Elle était en train de lui retirer son masque lorsque Zeke en eut assez d’attendre dans l’escalier. Il se rapprocha du mur et lança dans le trou :
— Il y a quelqu’un ?
— C’est Jeremiah.
— Est-ce qu’il va bien ? demanda Zeke.
— Non, grommela-t-elle. (Elle avait presque enlevé le casque, mais il était attaché par une série de petits ressorts et de tubes. Il tomba, mais ne roula pas loin.) Swakhammer ! Jeremiah !
Du sang s’était accumulé dans le masque, il provenait de son nez et elle remarqua avec une pointe d’angoisse qu’il coulait en flux régulier de son oreille.
— Il est mort ? voulut savoir Zeke.
— Les morts ne saignent pas, répondit Briar. Cela étant, il est sacrément amoché. Seigneur, Swakhammer ! Que vous est-il arrivé ? Est-ce que vous m’entendez ? Hé ! (Elle lui tapota doucement le visage, sur les deux joues.) Hé ! Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
— Il s’est retrouvé dans le passage.
La voix filtrée et masquée de Minnericht tomba comme un couperet, résonnant dans la chambre où reposaient les âmes mortes et où se dressaient les murs fendus. Briar sentit son cœur se serrer de peur. Elle aurait voulu crier après Zeke pour avoir quitté la sécurité relative des escaliers. Il se tenait là, au milieu de nulle part, au pied du mur délabré, complètement vulnérable.
Briar jeta un regard à Swakhammer, dont les yeux allaient et venaient derrière ses paupières fermées, recouvertes de sang en train de coaguler. Il était toujours vivant, oui, mais pas pour longtemps. Elle releva la tête et dit, suffisamment fort pour pouvoir être entendue à l’extérieur du trou et de l’autre côté de la pièce :
— Vous n’êtes pas Leviticus Blue. Mais vous auriez pu être son frère, ajouta-t-elle avec autant d’indifférence que possible. Vous avez son sens du timing, c’est évident.
Derrière le rebord du trou, elle savait qu’elle avait une protection. Le docteur, si c’en était un, ne pouvait pas voir ce qu’elle faisait ; pas très bien, du moins. Elle en profita pour fouiller légèrement son ami au cas où il aurait transporté quelque chose d’utile. Elle avait posé le Spencer. Même s’il était à portée de main, elle n’arriverait jamais à l’attraper, armer, viser et tirer avant que Minnericht n’ait le temps de faire feu.
Un gros revolver était posé contre les côtes de Swakhammer, mais il était vide.
— Je n’ai jamais dit que j’étais Leviticus Blue.
Briar grogna tandis qu’elle essayait de soulever suffisamment Swakhammer pour passer la main dans son dos.
— Si, vous l’avez dit.
Zeke se manifesta :
— Vous m’avez dit à moi que c’était votre nom.
— Tais-toi, Zeke, lui lança sa mère. (Ce n’était pas tout ce qu’elle aurait voulu dire à son fils, mais elle se retourna vers le salopard masqué avant qu’il ne puisse répondre.) C’est ce que vous vouliez que ces gens pensent. Vous vouliez qu’ils aient peur de vous, mais vous ne pouviez pas y arriver avec votre propre nom. Vous pouvez être aussi mauvais qu’un serpent, mais finalement vous n’êtes pas si effrayant que ça.
— Taisez-vous, femme. J’ai fait de cet endroit ce qu’il est aujourd’hui, dit-il, en colère et sur la défensive.
Et très certainement blessé dans son orgueil.
En tout cas, Briar espérait que c’était le cas. Elle espérait qu’il allait se conduire comme Levi.
— Je ne me tairai pas, et vous ne pouvez pas m’y forcer, Joe Foster, même si vous essayez. Et vous essaierez peut-être, d’ailleurs. Vous êtes le genre d’homme qui aime brutaliser les femmes et, d’après ce que j’ai entendu, je ne suis pas la première.
— Je me fiche de savoir ce que vous avez entendu et où vous l’avez entendu, aboya-t-il. En revanche, ce que je veux savoir, et ce, maintenant , c’est où vous avez entendu ce nom !
Elle se redressa rapidement. Au lieu de répondre à sa question, elle dit :
— J’aimerais bien savoir pour qui vous vous prenez, à nous entraîner dans votre petite guerre de l’ouest, fils de pute !
Elle avait emprunté l’expression préférée d’Angeline.
Une fois debout, elle pouvait le voir aussi clairement qu’il la voyait, et le fusil à pompe à triple canon qu’il avait entre les mains était terrifiant. Il n’était pas dirigé vers elle. Il visait Zeke, qui, c’était tout à son honneur, avait réussi à se taire comme sa mère le lui avait demandé. Toutefois Briar n’était pas sûre qu’il l’ait plus fait pour obéir à ses ordres que par peur de l’énorme fusil de Minnericht, et elle s’en fichait.
Elle s’était attendue à ce qu’il la menace, elle, mais Minnericht était plus intelligent que ça, et également plus mauvais. D’accord. Elle pouvait l’être aussi. Elle lança :
— Vous avez fait de cet endroit ce qu’il est aujourd’hui ? Alors, vous croyez que ça vous donne un pouvoir ici ? Vous agissez comme si c’était le cas, mais ce sont des conneries, n’est-ce pas ? Ce ne sont que des apparences pour que les gens pensent que vous êtes un homme extrêmement intelligent avec beaucoup d’argent. Mais ce n’est pas le cas. Si vous étiez à moitié aussi malin que vous le prétendez, vous n’auriez pas volé les inventions de Levi, ou récupéré les engins du concours pour l’exploitation minière. Je les ai vus là-bas, dans la pièce de stockage. Vous croyez que je ne sais pas d’où ils viennent ?
— Taisez-vous ! rugit-il.
Mais elle était déterminée à attirer son attention sur elle plutôt que sur Zeke, ou que sur la vieille femme frêle aux manières masculines qui se glissait hors des escaliers pour passer derrière lui. Briar poursuivit, aussi fort qu’elle le pouvait de façon à être entendue de loin :
— Si vous étiez la moitié de l’homme que vous prétendez être, vous n’auriez pas eu besoin de moi pour confirmer votre histoire, et vous n’auriez pas besoin de faire venir des garçons comme vous le faites. Levi était fou, et il était mauvais, mais il était trop intelligent pour que vous puissiez simplement vous emparer de ses jouets et partir avec eux. Vous avez besoin de Huey parce qu’il est intelligent, et vous avez tenté de retenir mon fils en lui racontant un paquet de mensonges. Mais, si vous aviez vraiment fait de cet endroit ce qu’il est, vous n’en auriez pas besoin.
L’homme changea de cible et le fusil à triple canon visa la poitrine de Briar. Elle n’avait jamais été aussi heureuse.
— Si vous dites encore un mot, je…
— Quoi ? cria-t-elle.
Elle cracha la suite dans une tirade désespérée et frénétique, tout dans un seul souffle, passant d’un point à un autre et essayant de le maintenir énervé, car Angeline était presque arrivée jusqu’à lui.
— Vous ne savez même pas comment faire fonctionner ce fusil, je parie. Vous ne l’avez probablement même pas fabriqué. Toutes les idées que vous avez, vous les avez volées à Levi, qui avait tout conçu et tout construit. Vous en savez juste assez pour vous donner l’air d’un roi, et tout ce que vous pouvez faire c’est prier Dieu pour que personne ne découvre à quel point vous êtes faible et inutile.
Au-delà du grognement, au-delà du grondement, il se mit simplement à crier :
— Pourquoi êtes-vous là ? Pourquoi est-ce que vous êtes là, tous les deux ? Vous n’auriez jamais dû venir ! Cela ne vous concernait pas, hurla-t-il. Vous auriez dû rester chez vous, dans ce dégoûtant petit taudis des Faubourgs. Je vous ai offert davantage, je vous ai offert bien plus à tous les deux, plus que ce que vous ne méritez, et je n’étais pas obligé de le faire ! Je ne vous devais rien, à aucun d’entre vous !
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