Cherie Priest - Boneshaker

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Nous sommes en 1880. La Guerre Civile américaine fait rage depuis plus de deux décennies, poussant les avancées technologiques dans d’étranges et terribles directions. Des dirigeables de combat sillonnent le ciel, et des véhicules blindés rampent dans les tranchées. Les scientifiques de l’armée détournent les lois de la nature et échangent leur âme contre des armes surnaturelles alimentées par le feu, la vapeur et le sang. Bienvenue dans le Siècle Mécanique, un siècle sombre et différent. C’est dans ce monde que vit Briar Wilkes et son fils. Elle est la veuve de l’infâme Dr. Blue, créateur du Boneshaker, la machine qui détruisit Seattle, perçant par-là même une poche de gaz qui transforma les vivants en non-morts. Mais un beau jour, son fils décide de pénétrer dans Seattle dans l’espoir de réécrire l’histoire. Sa quête le conduira dans une ville en ruine grouillant de morts-vivants affamés, de pirates de l’air, de seigneurs criminels et de réfugiés armés jusqu’aux dents. Seule Briar peut le ramener vivant.

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C’était comme si quelqu’un avait pris une armure complète et l’avait transformée en veste.

— Madame, nous n’avons pas toute la nuit, lança-t-il.

Elle faillit répondre qu’il ne faisait pas encore nuit, mais elle était essoufflée, inquiète, et extraordinairement heureuse de se trouver en compagnie de cet homme armé jusqu’aux dents.

— Je viens, répondit-elle.

Elle trébucha et se cogna contre le bras de l’homme, puis se redressa.

Il ne l’empoigna pas pour l’aider, mais ne la repoussa pas non plus. Il se contenta de faire demi-tour et de repartir vers la porte.

— Qu’est-ce que c’était que cette chose ? demanda-t-elle en le suivant.

— Les questions attendront. Faites attention où vous posez les pieds.

La route et les trottoirs étaient jonchés des corps enchevêtrés, crispés et grognants des Pourris. Au début, Briar veilla à les éviter, mais comme son guide la distançait, elle abandonna toute précaution et passa d’un cadavre à l’autre sans se préoccuper d’eux. Ses bottes brisèrent des bras et enfoncèrent des cages thoraciques. Son talon atterrit si près du visage d’une morte qu’il lui fracassa le crâne et emporta avec lui un morceau de peau, laissant la chair étalée sur les pierres.

— Attendez ! supplia-t-elle.

Pas question. Regardez-les , dit-il alors que lui-même ignorait superbement les Pourris frémissants.

Briar se dit que c’était une instruction ridicule. Elle ne pouvait pas s’empêcher de les regarder : ils étaient partout, sous ses pieds et à même la route, aplatis contre les rebords et appuyés contre les briques, la langue pendante et les yeux hagards.

Mais elle comprit ce que voulait dire l’homme en armure. Les choses revenaient à elles. Leurs mains tremblantes se mettaient à bouger de façon plus déterminée. Leurs pieds se tordaient et se tournaient, dans leurs tentatives pour se remettre debout. Chaque seconde qui passait, elles reprenaient leurs esprits, ou du moins elles récupéraient leur sens intuitif du mouvement.

— Par ici ! Plus vite !

— J’essaie.

— Ce n’est pas suffisant.

Il lança sa main en arrière et saisit Briar par le poignet. Il la tira en avant, la soulevant aussi facilement qu’un nourrisson au-dessus d’un nouvel amoncellement de Pourris étendus et trépignants.

L’une de ses abominables choses leva une main et essaya de saisir la cheville de Briar.

Elle envoya un coup de pied contre le bras décharné, mais le rata, car l’homme au masque ajusta sa prise et la tira à nouveau, au-delà du dernier tas de corps où un Pourri était assis en grognant et essayait de réveiller ses camarades.

Bien, c’est tout droit maintenant, indiqua l’homme.

— Tout droit jusqu’à quoi ?

— Jusqu’au sous-sol. Dépêchez-vous. Par là.

Il indiqua une construction en pierre ornée de statues mélancoliques de hiboux. Une pancarte à l’entrée indiquait que le lieu avait autrefois été une banque. La porte était maintenue fermée par de vieux conteneurs et les fenêtres étaient barricadées.

— Comment allons-nous… ?

Ne vous éloignez pas. En haut, puis en bas.

Sur le côté, il n’y avait pas de sortie de secours avec une échelle suspendue, mais, lorsque Briar leva les yeux, elle vit le dessous d’un balcon branlant.

L’homme qui portait la veste en acier retira un vilain marteau crochu de sa ceinture et le lança en l’air. Une longue corde de chanvre y était attachée et, lorsque le dispositif s’accrocha quelque part au-dessus, il tira et un ensemble de marches se déplia. Elles descendirent avec la grâce d’un pont-levis qui s’abat trop vite.

Il attrapa la première marche et s’appuya dessus pour la maintenir le plus bas possible. Elle se retrouva au niveau de la taille de Briar.

— Montez.

Briar acquiesça et fit passer son fusil dans son dos, libérant ainsi ses deux mains.

Elle n’allait pas assez vite au goût de l’homme qui, de sa large paume, la poussa aux fesses. Cela permit à Briar de s’accrocher des mains et des pieds à la structure, et elle évita donc de commenter le geste un peu cavalier.

Son poids était suffisant pour maintenir les marches suspendues au-dessus de la rue. Avec celui de l’homme en plus, les escaliers rabattables se mirent à craquer et à vibrer, mais ne cédèrent pas. La structure n’avait pas envie de les supporter tous les deux et faisait connaître son mécontentement en émettant un grincement inquiétant à chaque pas.

Briar ignora le bruit et se mit à grimper tandis que l’escalier remontait sous elle comme un tape-cul et que l’homme était sur ses talons.

Il tapota l’arrière de sa botte pour attirer son attention.

— Ici. Deuxième étage. Ne cassez pas la fenêtre. Elle se soulève.

Elle acquiesça et s’extirpa des marches pour passer sur le balcon. L’ouverture était barrée mais pas bloquée. Tout en bas, elle aperçut un loquet en bois. Elle le remonta et la fenêtre s’ouvrit.

L’homme la rejoignit et les marches remontèrent derrière lui. Libérés de leur contrepoids, les ressorts qui permettaient de baisser et de remonter la structure reprirent leur position d’origine et se bloquèrent, maintenant l’escalier hors de portée des Pourris, même les plus grands dotés des bras les plus longs.

Briar baissa la tête, se tourna sur le côté, et se faufila à l’intérieur.

L’homme en armure la suivit. L’urgence dont il avait fait preuve jusque-là s’évanouit ; à présent qu’il se trouvait au-dessus des Pourris, en sécurité dans l’ancien établissement bancaire, il se détendit et prit un moment pour ajuster son accoutrement.

Il dégrafa son armure, étendit les bras et fit craquer son cou d’un côté puis de l’autre. Il fallait ranger la corde accrochée au marteau, et il se mit à l’enrouler entre sa paume et son coude jusqu’à obtenir une boucle qu’il suspendit à sa ceinture. Il passa la main pardessus son épaule pour atteindre un étui d’où il sortit un dispositif en forme de tube qui était plus long que sa cuisse. On aurait dit un immense fusil, mais la détente avait la forme d’une palette en laiton et le barillet était protégé par une grille comparable à celle de son masque.

— Est-ce que c’est ce qui a provoqué ce bruit ? demanda Briar. Ce qui a pétrifié les Pourris ?

Oui, madame, répondit-il. C’est le Doozy Dazer du Dr. Minnericht, ou la bonne vieille Daisy, pour faire court. C’est une arme puissante, dont je suis l’heureux propriétaire, mais qui a ses limites.

— Trois minutes ?

Trois minutes, à prendre ou à laisser. C’est exact. L’alimentation est à l’extrémité. (Il désigna la poignée, enveloppée de minuscules tuyaux en cuivre et de fins tubes en verre.) Ça prend une éternité pour recharger cette chose.

— Une éternité ?

— Environ un quart d’heure. Ça dépend.

— De quoi ?

Électricité statique, répondit-il. Ne m’en demandez pas plus, parce que je ne connais pas les détails.

Elle admira poliment l’appareil.

— Je n’ai jamais rien vu de semblable. Qui est ce Dr. Minnericht ?

C’est un salopard, mais parfois c’est un salopard utile. Maintenant, est-ce que vous voulez bien m’expliquer qui vous êtes et ce que vous venez faire dans notre répugnante petite ville ?

— Je cherche mon fils, répondit-elle en esquivant la première partie de la question. Je crois qu’il est venu ici hier, il est remonté par les conduits de l’ancien système d’évacuation des eaux.

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