XVI e siècle — la demoiselle est embéguinée : elle « prend sottement de l’amour » (Oudin).
Dans Francion, la vieille Agate, mère maquerelle, dit avoir correctement éduqué Laurette : « Je l’avais advertie de ne se point laisser embeguiner par ces fadaises là qui n’apportent pas de quoy disner, et son humeur libre la portoit assez à suivre mon conseil. »
C’est là l’explication traditionnelle du « petit béguin » du temps où il était une amourette — car le mot ces jours-ci est en totale voie de disparition. Je dois ajouter que Gaston Esnault propose une évolution un peu différente.
Il fait venir l’expression « avoir le béguin » comme un abrégé de « avoir le béguin à l’envers », qu’il atteste au XVI e siècle. La tête toute retournée ?… C’est encore plus fort — et aussi un raccourci qui me paraît logique.
Être collet monté
Des gens collet monté sont aujourd’hui des gens à cheval sur les principes et qui n’entendent pas raillerie sur les valeurs traditionnelles, généralement bourgeoises, que leur ont transmises leurs parents. On les voit un peu guindés, et forcément un peu dépassés par la mode ambiante…
L’image n’a guère varié depuis le XVII e, depuis ces hauts cols empesés, portés avec élégance par les dames au début du siècle — comme on le voit sur les portraits de Catherine de Médicis — puis devenus le symbole de l’Antiquité vers sa fin.
Monté veut dire « monté sur armature » aussi bien qu’en hauteur. « Les femmes avoient ci-devant des collets montés qui étoient soutenus par des cartes, de l’empois & du fil de fer — dit Furetière. On appelle encore une vieille femme critique, un grand chaperon, un collet monté. Molière a fait un plaisant usage de ce mot dans Les Femmes savantes, où il introduit Belise disant que le mot de sollicitude est bien collet monté. »
C’est qu’en effet, vers le milieu du siècle, les femmes qui portaient encore ce col passé de mode étaient des grand-mères dignes, guindées, à cheval sur les principes et qui n’entendaient pas raillerie sur les valeurs traditionnelles, etc.
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