Parmi les centaines de mots du premier Petit Larousse illustré qui ont été supprimés dans les éditions qui ont suivi, qui se souvient des mots qu’illustrent les exemples suivants ? Il trôle (promène) partout ses enfants ; Que le Bon Dieu te patafiole (confonde) ; Mousse, patine -toi (agis avec diligence) ; Toute agglomération a son pâtiras (souffre-douleur). Sans oublier la formule plaisante dont on se sert pour arrêter une énumération : « Et caetera pantoufle ! »
Enfin gardons-nous d’assimiler en 1905 un homme à poil avec un homme nu : l’ homme à poil désigne l’homme énergique. Habillé ou nu.
Du français vivant au français endormi
Le fort courant de mots qui nous fait voguer sur la langue est tantôt en surface, tantôt en profondeur. Des mots seulement nés il y a quelques années sont parfois déjà évanescents pendant que certains s’étirent, toujours plus denses au fil des siècles. Pas facile pour le lexicographe de photographier, de cartographier, dit plus judicieusement Alain Rey, ce fleuve si mobile et parfois impétueux, à la manière des océans ponctués par les tempêtes.
Il faudrait à la fois ne pas ignorer les mots qui s’évanouissent et ne pas laisser filer ceux qui viennent de naître avec une chance de survie. De fait, les mots au parfum d’autrefois ont quelquefois la vie plus dure que des nouveau-nés malchanceux ou vite inutiles. Il n’est pas aisé de vivre sa vie de mot !
En réalité, de la même manière que s’imposerait une sorte de maison de retraite pour les mots en voie d’oubli, maison de retraite mais aussi lieu possible de renaissance, il faut une sorte de lieu d’observation, un sas, pour ceux qui apparaissent et qui peuvent disparaître tout aussitôt. Ainsi, dans le Dictionnaire Hachette , on bénéficie depuis le millésime 1990 d’un appendice très appréciable, intitulé Les Mots nouveaux du français vivant, en somme des mots qui n’ont pas encore suffisamment d’assise pour pénétrer durablement dans le corps du dictionnaire, mais qui cependant ont peut-être de l’avenir.
Ces derniers relèvent soit d’une mode qui peut être éphémère, soit de la société de consommation avec de nouveaux objets à la durée non garantie (le minitéliste signalé en 1990 est enterré avec le minitel …), soit encore des mots techniques propres à des domaines en pleine évolution.
Il suffit de repérer les premiers mots de cette liste pour constater le succès des uns, l’oubli des autres. Accro , qui est dépendant d’une drogue, assurer , s’assumer avec brio, bédéphile , amateur éclairé de bandes dessinées, galérer , en somme « en baver », baliser , avoir peur, cliquer , sur la souris , mais aussi les anglicismes coacher , entraîner des sportifs, cocooning , sont bel et bien entrés dans l’usage et ont donc quitté ce sas d’attente pour s’insérer dans le corps du dictionnaire. On s’étonne même de leur caractère si récent alors qu’ils nous paraissent si courants. Inversement, l’ antémémoire , la mémoire informatique à accès rapide, l’ antilook , l’inverse du look, discothécaire , le burhôtel , la ludopole, Eurodisney par exemple, le tuciste , à rattacher au TUC , Travail d’utilité collective — un mécanisme de lutte contre le chômage qui a disparu — sont pour ainsi dire au fond des oubliettes.
Que dire de mots à la mode d’un soir nés de la dernière pluie, relevés en 1990, qui eurent encombré pour rien les colonnes du dictionnaire : touristroïka (ouverture touristique dans les pays totalitaires), castroïka (libération des institutions cubaines), fourchelangue (phrase difficile à prononcer).
S’il est plaisant de rappeler les mots récents déjà oubliés, il est sans doute encore plus satisfaisant de garder en mémoire les mots et expressions qui ont fait florès jadis, et continuent de donner à la littérature des siècles passés une authenticité qui nous touche.
Écrivains, évitez la beurrière
Au début du XXI esiècle, j’acceptai la direction éditoriale du Nouveau Littré , édition augmentée du Petit Littré . J’avais eu alors à cœur d’ajouter au dictionnaire un appendice intitulé le Dictionnaire du français oublié et le divisai d’emblée en trois parties, pour plus de commodité dans la consultation : Les Mots oubliés, Les Expressions oubliées et Les Proverbes oubliés . Hélas, dès l’édition suivante, cet appendice d’une centaine de pages disparaissait, ce passé-là n’avait pas eu d’avenir dans le dictionnaire de l’usage.
En réalité, associés à tout dictionnaire, tous les amoureux des mots, lexicophiles avant de devenir dicolâtres , appellent de leurs vœux deux appendices : celui, déjà évoqué, consacré aux mots nouveaux, en instance d’absorption par la langue ou au contraire en instance de rejet, et un autre appendice consacré aux mots anciens relevant d’un français oublié, mais en définitive disponibles tant ils sont d’une expressivité souriante. Ainsi en est-il d’ accueillance , récemment proposé par l’Institut de la qualité de l’expression, si efficacement dirigé par Jeanne Bordeau, pour une entreprise soucieuse d’éviter les anglicismes et souhaitant justement puiser dans le trésor oublié des mots français afin d’illustrer harmonieusement tel ou tel nouveau concept lancé sur le marché.
Parmi les mots oubliés, archaïsants, prêts à reprendre du service sous la forme humoristique, il serait peut-être préférable d’oublier l’ auteur à beurrières , c’est-à-dire celui « dont les écrits et productions mauvais et ridicules ne sont bons qu’à servir d’enveloppes aux beurrières ». Puisse en effet ce livre ne pas finir en pages arrachées sauvagement pour envelopper les demi-livres de beurre… Voilà pourquoi il faut s’efforcer de ne pas égrafigner le papier , autrement dit de ne pas écrire mal. Cela étant, si on y échoue, il restera à s’entregratter — se faire des compliments — entre auteurs à beurrières !
Ne faire ni A ni B . […] Ne pas savoir écrire.
Pierre Richelet, Dictionnaire françois, 1680.
Balloter une affaire . La discuter, l’agiter de part & d’autre, en délibérer.
Dictionnaire de l’Académie française, 1694.
On sort plus dispos d’un bain froid.
Exemple du Petit Larousse 1905, Article dispos.
Le dictionnaire est le seul livre qu’on trouve dans les familles qui ne lisent pas ou dans les familles françaises les plus pauvres, quand, dans les autres pays occidentaux, c’est la Bible.
Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Article Dictionnaire, 2005.
Il paraît toujours curieux de mettre en parallèle la Bible, grand texte religieux, et le Dictionnaire. Deux gros livres, certes.
Auxquels d’ailleurs, vous le remarquerez, la majuscule va bien et se retrouve aléatoirement d’un auteur à l’autre.
En principe, pour le recueil religieux, un B majuscule, mais pour le livre, un b minuscule, une bible de poche. Et le dictionnaire ? En principe pas de majuscule, mais, quand dans Comment j’ai fait mon Dictionnaire (1880) Littré rappelle le moment où il parvient au dernier mot, que déclare-t-il : « Mon assiduité permanente au travail, ne se laissant détourner par aucune distraction ni par aucune fatigue, fut récompensée. » Et, ajoute-t-il, « en 1865, je pus inscrire sur un dernier feuillet : Aujourd’hui j’ai fini mon Dictionnaire ». Avec un D majuscule.
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