William Gibson - Lumière virtuelle

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Bienvenue à San Francisco ! Internet, satellites d’espionnage, pollution, sida et fêlés de la mort… En ce début du troisième millénaire, le monde est plus pourri que jamais. Pour preuve cette soirée au neuvième étage d’un hôtel vieillot mais sacrément huppé…
Chevette est entrée là par hasard alors qu’elle livrait un paquet. Lorsqu’un Européen, un peu pété, la bloque dans un coin… Réflexe stupide, elle lui pique une paire de lunettes. Quarante-huit heures plus tard Chevette est en cavale avec tous les flics à ses trousses. Officiels et ripoux, plus un certain Rydell…
Peu importe l’assassinat de Blix, l’homme qu’elle a délesté. Tout le monde flashe sur les lunettes, des lunettes à lumière virtuelle qui, une fois activées, vont livrer leur secret… et celui de la puissante Sunflower Corporation… De la dynamite !

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— Ensuite, disait la mère de Sublett, Gary Underwood saute par la fenêtre, mais il tombe sur une grille avec des pointes.

— Maman, cria Sublett. Tu ne vois pas que tu embêtes Chevette avec tes histoires ?

— Je lui racontais seulement La chambre à air , fit Mme Sublett, toujours sous son linge mouillé.

— 1996, murmura Sublett. De toute façon, Rydell et moi, nous avons besoin d’elle.

Il fit signe à Chevette de le suivre dans la cuisine.

— Je ne crois pas que ce soit une très bonne idée de l’envoyer dehors, Berry, dit-il à Rydell. Pas en plein jour, en tout cas.

Chevette regarda le bracelet des menottes à son poignet. Rydell lui avait scié l’autre, avec le bout de la chaîne, à l’aide d’une scie en céramique qu’il avait empruntée à un voisin. Cela avait pris environ deux heures.

Rydell était assis devant la petite table en plastique où elle avait pris son petit déjeuner.

— Tu ne peux pas y aller, toi, Sublett, à cause de ton apostasie. Et je ne veux pas me retrouver seul, là-bas, la tête dans un vidéo-casque à godets, sans personne pour m’assurer que ses parents ne débarquent pas ou qu’il n’écoute pas ce que je dis.

— Tu ne peux pas l’appeler avec un téléphone normal, Berry ? demanda Sublett d’une voix morose.

— Impossible. Ils n’aiment pas ça. D’après lui, si je les appelle avec un casque à godets, ils accepteront au moins de me parler.

— Quel est le problème ? demanda Chevette.

— Sublett connaît quelqu’un, ici, qui possède des godets de vision.

— Pote, fit Sublett.

— Un pote à vous ? demanda Chevette.

— Il s’appelle comme ça. Pote. Seulement, tous ses trucs de RV, les casques et le reste, c’est interdit par notre Église. Le révérend Fallon a eu la révélation que la réalité virtuelle était l’instrument de Satan, parce que cela empêche de regarder suffisamment la télé.

— Tu ne peux pas croire à des conneries comme ça, fit Rydell.

— Pote n’y croit pas non plus. Mais son père est capable de lui arracher les yeux s’il trouve l’attirail qu’il a caché sous son lit.

— Appelle-le, demanda Rydell. Répète-lui ce que je t’ai dit. Deux cents dollars cash, plus le temps passé et les frais.

— Les gens vont la voir, fit Sublett.

Ses yeux d’acier regardèrent timidement dans la direction de Chevette.

— Qu’est-ce que ça veut dire. Ils vont me voir ? demanda cette dernière.

— À cause de votre coiffure. Ils n’ont pas l’habitude. Vous ne pouvez pas passer inaperçue.

— Voilà les deux cents dollars que je t’avais promis, fit Rydell au garçon. Dans combien de temps dis-tu que ton père va revenir ?

— Pas avant deux heures, répondit Pote d’une voix éraillée d’angoisse en prenant l’argent comme si cela pouvait lui communiquer une maladie. Il est allé aider à couler une dalle pour les nouvelles piles à combustible qu’ils vont amener de Phoenix sur le gros porteur de l’Église.

Pote ne cessait de regarder Chevette. Elle avait mis un chapeau de paille appartenant à la mère de Sublett, avec un grand bord souple, et une paire de ces étranges lunettes de vieille dame, à la monture jaune citron et aux verres qui semblaient remonter dans les coins. Chevette voulut lui sourire, mais cela n’eut aucun effet.

— Comme ça, vous êtes des copains à Joel ? demanda-t-il. Vous venez de L.A. ?

Sa coupe de cheveux était presque Skin, et il avait un appareil dentaire. Sa pomme d’Adam faisait le tiers de la taille de son visage. Elle montait et descendait quand il parlait, et cela fascinait Chevette.

— C’est exact, répondit Rydell.

— Je… j’aimerais bien y aller, fit Pote.

— Tu as bien raison, lui dit Rydell. C’est ce qu’il faut faire. Et maintenant, attends-nous dehors, comme convenu, et préviens Chevette si quelqu’un se pointe.

Pote sortit en refermant derrière lui la porte de sa petite chambre. Elle ne donnait pas du tout l’impression d’être habitée par un gamin de son âge. Elle était bien rangée, et il y avait partout des portraits de Fallon ou de Jésus. Chevette éprouva un élan de pitié pour lui. Il faisait une chaleur étouffante. La climatisation de la mère de Sublett lui manquait. Elle ôta son chapeau.

— Assieds-toi sur le lit, ici, fit Rydell en prenant le casque en plastique, et débranche tout si quelqu’un s’amène.

Pote avait déjà préparé toute l’installation. Rydell s’assit par terre et mit le casque en place. Chevette ne voyait pas ses yeux. Il mit le gant spécial qui servait à activer les commandes et à déplacer les objets.

Elle suivit des yeux les mouvements de son index ganté qui appuyait sur une touche de clavier invisible, puis l’entendit parler à l’ordinateur de la compagnie du téléphone au sujet de la facturation à la fin de la communication.

— On y va, dit-il en levant la main pour composer le numéro que Lowell lui avait donné.

Son doigt, de nouveau, appuya sur des touches qui n’étaient pas là. Quand il eut fini, il serra le poing, le remua d’un mouvement latéral, puis reposa la main sur son genou.

Il demeura ainsi quelques secondes, tournant légèrement la tête d’un côté ou de l’autre comme s’il suivait quelque chose des yeux, puis cessa de bouger.

— D’accord, dit-il d’une voix toute drôle, qui ne s’adressait pas à elle. Mais est-ce qu’il y a quelqu’un.

Chevette sentit se dresser les poils de sa nuque.

— Oh ! fit Rydell en tournant de nouveau sa tête casquée. Bon Dieu !

35

La république du désir

Rydell aimait bien traîner au Mur du Rêve quand il était gamin au lycée. Il s’agissait d’exploitations japonaises en franchisage, implantées dans des sites variés tels que d’anciens cinémas ou supermarchés. Une fois, même, il était allé dans un ancien bowling, où tout était en longueur et où les images se déformaient si on essayait d’aller trop vite.

On pouvait jouer à ça de plusieurs manières différentes. Le jeu le plus populaire, à Knoxville, en ce temps-là, c’était les bagarres à coup de revolver, où il fallait tirer sur des tas de personnages à la gueule patibulaire, qui vous tiraient dessus eux aussi. Ensuite, un score s’affichait. Un peu comme l’entraînement dans les sections spéciales de l’académie de police, mais avec la moitié des résultats en moins et pas de… couleur locale.

Le jeu que Rydell préférait, cependant, c’était celui où il fallait, pour ainsi dire, sculpter des objets à partir de rien ou plutôt à partir d’un nuage de pixels, de polygones ou de truc comme ça. On voyait en même temps ce que faisaient les autres, et on pouvait réunir les objets, si les intéressés étaient d’accord. Ces choses-là le gênaient un peu, parce que c’était surtout les filles qui faisaient ça. Elles créaient des licornes et des arcs-en-ciel, alors qu’il préférait concevoir des voitures de rêve, comme s’il était un carrossier japonais célèbre à qui on aurait donné carte blanche pour un nouveau modèle. Lorsque c’était fini, on pouvait demander à la machine une photo en couleurs, ou une vidéo, si on avait animé l’objet. Il y avait toujours, à l’autre bout de la salle, des filles qui pratiquaient la chirurgie esthétique sur elles-mêmes, qui changeaient leur visage ou leur coiffure et qui imprimaient la photo dès qu’elles étaient satisfaites du résultat.

Rydell se mettait près de l’entrée, où il moulait des grilles de lumière verte autour d’un sujet qu’il avait préalablement dessiné, changeant la texture et la couleur de l’objet pour voir la différence.

Mais le souvenir qui lui revenait surtout, à l’esprit, en se branchant sur l’espace visuel de la République du Désir, c’était la notion qu’il avait de ce qui entourait le Mur du Rêve . C’était une drôle de sensation. Si on levait la tête de ce que l’on était en train de faire, il n’y avait vraiment pas grand-chose à voir. Rien de bien particulier, en tout cas. Mais au moment où l’on se concentrait, par exemple, sur la voiture qu’on était en train de créer, on avait l’impression d’être au bord du monde, au bord d’un vide qui continuait à perpétuité.

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