Elle sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle essaya de les frotter, mais elle avait oublié qu’elle portait un masque.
— D’accord. Très bien. Je suis heureuse de l’entendre.
— Sortons d’ici. Montons et voyons ce que nous pouvons trouver. Et puis… Et puis… Que voulez-vous faire ?
Elle passa le bras autour de sa taille et le serra de toutes ses forces alors qu’ils remontaient ensemble les marches.
Dans les étages au-dessus, ils pouvaient entendre les pirates qui fouillaient dans les tiroirs, mettaient à sac les étagères et les armoires.
— Allons leur donner un coup de main, lança Briar. Il y a un coffre dans le plancher de ma chambre, sous le lit. J’ai toujours pensé que je reviendrais un jour, je ne savais simplement pas combien de temps ça me prendrait.
Elle renifla, presque heureuse. Elle demanda :
— Quoi qu’il arrive, nous allons nous en sortir, n’est-ce pas ?
— Je pense que oui.
— Et quant à ce que nous allons faire ensuite… (Elle passa devant lui et le ramena dans le couloir, où la lumière de leurs deux lanternes donna un peu de chaleur à l’espace étroit.) Nous avons le temps de décider. Je veux dire, nous ne pouvons pas rester ici. Les souterrains ne sont pas un endroit pour un garçon.
— Ni pour une femme, d’après ce que j’ai entendu.
— Ni pour une femme, sans doute, concéda-t-elle. Mais peut-être que cela ne s’applique pas à nous. Peut-être que je suis une meurtrière, et toi un fuyard. Peut-être que nous sommes faits pour cette ville, et ces gens, et peut-être que nous pouvons y faire quelque chose de bien. Ça ne peut pas être bien pire que la vie que nous avons de l’autre côté du mur.
L’immense ombre du capitaine Cly les rejoignit dans le salon, et Croggon Hainey arriva par la porte d’entrée, ajustant son masque et jurant toujours à propos de son ballon volé. Il fit une pause suffisamment longue pour dire :
— C’est étrange, mademoiselle Wilkes. Je ne crois pas avoir été invité à cambrioler la maison de quelqu’un auparavant.
Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, aux bandes de papier peint qui se décollaient, au tapis moisi, et aux carrés d’étranges couleurs qui avaient autrefois été des tableaux. Des squelettes de meubles dépérissaient contre les murs et à côté de la cheminée, et les éclats cassants et tranchants d’une vitre brisée dessinaient de drôles de lignes sur les ombres brûlées à l’intérieur de l’âtre. Par les fenêtres, elle vit que le soleil était en train de se lever, à peine assez pour alléger le côté lugubre de la pièce, mais pas encore suffisamment pour lui donner un aspect réellement tragique.
Le sourire de Zeke s’était effacé, mais il l’arbora une nouvelle fois comme un étendard et dit :
— Difficile de croire qu’il y a quelque chose de valeur dans ce vieux taudis, mais maman a dit qu’il y avait de l’argent caché en haut.
Elle garda son bras autour de lui, le rapprochant autant que possible d’elle, et sentant la chaleur de son corps.
— C’est ma maison, déclara-t-elle aux deux capitaines. S’il reste quelque chose de valeur à emporter, alors allons-y. Sinon, j’en ai terminé. J’ai récupéré ce que je pouvais, et cela me suffit.
Zeke resta immobile pendant qu’elle lui passait la main dans les cheveux, puis il se retourna vers le capitaine Cly et demanda :
— Est-ce que c’est vrai que vous y étiez, pendant l’évasion ? Maman dit que vous êtes un de ceux qui ont ramené mon grandpère chez lui.
Cly acquiesça et répondit :
— C’est exact. Mon frère et moi. Fouillons cet endroit, remontons à bord, et alors je te raconterai tout, si tu veux. Je te raconterai toute l’histoire.
À l’usine, un contremaître à l’air maussade, qui portait des gants très épais, répondit à Hale Quarter que non, Mme Blue n’était pas venue travailler ce jour-là. D’ailleurs, cela faisait presque une semaine qu’elle ne s’était pas présentée et, en ce qui le concernait, elle ne faisait plus partie du personnel. De plus, il ne savait pas ce qu’il était advenu d’elle et, non, il n’avait aucune idée de l’endroit où elle pouvait se trouver, ni de ce qu’elle pouvait faire à présent.
Mais si Hale était vraiment intéressé, inquiet, ou bien s’il ennuyait, il était cordialement invité à aller fouiller dans les effets personnels qu’elle avait pu laisser. Pour autant que le contremaître le sache, personne n’avait vidé son étagère ou son casier.
Briar n’avait rien laissé qui puisse intéresser qui que ce soit.
Le jeune biographe acquiesça d’un signe de tête et passa un doigt entre le col de sa chemise et son cou. Il régnait dans la pièce une chaleur étouffante. De la vapeur suintait, tourbillonnait et parfois jaillissait des fissures des énormes machines, et l’eau bouillante utilisée pour le traitement se déversait d’un creuset à l’autre en une cascade fumante et grésillante qui engendrait une atmosphère chaude et pesante. Les ouvriers l’observaient avec suspicion et un mépris non dissimulé. Même si personne ne leur avait dit qui Hale cherchait, il leur suffisait qu’il soit vêtu d’une tenue visiblement faite sur mesure et qu’il ait un carnet sous le bras. Le seul fait qu’il porte des lunettes s’embuant à chaque fois qu’une cuve suspendue au-dessus de sa tête était actionnée était largement suffisant. Il n’était pas des leurs et ils n’étaient pas prêts à se montrer cordiaux envers lui. Ils voulaient le voir quitter leur territoire, s’en aller de leur lieu de travail.
Hale se conforma à leurs attentes et déguerpit de la zone de traitement principale en dérapant légèrement sur les grilles nimbées de vapeur qui faisaient office de plancher entre les différents postes.
Avant de quitter totalement la pièce, il se retourna pour demander par-dessus son épaule en forçant la voix :
— Comment puis-je reconnaître ce qui lui appartient ?
Le contremaître ne détourna même pas le regard des soupapes qu’il surveillait. Une grosse aiguille rouge oscillait entre une zone bleue et une autre, jaune. Il répondit simplement :
— Vous trouverez.
Hale retourna à l’entrée située à l’arrière du bâtiment et se rendit dans la pièce où les employés rangeaient leurs affaires. Il ne lui fallut que quelques instants pour comprendre ce que le contremaître avait voulu dire. Il trouva en effet sans peine une étagère sur laquelle le nom de Briar avait été écrit. En tout cas, ça avait dû être l’idée de départ. Des graffitis et gribouillis s’étaient succédés dans une sorte de lutte sur tout le bord, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place pour que l’on puisse y lire quoi que ce soit avec certitude.
Une paire de gants était posée sur l’étagère, mais lorsque Hale tenta de les attraper pour les examiner, ils restèrent collés au bois.
Il se dressa alors sur la pointe des pieds pour regarder par-dessus la planche et constata qu’une petite mare de peinture bleue s’était figée en quelque chose d’aussi résistant que de la colle. Il laissa les gants où ils étaient et, puisque la peinture était suffisamment sèche pour pouvoir tâtonner autour, il glissa la main plus loin sur l’étagère en espérant trouver une trace de la vie de Briar. Du fond du casier, il retira une seule et unique lentille qui provenait d’une paire de lunettes bon marché, la lanière cassée d’un sac et une enveloppe qui portait effectivement le nom de Briar, mais ne contenait plus rien.
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