Je la désignai, avec fierté.
— Après d’innombrables tribulations, voilà la potiche de l’évêque ! Qu’en pensez-vous ?
— Seigneur, c’est hideux !
— Quoi ?
— Je sais que mon arrière-arrière-arrière-grand-mère l’a trouvée magnifique, mais… Mon Dieu ! C’est quoi ça ? Un dinosaure ?
— La signature de la Grande Charte.
— Je regrette de vous avoir fait perdre votre temps. Je présume qu’elle est indestructible ?
— Hélas, oui.
— Enfin, au moins est-elle authentique. J’espère qu’il n’y a rien d’aussi laid dans les autres églises.
— Quelles autres églises ?
— Vous n’êtes pas au courant ? À présent qu’il a été démontré qu’on peut ramener des choses du passé, j’ai des tas de projets. Le tremblement de terre de San Francisco, les entrepôts de la MGM, Rome avant que Jules César n’y mette le feu…
— Néron.
— Oui, bien sûr. Il faudra me rapporter son violon.
— Pour autant que je m’en souvienne, c’était une lyre et elle n’a pas été détruite par les flammes. Seuls des objets réduits en atomes…
Elle agita la main, pour rejeter cette objection.
— Les lois sont faites pour être transgressées. Nous commencerons par les quatorze églises de Christopher Wren victimes du Blitz, puis…
— Nous ?
— Évidemment. Je vous ai déjà retenu.
Elle s’interrompit pour fixer la potiche de l’évêque en fronçant les sourcils.
— Pourquoi des lis ? Il devrait y avoir des chrysanthèmes jaunes.
— Les lis sont de circonstance. La cathédrale et tous ses trésors ont resurgi de leurs cendres et le symbolisme…
Ce n’était pas ce qui pouvait la faire fléchir.
— Il y avait des chrysanthèmes jaunes. Dieu est dans les détails.
Elle repartit en trombe, à la recherche de la malheureuse au tablier vert.
Je demeurai devant la potiche de l’évêque. Quatorze églises de Christopher Wren. Et l’entrepôt de la MGM. Sans parler de ce qui lui viendrait à l’esprit quand elle prendrait conscience de toutes les possibilités.
Verity approcha.
— Qu’est-ce qui cloche, Ned ?
— Me voici condamné à assister à des brocantes jusqu’à la fin des temps.
— Calembredaines ! Ton destin est de passer le reste de tes jours avec moi…
Elle me tendit le chaton.
— Et Essuie-Plume.
Il n’avait aucun poids.
— Essuie-Plume, l’appelai-je.
Et il leva vers moi ses yeux gris-vert.
— Miaou, fit-il avant de ronronner.
Un bourdonnement à peine audible. Un ronronnet.
— Où l’as-tu trouvé ? demandai-je à Verity.
— Je l’ai volé. Ne me regarde pas comme ça. J’ai l’intention de le ramener à Finch, qui est bien trop occupé pour se rendre compte de quoi que ce soit.
— Je t’adore, avouai-je. Si tu dis que je suis destiné à vivre avec toi, dois-je en conclure que tu as décidé de m’épouser ?
— Je n’ai pas le choix. Je viens de rencontrer Lady Schrapnell. Elle estime que ce qui manque à cette cathédrale, c’est…
— Un mariage ?
— Non, un baptême. Pour étrenner les fonts baptismaux de Purbeck.
— Je ne voudrais pas que tu fasses une chose que tu pourrais regretter. Ne préfères-tu pas que j’attire l’attention de Lady Schrapnell sur Carruthers et Warder, ce qui te permettrait d’aller te réfugier dans un coin bien tranquille ? Waterloo, par exemple.
L’orgue entama « Les Cieux proclament la gloire incommensurable de Dieu » et le soleil se montra. Les vitraux de la partie est s’embrasèrent de bleu, de rouge et de pourpre. Je levai les yeux. Les claires-voies évoquaient une porte temporelle sur le point de s’ouvrir. La clarté emplit la cathédrale et se refléta sur les chandeliers d’argent, la croix à l’enfant, les stalles du chœur, les choristes, les artisans, les professeurs excentriques, la statue de saint Michel et la Danse macabre. Tout fut illuminé… les milliers d’éléments qui servaient un Dessein supérieur.
Je regardai la potiche de l’évêque en berçant le chaton dans le creux de mon bras. Les vitraux de la nef soulignaient le vase de couleurs chatoyantes et celui de la chapelle des Teinturiers teintait les chameaux, les chérubins et l’Exécution de Mary Stuart dans des tons d’émeraude, de rubis et de saphir.
— C’est vraiment innommable, commentai-je. Verity prit ma main.
— Placet, répondit-elle.
FIN