Fang revint sur le pont du dirigeable.
— Ça ne nous maintiendra pas très longtemps, dit Cly, mais pour quelques minutes, ça ira.
Le capitaine Hainey, qui servait de second à contrecœur, demanda :
— Est-ce que vous avez besoin d’aide ?
Briar comprit ce qu’il voulait vraiment dire, et répondit :
— Est-ce que vous pouvez nous laisser seuls quelques minutes ? Ensuite venez à l’intérieur, et je vous aiderai à trouver l’or qui reste. Vous aussi, capitaine Cly. Je vous dois beaucoup et tout ce que vous pourrez trouver est à vous.
— Combien de minutes ? demanda Hainey.
— Dix, peut-être ? répondit Briar. Je voudrais retrouver quelques effets personnels, c’est tout.
— Prenez-en quinze, lui dit Cly. Je le retiendrai s’il le faut, ajouta-t-il.
— J’aimerais bien te voir essayer, rétorqua Hainey.
— Je sais. Mais, pour le moment, laissons à cette dame le temps qu’elle demande, d’accord ? Allez-y maintenant, avant que les Pourris ne se rendent compte que l’action n’est pas uniquement à la gare, et viennent aussi voir ce qui se passe du côté des collines.
Zeke n’eut pas besoin de se le faire dire deux fois. Il fila attraper l’échelle de corde et, avant que Briar ne puisse le rejoindre, Cly s’était levé de son siège. Il la prit doucement par le bras et demanda :
— Est-ce que vos filtres sont en bon état ?
— Oui.
— Est-ce qu’il y a quelque chose… ? Est-ce qu’il y a… ?
Peu importe ce qu’il voulait demander, Briar n’avait pas le temps et lui répondit :
— Laissez-moi le rejoindre, voulez-vous ?
— Désolé, lui dit-il, et il la relâcha. Est-ce qu’il vous faut de la lumière ?
— Oh. Oui. Merci.
Il lui donna deux lanternes et quelques allumettes, et elle le remercia encore une fois. Elle enfila les poignées autour de sa main et les fit glisser le long de son bras pour pouvoir assurer ses prises le long de l’échelle.
Quelques instants plus tard, elle se tenait dans son ancien jardin.
L’herbe était aussi morte que le vieux chêne, et il n’y avait plus rien que de la boue et une légère couche de gazon et de fleurs décomposés depuis longtemps.
La maison elle-même avait pris une teinte jaunie, gris-brun, comme tout ce qui avait été souillé par le Fléau depuis seize ans.
Autour du porche où des rosiers florissaient par le passé, il ne restait plus que des résidus squelettiques d’une végétation cassante et empoisonnée.
Elle posa les lanternes au sol, à l’entrée, et frotta les allumettes pour les allumer.
La porte d’entrée était ouverte. À côté, une fenêtre avait été cassée. Si Zeke l’avait fait, elle ne l’avait pas entendu, mais il n’aurait pas été difficile à quiconque de passer le bras à l’intérieur, de déverrouiller la porte, et d’entrer.
— Mère, vous êtes là ?
— Oui, répondit-elle, faiblement.
Elle n’arrivait pas à respirer, et cela n’avait rien à voir avec le masque.
À l’intérieur, tout n’était pas exactement comme elle l’avait laissé, mais peu de chose avait bougé. Des gens étaient venus, c’était évident. Il y avait des choses cassées et les objets qui avaient été laissés en évidence avaient été volés. Un vase japonais bleu et blanc était fracassé au sol. L’armoire chinoise avait été saccagée et tout ce qui était à l’intérieur avait été emporté ou brisé. Sous ses pieds, un tapis oriental avait les bords retournés à l’endroit où il avait été piétiné, et plusieurs séries d’empreintes sales sillonnaient le salon, la cuisine et la pièce où Ezekiel se trouvait actuellement, regardant et découvrant tout pour la première fois.
— Mère, regarde cet endroit ! dit-il, comme si elle ne l’avait jamais vu auparavant.
Elle lui tendit une lanterne et lui dit :
— Tiens, voici un peu de lumière pour que tu puisses effectivement le voir .
Là, il y avait le canapé en velours, tellement recouvert de poussière qu’il était impossible de dire de quelle couleur il était à l’origine. Et ici, un piano avec une partition toujours à sa place, prête à être jouée. Et là-bas, au-dessus de la porte, un fer à cheval qui n’avait jamais porté chance à personne.
Briar se tenait au milieu de la pièce et essayait de se souvenir à quoi elle avait ressemblé seize ans auparavant. De quelle couleur avait été le canapé ? Et le fauteuil à bascule dans l’angle ? Est-ce qu’elle y avait un jour jeté un châle ou une écharpe ?
— Ezekiel, murmura-t-elle.
— Maman ?
— Il y a quelque chose que je dois te montrer, dit-elle.
— Qu’est-ce que c’est ?
— En bas. Il faut que je te montre où ça s’est passé, et comment ça s’est passé. Il faut que je te montre le Boneshaker.
Un large sourire éclaira le visage du garçon. Elle pouvait voir ses yeux briller derrière le masque.
— Oui ! Montre-moi !
— Par ici, dit-elle. Ne t’éloigne pas. Je ne sais pas si le plancher a résisté.
Au moment où elle disait cela, elle aperçut une de ses anciennes lampes à huile suspendue à un mur comme si elle n’était jamais partie. Le réservoir en verre était intact, ni fissuré ni même déformé. Lorsqu’elle passa à côté, la lumière de sa lampe industrielle bon marché s’y refléta et lui redonna brièvement vie.
— Les escaliers sont par-là, dit Briar.
Ses jambes lui faisaient mal rien qu’à l’idée de parcourir encore une fois des marches dans la journée, mais elle ouvrit la porte du bout des doigts et les charnières émirent un grincement familier. Elles étaient rouillées, mais avaient tenu et, quand le battant bougeait, elles chantaient exactement les mêmes notes qu’avant.
Zeke était trop excité pour parler. Briar s’en rendit compte à sa démarche sautillante derrière elle, au sourire permanent qu’il affichait à l’intérieur du masque, ainsi qu’à sa respiration rapide et sifflante.
Elle sentit le besoin d’expliquer.
— À l’époque, il y a eu un concours. Les Russes voulaient trouver un moyen d’extraire l’or sous la glace du Klondike. Ton père a remporté le concours, alors ils l’ont payé pour construire une machine qui percerait plusieurs centaines de mètres de glace. (À chaque marche qu’ils descendaient, elle ajoutait un nouvel élément d’explication, tentant de ralentir leur allure, même si elle se forçait à avancer.) Il n’y a quasiment jamais de dégel là-bas, j’imagine, et exploiter le minerai est extrêmement compliqué. Quoi qu’il en soit, Levi avait six mois pour construire la machine et la présenter à l’ambassadeur lorsque celui-ci viendrait en ville. Puis il a dit qu’il allait essayer l’engin plus tôt, parce qu’il avait reçu une lettre le lui demandant.
Elle atteignit la cave.
Elle leva sa lanterne et la laissa éclairer la pièce. Ezekiel arriva à sa hauteur.
— Où est-il ? demanda-t-il.
Les rayons de la lampe illuminaient une pièce presque vide, avec quelques bâches éparses qui avaient par le passé recouvert telle ou telle autre machine.
— Pas ici. Ce n’est pas le laboratoire. Ce n’est qu’une cave. C’est ici qu’il avait l’habitude de stocker tout ce sur quoi il travaillait en attendant que quelqu’un l’achète ou de savoir ce qu’il allait en faire.
— Que s’est-il passé ?
— Je suppose que Minnericht a emporté tout ce qu’il pouvait. La plupart des engins que j’ai vus là-bas dans la gare provenaient d’ici. Ces belles lampes, tu les as vues ? Alimentées par de l’électricité, elle-même générée à partir de je-ne-sais-quoi. Est-ce que tu as vu le fusil qu’il avait ? Cette chose à trois canons ? Je n’en ai jamais vu ici, mais j’ai vu quelques dessins. Ils étaient sur ce bureau.
Читать дальше