— Je déteste ce truc, se plaignit-elle.
— Personne ne les aime, lui assura Varney.
— À l’exception de Swakhammer, dit Hank. (Il avait toujours l’air un peu éméché, mais il était à présent réveillé et debout, preuve que son état s’était nettement amélioré.) Il adore le sien .
L’homme en armure inclina la tête à gauche et dit :
— Bien entendu. Mais soyons honnêtes : le mien est magnifique.
Lucy lança, à travers ses filtres de coton et de charbon compressés :
— Qui a dit que les hommes n’étaient pas futiles ?
— Je n’ai jamais dit ça.
— Bien. Comme ça, je n’ai pas à vous traiter de menteur. Ah, les hommes et leurs jouets !
— S’il vous plaît, interrompit Briar. (La proximité des Pourris la rendait nerveuse et le froid s’infiltrait dans ses vêtements.) Que faisons-nous, à présent ? Monsieur Swakhammer, vous avez dit que nous allions monter puis sortir.
— C’est exact. Nous reviendrons Chez Maynard pour nettoyer plus tard.
Elle fronça les sourcils à l’intérieur de son masque.
— Alors, nous allons dans un autre lieu sûr ? Un lieu plus sûr, je veux dire. Peut-être que je devrais m’en aller maintenant et voir si je peux trouver Zeke.
— Oh non, pas avec ces choses qui sont en pleine effervescence, et pas avec de vieux filtres. Vous n’y arriveriez jamais, aussi bonne tireuse que vous soyez. Nous allons nous rendre aux anciens coffres et nous regrouper. Ensuite, nous ferons en sorte de dégager le passage et d’aller jusqu’aux bâtiments financiers.
— Vous êtes un rien autoritaire, non ? souffla-t-elle.
— Oui, mais raisonnablement , ajouta-t-il, sans avoir l’air vexé.
Willard leva la lanterne et Swakhammer ajusta le verre. Rapidement, le tunnel entier fut éclairé par un faible reflet orange.
L’humidité scintillait sur les murs bruts et Briar ne fut que légèrement rassurée de voir des piliers de soutien sortant de la terre et disparaissant dans le plafond qui, de l’autre côté, servait de plancher au bar. Des excavateurs étaient alignés le long des murs et étaient presque engloutis par ces derniers ; des godets s’enfonçaient dans la surface boueuse et ressortaient au-dessus de plusieurs chariots. Briar balaya du regard le décor qui l’entourait, des chariots aux rails qui se trouvaient en dessous, et elle comprit alors que cet endroit avait été réfléchi. Ce n’était pas une simple cave froide.
— Où est-ce qu’on est, ici ? demanda-t-elle. Vous avez dégagé cet endroit, n’est-ce pas ?
— Toujours plus profond, ma chère, répondit Lucy. Toujours plus profond. Pour les cas comme celui-ci, vous voyez ? On ne peut pas vraiment monter. On n’a ni le matériel, ni les moyens nécessaires pour le faire en sécurité. Ces murs nous enferment dans la ville aussi sûrement qu’ils tiennent le monde en respect. Alors, si nous voulons nous étendre, si nous voulons installer d’autres zones sécurisées ou créer d’autres passages, nous devons creuser.
Briar se redressa pour prendre une profonde inspiration à l’intérieur de son masque, et grimaça en aspirant la bouffée d’air qui sentait le moisi.
— Mais vous n’avez pas peur ? De fragiliser le terrain et de risquer que tout s’effondre ?
De l’arrière du groupe, Frank lâcha :
— Minnericht.
Comme si ce nom expliquait tout.
Swakhammer clarifia :
— C’est un fichu monstre, mais il est brillant. Ce sont ses plans. C’est lui qui a tout calculé et qui nous a montré comment sortir la terre sans affaiblir le bâtiment. Mais nous nous sommes arrêtés il y a six mois environ.
— Pourquoi ? voulut-elle savoir.
— C’est une longue histoire , répondit-il, avec un ton qui laissait supposer qu’il ne voulait pas poursuivre sur ce sujet. Allons-y .
— Où ? demanda Briar, tout en marchant dans ses traces.
— Aux anciens coffres, comme je l’ai dit. Ça va vous plaire. C’est plus près des bâtiments financiers. Nous allons sortir et jeter un œil. Peut-être qu’on pourra voir si votre fils est passé par là.
— Plus près ?
— Juste à côté. Nous allons vers le vieux bâtiment de la Swedish Trust, le seul qui ne se soit pas effondré. En fait, les fondations ont été sapées par le Boneshaker et le gros coffre en métal est devenu trop lourd pour le plancher. Alors, il s’est enfoncé. Et nous l’utilisons comme porte d’entrée. (Il leva la lanterne le plus haut possible et regarda par-dessus son épaule.) Tout le monde est là ?
— Oui, confirma Lucy. Avancez, mon grand, on vous suit.
À certains endroits, la voie s’élargissait tellement que la lumière de la flamme dansante ne pouvait pas atteindre les bords, et à d’autres, elle était tellement étroite que Swakhammer devait se mettre de côté pour pouvoir passer.
Briar avançait péniblement derrière lui, au milieu du groupe, suivant cette faible lueur jaune et pourchassant les ombres de l’intérieur de son misérable masque.
— Réveille-toi, Fiston. Tu es vivant ou tu es mort ?
Zeke ne savait pas vraiment qui parlait, ni si c’était bien à lui qu’on s’adressait.
Sa mâchoire lui faisait mal jusqu’aux oreilles. C’est ce qu’il remarqua en premier. Sa peau le brûlait, comme s’il s’était couché sur un poêle. Il sentit ensuite un poids sur son ventre, la pression inégale de quelque chose de lourd et dur. Vint ensuite une douleur vive dans son dos, à l’endroit où il était allongé sur quelque chose d’irrégulier et probablement coupant.
Quelqu’un le remuait, lui secouait la tête, cherchant désespérément à attirer son attention.
La pièce avait une drôle d’odeur.
— Fiston, debout, maintenant. Hé, ne joue pas au mort. Je vois bien que tu respires.
Il n’arrivait pas à savoir qui parlait. Ce n’était pas sa mère. Et ce n’était pas… Rudy, dont le nom le fit tressaillir et reprendre conscience soudainement. Se souvenir était une opération à la fois délicate et terrible. Soudain, il se rappela où il se trouvait, approximativement.
Il ouvrit les yeux et ne reconnut pas vraiment le visage qui était penché au-dessus de lui.
Presque androgyne à cause de l’âge, c’était pourtant celui d’une femme, se rendit compte Ezekiel. Elle était suffisamment vieille pour être sa grand-mère, il en était sûr, mais il était difficile d’être plus précis à la lumière de sa lanterne. Elle avait la peau un peu plus foncée que lui, de la couleur d’une blague à tabac en peau ou du pelage d’un cerf. Elle portait une veste d’homme, taillée pour quelqu’un de plus grand qu’elle. Quant à son pantalon trop large, dont les revers avaient été retroussés, il tenait grâce à une ceinture. Ses yeux étaient d’un brun sombre comme le café, et étaient surmontés de sourcils grisonnants qui s’accrochaient à son front comme des auvents.
Ses mains bougeaient comme des crabes, rapides et plus puissantes qu’elles ne le paraissaient. Elle lui enserra le visage.
— Tu respires, n’est-ce pas ?
— Oui… madame, répondit-il.
Il se demandait ce qu’il faisait allongé sur le dos, où pouvait bien être Rudy, comment il avait atterri là, depuis combien de temps il s’y trouvait et comment il allait faire pour rentrer chez lui.
Les sourcils gris broussailleux se froncèrent.
— Tu n’as pas respiré de Fléau, dis-moi ?
— Je ne sais pas, madame.
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