Briar se mit également à hurler :
— Bien sûr que vous ne nous devez rien ! Parce que vous n’êtes pas mon mari, et que vous n’êtes pas son père, et que ceci n’était pas notre combat, ni notre problème. Mais vous ne vous en êtes pas rendu compte à temps, Joe Foster !
— Arrêtez d’utiliser ce nom ! Je ne veux pas entendre ce nom, je déteste ce nom et je ne le porterai pas ! Pourquoi connaissez-vous ce nom ?
Angeline se trouvait sur place pour répondre.
Avant que Briar ne puisse faire le moindre geste, la vieille femme était sur lui, l’enserrant comme un étau, aussi méchante qu’un puma, et beaucoup, beaucoup plus mortelle. Elle tenait un de ses couteaux dans la main, puis il apparut sous le menton de Minnericht, sur la ligne étroite où sa peau rejoignait son masque.
Elle se servit de son propre poids pour faire basculer la tête de l’homme en arrière, et étira cette ligne, exposant sa pomme d’Adam ainsi qu’une bande de chair blanche. En face, Briar étouffa un cri et Zeke sauta au-dessus des débris pour aller se réfugier à côté de sa mère dans l’abri que proposait le trou.
— Pour Sarah Joy Foster, que vous avez tuée il y a vingt ans, déclara Angeline.
Et, d’un geste rapide qui trancha profondément dans le muscle, elle tira un trait le long de cette ligne.
Il déclencha deux des trois canons de son fusil, mais les balles se perdirent sous l’effet du déséquilibre et du choc. Il tournoya, trébucha, glissa et s’effondra sur le sol en marbre éraflé qui était souillé de son propre sang. Celui-ci s’échappait en deux jets impressionnants de chaque côté de son cou, car Angeline n’avait pas hésité à trancher d’une oreille à l’autre. Elle resta sur son dos, le chevauchant comme un cheval sauvage. Il essaya d’attraper la femme, sa gorge, ou n’importe quoi pour retrouver son équilibre. Mais il saignait trop vite, et en trop grande quantité.
Il ne lui restait pas longtemps à vivre, et il voulait marquer le coup. Alors il essaya de faire tourner le fusil dans ses mains, pour viser vers l’arrière, au-dessus de son épaule, mais l’arme était trop lourde. Il avait perdu beaucoup trop de sang et il était trop faible. Il tomba à quatre pattes et, finalement, Angeline le lâcha.
Elle donna un coup de pied dans le fusil pour l’envoyer hors de portée, et l’observa pendant qu’il se vidait de son sang et que son superbe manteau rouge le devenait plus encore. Briar se retourna. Elle se fichait de la mort de Minnericht, en revanche elle s’inquiétait pour Swakhammer, qui ne saignait pas autant, mais que la vie quittait également. Il était peut-être déjà trop tard.
Zeke recula d’un ou deux pas. Jusque-là, elle n’avait pas remarqué qu’il était venu se cacher derrière elle.
Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis la referma car un nouveau bruit fit réagir sa mère qui souleva le Spencer, l’arma et visa.
— Baisse-toi, lui dit-elle et, miracle, il obéit .
Angeline se traîna jusqu’au trou, grimpa sur le bord et se prépara à faire feu, juste au moment où Lucy O’Gunning faisait son entrée dans la pièce où la bataille venait de s’achever.
Elle avait retrouvé ou réparé son arbalète, et elle l’avait accrochée à son bras, prête à tirer. Elle visa Angeline, avant de s’apercevoir de qui il s’agissait. Elle abaissa son arme et dit :
— Mademoiselle Angeline, qu’est-ce que… ?
Enfin, elle aperçut Briar et se mit presque à rire.
— Eh bien, en voilà une association ! Ça alors ! Il n’y a pas beaucoup de femmes ici, dans les murs, mais je ne m’aventurerais pas à chercher des noises à celles qui s’y trouvent.
— Vous pouvez vous inclure dans le nombre, Lucy, répondit Briar. Mais ne souriez pas trop vite. (Elle indiqua Swakhammer, que celle-ci ne pouvait pas voir par-dessus le mur qui s’effritait.) Nous avons un problème, et il est gros, et lourd.
— Jeremiah ! s’exclama Lucy en passant la tête au-dessus des décombres.
— Lucy, il est en train de mourir. Nous devons le sortir d’ici et le ramener dans un endroit sûr.
— Et je ne sais pas si ça va le sauver ou non, dit Angeline. Il a pris un sacré coup.
— Je vois ça, lâcha Lucy d’un ton presque cassant. Nous devons l’emmener… Nous devons le mettre… dit-elle, comme si, en parlant suffisamment longtemps, une idée allait finalement lui venir.
Et effectivement, ce fut le cas.
— Les rails des mines.
— C’est une bonne idée, approuva Angeline. Il sera plus facile à descendre qu’à monter et, si on peut le mettre dans un chariot, on pourra le faire rouler jusqu’aux Coffres sans trop de problèmes.
— Si, si et si. Comment allons-nous… commença Briar.
— Donnez-moi une minute, l’interrompit Lucy.
Puis elle s’adressa à Swakhammer :
— Vous, ne vous avisez pas d’aller où que ce soit, mon grand ! Accrochez-vous. Je reviens.
S’il l’avait entendue, il ne laissa rien transparaître. Sa respiration était si faible qu’elles avaient du mal à la détecter, et le mouvement de ses yeux sous ses paupières s’était ralenti, passant lentement d’un coin à un autre.
Moins d’une minute plus tard, Lucy réapparut avec Squiddy, Frank et Allen, si Briar se souvenait correctement des noms des autres hommes. Frank n’avait pas l’air très en forme. Il avait un œil au beurre noir si large que cela lui faisait presque un nez et un front noir ; quant à Allen, il se frottait une main qui avait été blessée. Mais ils grimpèrent tous dans le trou, soulevèrent l’homme en armure et commencèrent à le déplacer, à moitié en le tirant, et à moitié en le portant à l’extérieur et vers les étages inférieurs.
— Nous allons le mettre dans l’ascenseur, annonça Lucy. En bas, nous devrions trouver des chariots ; c’est là que tous les tunnels conçus par Minnericht ont leur terminus. On y va, dépêchez-vous. Il n’en a pas pour très longtemps.
— Où allons-nous ? demanda Squiddy. Il a besoin d’un docteur, mais…
Et c’est là qu’ils remarquèrent la flaque sanglante au centre de laquelle baignait le scélérat toujours masqué.
— Mon Dieu. Il est mort, n’est-ce pas ? demanda Frank avec effroi.
— Il est mort, remerciez Dieu pour ça, répondit Angeline. (Elle attrapa un des pieds de Swakhammer, celui qui n’avait pas l’air cassé, et le fit passer sur son épaule.) Je vais vous aider à le porter. Je ne serais pas contre voir un médecin, moi aussi, confessa-t-elle. Mais cette partie-là du vieux Jeremiah n’est pas si lourde. Je peux aider.
— Je connais un homme, dit Lucy. C’est un vieux Chinois qui vit près d’ici. Il n’est pas docteur au sens où vous en avez l’habitude, mais c’est de la médecine quand même et, pour le moment, vous prendrez tous les deux ce qu’on vous donnera.
— La médecine dont j’ai l’habitude ? grommela Allen. Si vous voulez savoir la vérité, je préférerais mourir.
— Swakhammer préférerait peut-être mourir qu’être soigné par un Chinois, dit Lucy en se servant de son bras mécanique extraordinairement fort pour retenir le dos de Jeremiah. Il en a une peur bleue. Mais je suis prête à le traumatiser si cela peut permettre de le garder en un seul morceau.
— Maman ?
— Quoi, Zeke ?
— Et nous ?
Briar hésita, mais elle n’osa pas le faire longtemps.
Jeremiah Swakhammer était transporté sous les efforts de ses amis, et il laissait de petites traces de sang, comme une pelote de fil qui se déroulerait derrière eux. À l’étage, les bruits des Pourris grognant et martelant le sol de leurs pieds se poursuivaient. Leurs cris de colère et de faim se faisaient de plus en plus forts tandis que leur nombre augmentait, et ils cherchaient un moyen de passer par les recoins fissurés et les portes laissées ouvertes.
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