Angeline perdait patience. Elle répondit :
— Lucy est une femme qui n’a qu’un bras. Si tu la vois, dis-lui qui tu es et elle fera de son mieux pour te sortir d’ici.
Elle s’écarta de lui et commença à courir, comme si la discussion était terminée.
Zeke la rattrapa par le bras et la ramena vers lui, fermement.
Angeline n’apprécia pas. Elle se laissa attirer près de lui, mais elle avait une lame avec elle, qu’elle colla contre le ventre du garçon. Ce n’était pas une menace, pas encore. C’était simplement une observation, et un avertissement.
— Ne me touche pas, lui dit-elle.
Il la relâcha, comme elle le lui demandait, puis il reprit :
— Où pensez-vous qu’il a mis ma mère ?
Elle jeta un regard nerveux au coin du couloir et un autre plus dur à Zeke.
— Je ne sais pas où est ta mère. Mais je suppose qu’il l’a planquée quelque part. Peut-être dans l’une de ces chambres, peut-être en bas. Je suis déjà venue ici avant, une ou deux fois, mais je ne connais pas cet endroit comme ma poche. Si tu retombes sur Jeremiah, reste avec lui. Il est impressionnant, mais il te gardera en un seul morceau, si tu fais ce qu’il te dit.
Zeke supposa que c’était tout ce qu’il obtiendrait, alors il se mit à courir et, derrière lui, il entendit la foulée rapide d’Angeline qui partait dans l’autre sens.
Il courut jusqu’à la première porte dans le couloir et l’ouvrit en grand.
Il n’y avait qu’un lit et une cuvette, ainsi qu’une commode ; la pièce ressemblait presque en tout point aux quartiers qui lui avaient été attribués, même si elle n’était pas aussi propre ni aussi chic. Il y avait, dans l’odeur de poussière et dans celle des draps, quelque chose qui lui fit penser que personne n’était venu ici depuis très longtemps. Il sortit de la pièce, appelant Angeline, avant de se souvenir qu’elle était partie sans lui. Même l’écho de ses pas n’était plus là, et il était seul dans le couloir, avec toutes ces portes.
Mais, à présent, il savait ce qu’il devait faire.
Il passa à la porte suivante, qui était verrouillée.
Il retourna dans le laboratoire de chimie, où Rudy ne respirait plus. Ou peut-être que si, mais c’était si léger et si ténu que Zeke ne l’entendit pas lorsqu’il fit le tour de la table sur la pointe des pieds. Sans regarder sous la toile qui recouvrait l’homme, le garçon tâtonna du pied et trouva la canne fissurée.
Elle était lourde entre ses mains. Même avec la longue fissure, elle avait l’air solide.
Il retourna en courant jusqu’à la porte fermée, et il frappa sur la poignée avec la lourde canne jusqu’à ce que le mécanisme se casse et que la porte s’ouvre brutalement.
Zeke franchit le seuil et se précipita dans la pièce. Il n’y avait rien d’important, tout semblait vieux, certaines choses avaient l’air dangereuses. Une boîte n’avait plus de couvercle. À l’intérieur, il y avait des pièces de pistolet, des cylindres et des bobines de fil métallique. Une autre caisse était remplie de sciure et de tubes en verre.
Il ne pouvait pas en voir davantage. Il n’y avait pas suffisamment de lumière.
— Mère ? essaya-t-il, mais il savait déjà qu’elle n’était pas là.
Il n’y avait personne, et cela faisait un moment qu’il n’y avait pas eu de passage dans cette pièce.
— Mère ? redemanda-t-il, par acquit de conscience.
Personne ne répondit.
La porte suivante était ouverte et, derrière elle, Zeke découvrit un autre laboratoire, rempli de tables poussées les unes contre les autres et de lumières montées sur des charnières, qu’il était possible de régler pour obtenir un meilleur éclairage. Il appela sa mère par principe, ne reçut aucune réponse, et poursuivit sa route.
Il se retourna et tomba nez à nez avec la poitrine couverte de métal de l’homme qu’Angeline avait appelé Jeremiah. Comment arrivait-il à se déplacer aussi silencieusement avec une armure pareille ? Zeke n’en avait aucune idée, mais il était là, et l’adolescent aussi, hors d’haleine et sachant où aller pour la première fois depuis plusieurs jours.
— Poussez-vous, lâcha-t-il, je dois trouver ma mère !
— J’essaie d’aider, stupide gamin. Je savais que c’était toi, ajouta-t-il en reculant d’un pas pour laisser Zeke sortir du laboratoire et retourner dans le couloir. Je savais que ça devait être toi.
— Félicitations. Vous aviez raison, répondit Zeke.
Il ne restait plus qu’une seule porte fermée. Il se dirigea vers elle, mais Jeremiah l’arrêta.
— C’est un placard. Il ne la garderait pas là. À mon avis, il l’a cachée à l’étage du dessous, là où sont les chambres.
— Ce ne sont pas les chambres, ici ?
— Non. Ce sont les quartiers des invités.
— Vous êtes déjà venu ici ?
— Oui. Où crois-tu que j’ai eu cet équipement ? Va dans l’ascenseur.
— Vous savez comment il fonctionne ?
La seule réponse de Jeremiah fut de monter sur la plate-forme et de repousser la grille. Il la tint ouverte pour Zeke, qui devait courir pour ne pas se laisser distancer ; l’ascenseur commença à descendre avant même que le garçon n’ait posé les deux pieds à l’intérieur.
Tandis que la plate-forme se mettait en branle, Zeke demanda :
— Qu’est-ce qui se passe ? Personne ne veut me dire ce qui se passe !
— Il se passe… (Jeremiah poussa un levier qui devait être un frein.) … que nous nous bagarrons avec ce maudit docteur complètement dérangé.
— Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
L’homme secoua la tête.
— Et pourquoi pas maintenant ? Nous l’avons laissé nous traiter comme des chiens pendant des années, et nous avons subi, subi et subi. Mais à présent, il a pris la fille de Maynard. Et il n’y a pas un Oublié ou un bagarreur ici qui serait prêt à accepter ça.
Zeke ressentit un énorme soulagement, ainsi qu’une réelle gratitude.
— Vous êtes vraiment ici pour aider ma mère ?
— Elle n’est venue ici que pour essayer de te retrouver. Il aurait pu la laisser en dehors de ça, et vous laisser tous les deux tranquilles. De toute évidence, dit-il en pesant de tout son poids sur le levier et en arrêtant l’ascenseur, il ne l’a pas fait. Aucun de vous deux ne devrait être là, mais vous y êtes. Et ce n’est pas correct.
Il repoussa la grille avec une telle force que celle-ci se brisa et se mit à pendiller.
Zeke sortit de la plate-forme et courut dans un nouveau couloir, recouvert de moquette, rempli de lumières et de portes. Il pouvait sentir un feu qui brûlait quelque part. Cela donnait un parfum chaleureux et accueillant, comme des bûches de noyer dans une cheminée.
— Où sommes-nous ? Qu’est-ce que c’est ? Mère ? Mère, vous êtes là ? Est-ce que vous m’entendez ?
À l’étage, quelque chose produisit une énorme explosion qui rappela à Zeke la tour contre laquelle le Clementine s’était écrasé. Il ressentit le même impact vibrant, et le fait de se trouver sous terre ne fit qu’accroître sa peur. Le plafond se fissura au-dessus de sa tête, et de la poussière tomba.
— Qu’est-ce que c’était ? demanda Zeke.
— Comment veux-tu que je le sache ?
L’explosion fut suivie d’un énorme rugissement à l’étage, et même Zeke, qui pensait que ce serait dommage de quitter la ville sans avoir vu un Pourri, devina ce que cachait le son.
— Des Pourris, dit Jeremiah, en grand nombre. Je croyais que les étages en sous-sol étaient mieux renforcés que ça. Je pensais que c’était la raison pour laquelle il avait construit tous ces niveaux. On dirait que Minnericht ne sait pas tout, finalement. Je ferais mieux de monter pour les contenir.
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