Eleanor Goodrich, vous avez colorié quelques images de votre Vocabulaire . Qui êtiez-vous Eleanor ? Une enfant heureuse en tout cas, au cœur des mots, avec votre ami, l’instituteur des mots.
La roulotte
Ils sont là, sur mon étagère, ravis d’être de nouveau ouverts, ces vocabulaires . Avec leurs illustrations désuètes, charmantes. De belles idées, sans complications. Et dans le Vocabulaire de Gabet et Gillard, à la frontière du XIX eet du XX e, au milieu de l’ouvrage, page 84, une illustration, une roulotte traînée par un cheval usé, et deux personnes en haillons, tirant avec le cheval, la roulotte. Quelle lecture accompagne l’illustration ? Titre : Compagnons de misère. « On l’avait attelé avec des harnais de corde, rafistolés au hasard, vaille que vaille. Et la rosse s’en allait cahin-caha, à demi effondrée dans les brancards, secouant lentement sa grande tête décharnée… La montée se faisait plus âpre encore ; la bête bronchait, glissait sur l’argile molle et détrempée. »
Page d’en face, étude des adjectifs : « Une montée rude ; une argile molle, détrempée ; un cheval maigre, étique, fourbu. » Et un exercice de composition française, dont, sans état d’âme à l’infini, on propose le plan : « Sur la route : les nomades. La fin d’une étape. Un peu de repos. Autour de la marmite… De nouveau sur la route… Ils cheminent, ils vont… Où seront-ils demain ? » Et trois images pour aider l’enfant : I. En route. De nouveau, ils cheminent, les pauvres errants… II. L’homme s’attelle à côté du cheval, la femme pousse la voiture… III. Où vont-ils porter leur misère ? » Hugo n’est pas loin. Et l’humanité est au rendez-vous. Par les mots, par des manuels de vocabulaire. Il y a une étagère vide, à remplir.
WHIST, espèce de jeu. On dit et on écrit quelquefois whisk , mais peut-être mal à propos. Whist est la mimologie d’une espèce de sifflement qui a pour objet de réclamer le silence, comme notre chut et notre st , et qui a le même sens en anglais.
Charles Nodier, Dictionnaire raisonné des onomatopées françoises, 1808.
WHIST […] « Il feignait d’être absorbé dans une partie de whist (Proust, Sodome, 1922) » […] La première appellation whisk est peut-être tirée du verbe to whisk « déplacer d’un mouvement rapide et léger » alors que la forme whist lui aurait été substituée par une collision avec l’interjection actuellement désuète d’invitation au silence whist ! « chut ! » qui aurait été employée lors de ce jeu.
Trésor de la langue française, 1971–1994.
Dans le cas où je pourrai venir, ce sera par le train que tu indiques, à six heures cinquante-deux. Il y a un W.-R. [wagon-restaurant] où je dînerai. Voici un fait sémantique de la nouvelle langue sauvage. La racine W se décline et signifie ainsi tous les besoins du corps : W.-L. [wagon-lit], W.-C., W.-R.
Paul Valéry, Correspondance avec Gide, 1898. Extrait de l’article W, Trésor de la langue française, 1971–1994.
Lorsqu’un lexicographe aborde la lettre W , la fièvre du dictionnaire presque achevé ne manque pas de le prendre, mais aussi le désarroi, car les quatre dernières lettres de l’alphabet sont lettres délicates. « Le W est-il une lettre française ? » s’exclame-t-on dans un article de la Vie du langage , paru en 1972.
Vaterloo…
À dire vrai, la majorité des mots commençant par un w sont empruntés à des langues étrangères. Il suffit de lire les premiers mots du Petit Robert ou du Petit Larousse, wading, wagage , pour ne pas se sentir au cœur de la Touraine. Même si le wading , d’origine anglaise, désigne la pêche en rivière lorsque le pêcheur se tient dans l’eau pour la pêche à la truite ou au brochet, pourtant bien de chez nous… Quant au wagage , on ne quitte pas davantage la rivière, mais l’origine en est le néerlandais wak , humide, d’où le sens régional du mot : « Limon de rivière servant d’engrais. » Mais comment prononcer ces mots si on ne les a pas rencontrés dans une conversation avant de les lire ? En fait, comme week-end et wifi .
Origine et prononciation, ce sont les points forts que retient Pierre Larousse en toute fin de son Grand Dictionnaire universel , en 1876, pour décrire w , la lettre qui redouble le v. Une lettre qui, rappelle Augustin Thierry dans ses Récits mérovingiens (1840), aurait été imaginée par le roi burgonde Hilperik (Chilpéric Ier) pour correspondre à une prononciation tudesque, et rendue en définitive en doublant le v. Il s’agit donc, renchérit Pierre Larousse, d’une « Lettre propre aux langues du Nord, et qui n’est usitée en français que dans les mots empruntés à ces langues avec leur orthographe. En allemand et dans les mots français empruntés à cette langue, W a la valeur du V simple : il est donc une véritable consonne et les mots Wagram et Waterloo , etc., doivent se lire Vagram et Vaterloo . »
Vaterloo ? Non pas… mais de fait la prononciation du w n’a cessé de varier çà et là au fil des années. Il suffit en effet de consulter les dictionnaires de noms propres d’aujourd’hui pour constater que Waterloo ne se dit plus ainsi, mais à la manière du water-polo .
« Dans l’anglais, le hollandais et le flamand », poursuit Pierre Larousse, « W est une vraie voyelle qui a généralement le son de ou , comme dans Wellington, wigh , etc. Toutefois, cette règle a, dans l’anglais, d’assez nombreuses exceptions, et la voyelle W , surtout à la fin des mots, a des sons assez variés. »
Ne cherchez pas wigh , c’est d’évidence une coquille : il ne se trouve pas dans le Grand Dictionnaire universel . Pierre Larousse n’est pas à l’aise avec le w … Il s’agit vraisemblablement du mot whig (à prononcer ouigh , écrit-il) qui désigne en Angleterre aux XVIII eet XIX esiècles un membre du parti libéral s’opposant aux torys, un débat politique qui rend Larousse très loquace.
8 000, 800
Lettre double, insaisissable, le w ne manque assurément pas de variantes phonétiques qu’il s’agisse des mots de la langue ou des noms de lieux, les toponymes. Ainsi, dans quelles régions prolifèrent les noms de lieux commençant par W ? Dans le Nord-Est et le Nord. Le w vient des pays germaniques, dixit Larousse. De fait, aux portes de Boulogne-sur-Mer, cité de mes aïeux, on trouvera Wimille et Wissant et, bordant somptueusement le grand port de pêche : Wimereux. En l’occurrence, c’est spontanément, en petit-fils de Boulonnais, que je dis Wissant et Wimille comme s’il s’agissait de huit cents et de huit-mille ; j’entends d’ailleurs encore ma grand-mère soutenir en riant qu’à Wissant, on est forcément moins fort qu’à Wimille. En ce qui concerne Wimereux, la prononciation est sujette à polémique : on a toujours dit Vimereux dans la famille. Ce que semblerait confirmer le « écoutez » de l’article Internet consacré à Wimereux, mais que dément le Petit Robert des noms propres dont la transcription phonétique du w l’assimile à celle de Wimille. Affaire à suivre.
Florissant W
En revenant aux mots de la langue, un constat simple s’impose : les anglicismes ayant fait florès au cours des décennies successives, si on compte 55 mots commençant par la lettre W dans le premier Petit Larousse en 1905, le millésime 2014 en offre deux fois plus : 111. Il n’y avait d’ailleurs pas encore de chapitre particulier pour le W dans le premier Petit Larousse illustré mais un ensemble de trois lettres offertes d’un bloc, W-X-Y .
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