Swakhammer jura et se retourna vers la porte derrière le piano.
— Derrière vous ! cria-t-il.
— Monsieur Swakhammer, répondit Briar. Il y en a déjà plein devant moi !
Puis elle se remit à tirer.
Swakhammer courut à la porte du tunnel est et la retint, appuyant fermement son dos et ancrant ses pieds dans le plancher en bois. Celle-ci était en train de céder tout aussi vite que celle de l’ouest.
— On ne peut pas rester comme ça ! dit-il en s’écartant, alors que les premiers doigts grouillants essayaient de percer son armure.
Il se retourna brusquement, arma ses pistolets et tira sur la porte avec moins de précision que Briar n’en avait fait preuve. Les balles touchèrent autant le bois que les Pourris, affaiblissant la barrière. Un pied passa par le bas et remua comme s’il cherchait quelque chose.
— Allez-y ! hurla Briar en réarmant son fusil et tirant sur tout ce qui s’agitait derrière les trous dans les portes.
— Vous d’abord ! ordonna Lucy.
— Vous êtes plus près !
— C’est vrai ! reconnut-elle.
Lucy passa rapidement de l’autre côté du bar et plongea dans le trou.
Lorsque Briar entendit un bruit qui confirmait que la femme avait atterri dans un coin tout en bas, elle se retourna, juste à temps pour voir, à quelques pas d’elle, le visage masqué de Swakhammer, qui accourait.
Il lui saisit le bras si vite et si fort qu’elle faillit lui tirer dessus par accident, mais elle récupéra le fusil de sa main libre et le tint derrière elle comme un cerf-volant, tandis que l’homme la poussait dans la trappe.
Les portes cédèrent l’une après l’autre, l’entrée principale à l’ouest et le passage à l’est s’ouvrirent et un flot de corps brisés et puants se répandit à l’intérieur.
Briar les entrevit rapidement. Elle ne ralentit pas et n’hésita pas, mais elle pouvait regarder, non ? Ils arrivaient à une vitesse dont elle n’aurait jamais cru des cadavres capables. L’un portait des lambeaux de chemise. Un autre n’avait que des bottes, et les parties de son corps qui auraient dû être couvertes étaient tombées, révélant des os gris-noir.
— En bas , insista Swakhammer.
Il posa sa main sur le haut de la tête de Briar pour l’obliger à se baisser, et elle obéit à son geste.
Elle tomba presque, dans un mouvement qui rappelait la chute désordonnée de Hank, mais, au dernier moment, sa main attrapa un barreau et elle s’arrêta, se cognant les genoux contre les murs et les bords de l’échelle. Elle atterrit au fond et glissa par terre. Sa main nue toucha le sol et elle pria pour que ses gants soient dans les poches de son manteau. Sinon, elle ne savait pas où elle avait pu les laisser.
Elle fut soutenue par le coude et, dans l’obscurité, elle vit le visage inquiet de Frank qui se penchait vers elle.
— Madame, dit-il, vous allez bien ?
— Oui, oui, répondit-elle en se relevant, et en s’écartant juste à temps pour éviter de se faire écraser par Swakhammer, qui atterrit dans la pièce obscure avec un bruit sourd.
Il se redressa et saisit à pleines mains les poignées qui se trouvaient sous la trappe.
— Lucy, se contenta-t-il de dire.
Elle était déjà là. Sa main mécanique attrapa trois barres en acier, qui auraient pu être n’importe quoi avant d’être utilisées comme entraves. Elle les passa une par une à Swakhammer, qui assura fermement sa prise d’une main, tout en glissant les barres dans les poignées avec l’autre.
Au-dessus d’eux, des doigts décharnés griffaient la trappe, mais il n’y avait pas de prise à l’extérieur et Swakhammer avait emporté le pied-de-biche avec lui. Dans un dernier geste de défi, il coinça ce dernier dans une poignée, créant du même coup une entrave supplémentaire.
Alors que les mains et les pieds des choses mortes s’agitaient au-dessus d’elle, Briar essaya de scruter le tunnel et de se faire une idée de l’endroit où elle pouvait se trouver. Nul doute qu’elle n’avait jamais été aussi profondément sous terre auparavant, au-dessous d’un sous-sol, dans les entrailles de quelque chose d’autre, de plus bas et de plus humide. Cet endroit n’était pas comme les tunnels ouvragés, recouverts de briques, par lesquels Swakhammer l’avait conduite pour arriver Chez Maynard. Cette fois-ci, il s’agissait d’un simple trou creusé sous les fondations, et ce lieu la déconcerta. Il lui rappelait un autre tunnel, sous un autre bâtiment. Il lui faisait penser à un endroit sous son ancienne maison, où une machine catastrophique avait creusé sa route dans la ville avant de revenir à son point de départ.
Il y avait la même odeur de boue humide et de mousse, de sciure en décomposition. L’endroit puait comme quelque chose d’inachevé, qui n’était même pas vraiment né.
Elle frissonna et s’agrippa à son Spencer, mais la chaleur de l’arme récemment utilisée ne pénétra pas vraiment son manteau. Tout autour d’elle, les autres se blottissaient les uns contre les autres. Leur malaise alimenta le sien, jusqu’à ce qu’elle devienne tellement nerveuse qu’elle se mit à claquer des dents.
Finalement, la trappe fut totalement sécurisée et l’ombre massive de Swakhammer se dessina sous le plafond bruyant. L’homme demanda :
— Lucy, où sont les lanternes ? Il nous en reste encore ici ?
— On en a une, répondit-elle.
Le ton de sa voix, lorsqu’elle prononça le dernier mot, déplut à Briar, qui crut déceler un problème.
— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle.
— Il n’y a pas beaucoup d’huile, répondit Lucy. Je ne sais pas pendant combien de temps nous allons pouvoir l’utiliser. Mais la voilà, prenez-la, Jeremiah. Vous avez votre allume-feu, n’est-ce pas ?
— Oui, madame.
L’objet qui se trouvait dans sa main avait la taille d’une pomme et lui posa quelques difficultés : dans ses gants, ses doigts étaient trop malhabiles pour le manipuler.
— Donnez ! dit Briar. (Elle retira son masque et le rangea dans sa sacoche, puis tendit la main vers l’objet.) Dites-moi ce que je dois faire de ça.
Il lui passa l’objet et dit :
— Ne retirez pas encore ce masque, mademoiselle, nous allons remonter avant de redescendre. (Puis il indiqua un bouton dont la forme épousait celle d’un pouce.) Appuyez là-dessus. Non, plus vite. Plus fort. Poussez avec vos doigts.
Elle fit de son mieux pour suivre ses instructions et, après quatre ou cinq tentatives, une volée d’étincelles se prit dans une mèche épaisse et une flamme éclaira le petit groupe.
— Et maintenant ?
— Maintenant vous me donnez ça et vous remettez votre masque, comme je vous l’ai dit. Lucy, vous avez besoin d’aide pour le vôtre ?
— Ne soyez pas idiot, mon grand. Je maîtrise, répondit la tenancière du bar. (À l’aide de son unique bras, elle retira un masque replié de sous sa jupe et l’ouvrit d’un coup. Puis elle répondit à l’air interrogateur de Briar.) C’est une des inventions de Minnericht. Il est plus léger que celui que vous avez et il fonctionne bien, mais il ne dure pas très longtemps. Je ne dispose même pas d’une heure avec ces filtres-là. En général, je le range dans ma jarretière pour les cas d’urgence.
— Est-ce qu’une heure suffira ? demanda Briar.
Lucy haussa les épaules et plaça la protection sur ses yeux et son menton avec un mouvement qui n’aurait pas été plus fluide si elle avait eu deux bras.
— D’une façon ou d’une autre. Nous trouverons des bougies cachées quelque part avant que cela soit terminé.
Comme, tout autour d’elle, les autres occupants du tunnel sortaient leur masque et l’endossaient, Briar suivit le mouvement et remit le sien.
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