— Ils sont fermés, répondit-il.
— À présent oui, en effet. Tremblement de terre. (Elle s’appuya sur le rebord de la fenêtre et s’assit, trop épuisée pour faire de jolies phrases.) Je suis désolée, dit-elle en le pensant vraiment pour diverses raisons. Je suis tellement… Je savais comment c’était ici, je le savais, mais…
— Oui, c’est ce « mais » qui risque de vous tuer si vous ne faites pas attention. Donc, vous recherchez votre fils. (Il la dévisagea de la tête aux pieds.) Quel âge avez-vous ? demanda-t-il directement, car il ne pouvait pas très bien voir son visage derrière son masque.
— Je suis suffisamment vieille pour avoir un fils assez idiot pour venir ici, rétorqua-t-elle. Il a quinze ans. Est-ce que vous l’avez vu ?
— Il a quinze ans. Vous n’avez pas mieux comme description ?
— Combien de gamins de quinze ans viennent se perdre ici dans la même semaine ?
L’homme haussa les épaules.
— Vous seriez étonnée. Il y a beaucoup de gens des Faubourgs qui viennent ici, cherchant à voler ou à faire du troc, ou à apprendre comment traiter le Fléau pour en faire du suc-citron. Bien entendu, beaucoup ne survivent pas longtemps.
Même à travers le masque, l’homme vit les sourcils de Briar se froncer. Il ajouta donc rapidement :
— Je ne prétends pas que votre gamin est mort, ce n’est pas ce que j’ai dit. Il n’est arrivé ici qu’hier ?
— Oui.
— Bon, s’il a survécu jusqu’à maintenant, ça doit aller. Je ne l’ai pas vu, mais ça ne veut pas dire qu’il n’est pas dans le coin. Comment êtes-vous entrée ?
— J’ai profité d’une ballade en ballon avec un capitaine bienveillant.
— Lequel ?
— Écoutez, l’arrêta-t-elle en faisant un geste las de la main. Est-ce que nous pouvons discuter sérieusement ? Est-ce qu’on peut parler ailleurs ? J’ai besoin d’enlever ce masque, supplia-t-elle. Est-ce qu’il y a un endroit où je peux respirer librement ? Je suis en train d’étouffer.
Il prit le visage de Briar entre ses mains et le fit pivoter tout en examinant son masque.
— C’est un vieux modèle. Un bon modèle, c’est vrai. Mais, si votre filtre est bouché, ça ne sert à rien d’avoir un bon masque. D’accord. Descendons. Nous avons un local isolé ici dans la banque, ainsi qu’un accès aux passages souterrains.
L’homme la guida dans l’escalier qui descendait, sans lui tenir la main ni la tirer, mais en attendant quand il la devançait.
À l’entrée de la voie principale, il n’y avait pas de fenêtres pour laisser passer la lumière et une lampe à huile avait été posée à côté de la porte. Il s’en saisit, l’alluma, et la leva pour éclairer le chemin qui menait au sous-sol.
Le regard posé sur l’imposant dos de l’homme qui avançait dans les allées et descendait les marches, elle dit :
— Merci. J’aurais dû vous le dire avant, mais merci, de m’avoir aidée là-bas.
— Je ne faisais que mon travail, répondit-il.
— Vous êtes le comité d’accueil de Seattle ?
Il secoua la tête.
— Non, mais je garde les yeux ouverts au cas où il y aurait de nouveaux arrivants bruyants comme vous. La plupart des gamins se faufilent facilement et gardent le silence. Mais quand j’entends des tirs et des choses qui se cassent, il faut bien que je vienne voir de quoi il s’agit. (La flamme de la lanterne vacilla. Il l’agita pour faire tourner l’huile.) Il arrive que ce soit quelqu’un dont nous ne voulons pas ici et dont nous n’avons pas besoin. Il arrive aussi que ce soit une petite femme armée d’un gros fusil. À chaque jour sa nouveauté.
Au rez-de-chaussée, il y avait une porte dont toutes les parties avaient été enduites de poix et dont toutes les fentes étaient protégées par des bandes en cuir traité.
— Nous y voilà. Quand j’ouvrirai la porte, entrez rapidement. (Il lui donna la lanterne.) Je serai juste derrière vous. Nous voulons simplement maintenir la porte fermée, si vous voyez ce que je veux dire.
— Je vois, répondit-elle en prenant la lanterne.
D’une poche de son pantalon, il retira un anneau avec une dizaine de clés en fer noir. Il en choisit une et l’inséra dans un joint en caoutchouc où Briar n’aurait jamais pensé trouver une serrure ; mais il tourna la clé qui libéra un mécanisme, et la porte se déverrouilla.
— À trois. Un, deux… trois !
Il tira le loquet et le battant s’ouvrit vers l’extérieur dans un claquement.
Briar avança dans une obscurité totale et, comme promis, l’homme en armure se dépêcha de la rejoindre, puis il referma la porte et la verrouilla derrière eux.
— Un peu plus loin, dit-il.
Il reprit la lanterne et passa devant, à travers des bandes de cuir et de caoutchouc suspendues, et le long d’un autre bref couloir. Celui-ci se terminait par une étrange barrière qui ressemblait davantage à un écran en tissu qu’à une protection ordinaire. Les mêmes bandes traitées avaient été installées sur les côtés de façon à obtenir l’étanchéité dont disposaient déjà toutes les autres portes souterraines, sauf que celle-ci était poreuse.
Briar colla l’oreille contre la toile et sentit l’air qui la traversait.
— Attention. Mêmes règles qu’avant, soyez rapide. Un, deux… trois !
Cette fois, il n’eut pas besoin de déverrouiller quoi que ce soit. Le panneau coulissa sur le côté, s’escamotant dans le mur avec un crissement.
Elle le contourna rapidement et entra dans la pièce suivante, où des bougies se consumaient lentement en laissant des coulures sur une table. Autour de celle-ci, six fauteuils inoccupés avaient été regroupés, et derrière eux s’empilaient des caisses et d’autres bougies, tandis que s’ouvrait un nouveau couloir également équipé de ces fameux rideaux en cuir.
L’homme poussa le panneau et finit par le remettre à sa place.
Il traversa la pièce et commença à retirer son armure.
— N’enlevez pas votre masque tout de suite. Attendez une minute, indiqua-t-il. Mais mettez-vous à l’aise.
Les protections en métal de ses bras résonnèrent lorsqu’il les décrocha et les posa sur la table. Son arme tubulaire, Daisy, fit également un bruit sourd lorsqu’il la laissa tomber lourdement à côté de son armure.
— Vous avez soif ? demanda-t-il.
— Oui, répondit-elle dans un murmure desséché.
— Nous avons de l’eau ici. Elle n’est pas très bonne, mais ça désaltère. Nous avons également de la bière. Vous aimez la bière ?
— Oui.
— Allez-y, vous pouvez enlever votre masque maintenant, si vous voulez. Je suis peut-être superstitieux, mais je n’aime pas enlever le mien tant que le panneau de filtrage n’a pas été refermé depuis une minute.
Il plongea sa main à l’intérieur d’une des caisses qui portaient l’inscription « Poterie », et il en retira une chope. Il y avait un gros tonneau dans un coin. Il en souleva le couvercle et remplit la chope d’eau.
Il la déposa devant Briar.
Elle jeta un regard avide sur le liquide, mais l’homme n’avait pas encore enlevé son masque, et elle ne voulait pas être la première à boire.
Il comprit et détacha les sangles qui maintenaient la protection élaborée autour de sa tête. Celle-ci glissa sur sa poitrine avec le raclement du cuir que l’on étire et que l’on desserre, révélant un visage large et banal qui n’était ni gentil ni méchant. C’était un visage intelligent, avec des yeux bruns pétillants et un nez plat, que venaient compléter deux lèvres pleines et serrées.
Читать дальше