— Ce n’est pas ma maison, rétorqua Zeke. J’ai dit que j’avais compris, d’accord ?
— Bien, conclut Minnericht.
C’était moins une appréciation qu’une façon de renvoyer le garçon, mais ce fut le docteur qui sortit de la pièce en traînant presque Lester derrière lui.
Une fois qu’ils furent partis tous les deux, Zeke se mit à marcher de long en large, puis retourna à son assiette, sans toutefois s’asseoir. Il avait besoin de réfléchir, et il y arrivait plus facilement quand il était en mouvement et qu’il avait l’estomac plein, alors il emporta le poulet avec lui. Il le rongea jusqu’à ce qu’il n’y ait plus la moindre parcelle de viande sur les petits os. Puis il s’attaqua à ce que Minnericht avait laissé dans son assiette.
Après l’avoir également nettoyée, et s’être brièvement demandé où se trouvaient les cuisines, Zeke laissa échapper un rot puissant et se mit à réfléchir à propos des masques à gaz.
Le Dr. Minnericht, qu’il se refusait de considérer comme son père, devait en conserver quelques-uns quelque part. Manifestement, le sien était un modèle personnalisé, conçu pour lui et pour personne d’autre. Mais Zeke avait vu plusieurs personnes en dessous. Il y avait Yaozu, pour commencer, ainsi que l’homme noir qui n’avait plus qu’un œil. Et, avec toutes ces autres pièces, verrouillées ou non, il devait bien y avoir d’autres personnes. Au-dessus de lui, Zeke entendait des bruits : des pas lourds, comme ceux d’hommes portant des bottes. Parfois, ils marchaient comme s’ils effectuaient une ronde, et d’autres fois ils couraient en groupe.
Qui que soient ces hommes, ils n’étaient pas bloqués en dessous. Ils allaient et venaient. Il devait y avoir des masques quelque part, et si Zeke pouvait trouver le placard ou la salle dans lesquelles ces protections étaient rangées, alors il ne serait pas contre le fait d’en voler un.
À condition de les trouver.
Il fit le tour des pièces, mais il ne parvint pas à localiser de réserve secrète de masques à gaz, et ne rencontra personne. Le sous-sol de la gare était une ville fantôme, il n’entendait que le bruit intermittent des pas au loin, quelques conversations à peine audibles, et les tuyaux dans les murs qui sifflaient et s’efforçaient d’apporter de l’eau ou de la vapeur pour le chauffage.
Il devait bien y avoir quelqu’un, quelque part, qui s’occupait des chambres d’amis ; tout comme il y avait certainement un cuisinier qui reviendrait plus tard pour nettoyer, se persuada Zeke pendant qu’il arpentait les niveaux qui avaient été autorisés par son hôte.
Au bout d’un moment, son flair le conduisit jusqu’à la cuisine et il prit, dans les placards, des paquets de biscuits, deux pommes rouges et brillantes et quelques cerises séchées qui se révélèrent aussi sucrées que des bonbons quand il mordit dedans. Il ne trouva pas la source des aliments frais qui avaient été servis pour le dîner, mais Zeke était content de son butin. Il comptait donc le ramener jusqu’à sa chambre pour pouvoir le manger plus tard, ou au cas où il aurait un creux pendant la nuit.
Il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait, mais le besoin de rafler quelque chose et de le mettre de côté était à présent apaisé. Il retourna à sa chambre, s’assit sur le bord du lit moelleux et se mit à réfléchir tranquillement à ce qui allait venir ensuite, tout en digérant le poulet rôti chaud et lourd dans son estomac. Le poids du repas le retint sur les couvertures et lui donna envie de se coucher plus confortablement. Il se glissa sous les draps et, alors qu’il ne comptait fermer les yeux qu’un instant, il céda au sommeil jusqu’au lendemain matin.
Zeke se réveilla, bien déterminé à mener à bien ce qu’il restait du plan qu’il avait dressé la veille. Il mit dans ses poches les aliments qu’il avait chapardés (moins quelques bouchées pour le petit déjeuner) et retourna dans le couloir où se trouvait l’ascenseur. La grille était baissée, et elle était facile à bouger mais, une fois à l’intérieur, le garçon n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire. Quatre leviers pendaient d’un plafond grillagé au-dessus de sa tête, et quelque chose lui disait que l’un d’eux devait être une alarme.
Il devait bien y avoir des escaliers.
Quelque part.
Il devait y avoir d’autres personnes aussi, ou du moins, c’est ce qu’il était en train de penser quand un Chinois singulièrement grand et un Occidental remarquablement petit interrompirent leur course précipitée à l’angle d’un mur. Ils arrêtèrent de discuter pour regarder curieusement Zeke.
— Salut, lança-t-il aux deux hommes.
— Salut, répondit l’homme blanc.
C’était un petit gars rondouillard, de la taille de Zeke, mais qui était trois ou quatre fois plus large. Il portait une ceinture qui entourait sa taille comme l’équateur et un chapeau militaire rabattu sur ses cheveux trop longs.
— Tu es le fils Blue ?
— Je m’appelle Zeke, dit-il sans confirmer ni infirmer. Qui êtes-vous ?
Ils ne lui répondirent pas plus qu’il ne l’avait fait.
— Où vas-tu ? Il y a des Pourris là-haut, fiston. Si tu as un brin de jugeote, reste ici, là où c’est sûr.
— Je n’allais nulle part, je ne faisais que regarder. Le docteur a dit que je pouvais.
— Ah oui ?
— Oui.
Le grand Chinois mince se baissa pour mieux voir Zeke et demanda d’une voix rauque :
— Où est Yaozu ? Ce n’est pas notre travail de surveiller les gamins.
— C’est celui de Yaozu ?
L’homme plus petit répondit :
— Peut-être qu’il aime bien ça, être le bras droit du docteur. Peutêtre que non. Je ne saurais le dire, si ce n’est qu’il s’en accommode bien.
Zeke acquiesça, enregistrant l’information et la rangeant dans un coin de sa tête, au cas où elle serait importante.
— D’accord, laissez-moi vous poser une question, alors. Comment est-ce que je vais au-dessus ? J’ai quasiment tout vu, ici.
— Tu ne m’as pas entendu ? Tu n’entends pas l’agitation ? Ce sont des Pourris, fiston. Je les entends d’ici.
Le plus grand des deux hommes, qui avait des yeux bridés marron, intervint :
— C’est dangereux, là-haut. Les Oubliés et les Pourris font un très mauvais mélange.
— Allez, les gars, leur dit Zeke d’une voix enjôleuse, sentant qu’il était en train de perdre leur attention au profit de la destination vers laquelle ils se rendaient lorsqu’il les avait arrêtés. Aidez donc un pauvre gosse. Je veux simplement faire le tour de ma nouvelle maison.
Les deux hommes haussèrent les épaules en se regardant, jusqu’à ce que le plus grand des deux s’en aille, laissant le plus petit. Celui-ci secoua la tête :
— Non, je ne le crois pas. Et ne monte pas, si tu tiens à la vie. Les Pourris sont entrés partout, comme si quelqu’un leur avait délibérément ouvert les portes, et nous avons d’autres problèmes également.
— Comme ?
— Comme le fait que ton père n’a pas vraiment beaucoup d’amis à l’extérieur de la gare et que, parfois, ils lui posent des problèmes. Crois-moi, il vaut mieux ne pas te retrouver au milieu. De plus, je ne tiens pas à essuyer les plâtres si on t’attrape là-bas.
— Si je monte là-haut et que je me fais tuer, je ne dirai à personne que c’est vous qui m’y avez envoyé. D’accord ?
Le gros homme se mit à rire et cala ses pouces dans sa ceinture.
— Tu m’as eu, hein ? C’est correct, c’est sûr. Je ne te dirai pas comment fonctionne l’ascenseur, parce que ce n’est pas mon travail et je n’aime pas tirer toutes ces ficelles ; mais si tu devais suivre le couloir qui se trouve derrière moi, et aller tout au bout à gauche, tu trouverais un escalier. Si quelqu’un te le demande, je ne t’ai rien dit. Et, si tu restes dans le coin, alors n’oublie pas qui t’a rendu service.
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