— Mais si, nous pouvons partir par la tour, jura-t-il. Jeremiah a dit qu’il y avait des ballons, là-bas.
Elle retira son bras du sien au moment où ils atteignaient l’ascenseur. La grille en fer fermait le même ascenseur que celui qu’elle avait pris pour descendre, elle la tira et poussa Zeke sur la plate-forme. Alors qu’elle le rejoignait et fermait la grille, elle dit :
— Non. Il faut que je voie Lucy. Il faut que je sache si elle va bien. Et… (Il y eut d’autres tirs, plus près.) Et il se passe quelque chose de terrible là-haut. (Elle sortit le Spencer et se mit en position alors que l’ascenseur montait jusqu’au niveau suivant.) Nous devons sortir d’ici. Évitons ça autant que possible.
— Ce sont probablement des Pourris, dit Zeke, et il tenta de la retenir sur la plate-forme tandis qu’elle repoussait obstinément la grille. Mais nous ne pouvons pas encore partir. La princesse doit être en haut.
— Eh bien, elle n’y est pas.
Briar fit pivoter le Spencer et mit en joue une petite femme maigre, aux longs cheveux gris tressés. Elle avait l’air indienne, même si Briar ne pouvait pas deviner de quelle tribu, et portait un uniforme bleu, avec un beau manteau et un pantalon trop grand pour elle.
La femme se tenait le côté. Du sang coulait entre ses doigts.
— Mademoiselle Angeline, dit Zeke en se mettant à courir vers elle.
Briar baissa le Spencer, puis changea d’avis et le remit en position, prêt à affronter n’importe quel problème qui pourrait surgir de n’importe quelle autre direction. Après tout, ils se trouvaient au milieu d’une grande salle avec plusieurs portes, toutes fermées. Il n’y avait rien qui différenciait cette pièce des autres, ou qui indiquait une fonction particulière. Elle était relativement vide, à l’exception d’une pile de tables contre un des murs et d’un tas de chaises brisées, qui avait été abandonnées là et étaient recouvertes de poussière.
— Madame, demanda-t-elle par-dessus son épaule. Madame, est-ce que vous avez besoin d’aide ?
La réponse fusa, impatiente.
— Non. Et ne me touche pas, fiston.
— Vous avez été poignardée !
— J’ai été égratignée et ça a foutu en l’air ma nouvelle tenue. Eh, dit-elle à Briar, en lui tapant sur l’épaule d’un doigt osseux. Si vous voyez un Chinois chauve avec un manteau noir, tirez-lui entre les deux yeux pour moi. Ça me rendrait heureuse, déclara-t-elle.
— Je ferai attention, promit Briar. Vous êtes la princesse ?
— Je suis une princesse. Et je suis folle de rage, là, mais nous devons sortir d’ici. Si nous restons là, ils vont nous rattraper.
— Nous sommes en route pour les Coffres, indiqua Briar.
— Ou la tour, insista Zeke.
Angeline répondit :
— Les deux peuvent fonctionner, mais vous pouvez aussi vous rendre au fort. Le Naamah Chérie y est amarré, et vous pouvez demander à ce vieux Cly de vous emmener, si vous envisagez de partir.
Briar fronça les sourcils.
— Cly est ici ? Au fort ?
— Il fait des réparations.
De nouveaux mouvements au-dessus de leurs têtes indiquèrent à Briar que les questions allaient devoir attendre.
— Attendez, dit Zeke. Nous retournons à ce ballon ? Avec l’énorme vieux capitaine ? Non, pas question. Je ne l’aime pas.
— Cly ? demanda Briar. Il n’y a aucun problème avec lui. Il nous sortira d’ici, ne t’inquiète pas.
— Comment vous le savez ?
— Il a une dette à nous rembourser. Ou du moins, c’est ce qu’il pense.
Dans un angle, quelque chose tomba et se brisa, et de l’autre côté des murs, des vagues de pieds lourds et pourrissants marquaient un rythme effroyable.
— Ce n’est pas bon, observa Briar.
— Pire que ça, probablement, commenta Angeline, sans pour autant avoir l’air particulièrement troublée.
Elle tira un gros fusil à pompe d’un étui qu’elle avait dans le dos, et vérifia qu’il était bien chargé. Sa blessure sur le côté suintait, mais ne se remit pas à saigner lorsqu’elle enleva sa main.
— Vous connaissez ce lieu ? lui demanda Briar.
— Mieux que vous, répondit-elle. Mais pas très bien. Je sais comment entrer et sortir, c’est tout.
— Est-ce que vous pouvez nous conduire aux Coffres ?
— Oui, mais je continue de penser que vous devriez aller au fort, indiqua-t-elle, puis elle repoussa Zeke pour qu’il ne l’aide pas à marcher. Éloigne-toi de moi, fiston. Je marche très bien. Ça pique un peu, mais je ne vais pas en mourir.
— Tant mieux, rétorqua Briar. Parce que nous avons des problèmes.
Un grognement lugubre sembla lui répondre de la plate-forme. Des mains martelèrent le plafond au-dessus, et un autre endroit autour de la cage d’ascenseur. Puis, il y eut un fracas étourdissant… et ils tombèrent à l’intérieur. Quelques-uns se frayèrent un chemin, puis un plus grand nombre s’engouffra par le passage qui venait d’être forcé.
Les trois premiers Pourris à pénétrer dans le couloir avaient par le passé été soldat, barbier et Chinois. Briar chargea son fusil et visa rapidement, atteignant les deux premiers dans les yeux, et arrachant une oreille au troisième.
— Mère ! cria Zeke.
— Derrière moi, tous les deux ! ordonna-t-elle.
Mais Angeline n’écouta pas et se servit de son propre fusil pour abattre le troisième.
Une nouvelle vague de Pourris, comptant une demi-douzaine de corps en largeur et autant en profondeur, piétina les trois cadavres.
— Reculez ! cria Angeline. Repliez-vous, par ici, dit-elle tout en continuant de tirer.
Le bruit dans le couloir était assourdissant, surtout pour Zeke et Briar dont la tête bourdonnait déjà. Mais ils avaient le choix entre viser et tirer, ou s’asseoir et mourir ; alors les femmes continuèrent de tirer tandis que Zeke cherchait un chemin pour s’enfuir, jouant les éclaireurs tout en essayant de suivre les instructions d’Angeline.
— À ta droite ! Je veux dire, ton autre droite, se corrigea-t-elle. Il devrait y avoir une porte là, au bout du couloir. À côté du bureau.
— Elle est fermée, cria Zeke.
Le troisième mot fut étouffé par la détonation du Spencer, mais Angeline avait saisi l’idée générale. Elle lança :
— Couvrez-moi juste une seconde.
Avant que Briar ait le temps de faire quoi que ce soit d’autre qu’accepter, la princesse se retourna et écarta Zeke de son chemin. Elle déchargea son fusil à pompe sur la serrure et la porte s’ouvrit, se fracassant sur ses charnières.
— C’est une issue, expliqua la princesse. Il dit aux gens que c’est un cul-de-sac, mais c’est sa sortie de secours personnelle, à ce salaud.
Zeke écarta les morceaux de porte restants avec son pied, et regretta de ne pas avoir quelque chose pour la refermer derrière eux, mais il ne fallait pas y compter et il n’avait pas le temps de se plaindre. Il essaya de faire passer les femmes en premier, mais il n’était pas armé et aucune des deux ne le laissa faire.
Sa mère le prit par le cou et le jeta à moitié dans le couloir, puis faillit trébucher sur lui en faisant marche arrière à cause du recul du fusil. Angeline lui lança :
— Bouge !
Puis elle se mit à recharger son arme tout en battant en retraite. Le couloir était sombre et encombré, mais Zeke repéra des escaliers qui montaient et d’autres qui descendaient.
— Dans quel sens ? demanda-t-il, perché au bord du palier.
— En haut, nom de Dieu ! jura Angeline tout en réarmant son fusil. Nous coupons à travers le gros de la bagarre et, si nous descendons, ils nous coinceront. Nous devons essayer de monter si nous voulons survivre.
— Nous ne pouvons pas continuer comme ça, souffla Briar.
Читать дальше