— Tu ne le convaincras pas.
Elle ferma les yeux et enfonça sa tête dans l’oreiller, qui essayait presque de l’étouffer avec sa chaude odeur de renfermé.
— Je n’aurai pas besoin de le convaincre, si je lui montre.
— Tu es bête. Aussi bête que tu l’as toujours été.
— Peut-être, répondit-elle, mais je suis toujours vivante.
— Mère ? dit-il.
Elle ouvrit les yeux.
— Quoi ?
— Mère ?
Elle l’entendit de nouveau. Elle tourna la tête pour écarter son visage de l’oreiller et la releva.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Mère, c’est moi.
Ce fut comme piquer un sprint dans un tunnel, la vitesse et le sursaut du réveil. Quelque chose la tirait de l’obscurité confortable vers quelque chose de froid, de féroce et d’infiniment moins douillet. Mais au bout, il y avait une voix, et elle allait vers elle, se glissait vers elle ou trébuchait en tentant de l’atteindre.
— Mère ? Oh, merde, mère. Mère ? Allez, réveillez-vous ! Il faut vous réveiller, parce que je suis sûr que je ne peux pas vous porter, et je veux sortir d’ici.
Elle se retourna sur le dos et essaya d’ouvrir les yeux, puis se rendit compte qu’ils étaient déjà ouverts mais qu’elle ne pouvait rien voir. Tout était flou, même si de la lumière clignotait sur sa droite et que, au-dessus, elle distinguait une ombre noire.
Celle-ci ne cessait de répéter :
— Mère ?
Et le tremblement de terre de ses rêves continuait de faire trembler le sol, ou peut-être qu’il ne secouait qu’elle. Les mains de l’ombre agrippèrent ses épaules et les secouèrent jusqu’à ce que sa tête craque sur son cou, et qu’elle laisse échapper :
— Aïe !
— Mère ?
— Aïe, répéta-t-elle. Arrête. Arrête ce que tu fais, ça… Arrête !
Plus la vue lui revenait, plus elle s’accompagnait d’une douleur cuisante, et quelque chose coulait sur sa pommette. Elle toucha la zone douloureuse et, lorsqu’elle retira sa main, celle-ci était humide.
— Je saigne ? demanda-t-elle à l’ombre.
Puis elle dit :
— Zeke, est-ce que je saigne ?
— Pas beaucoup, dit-il. Même pas autant que j’ai saigné, moi. Vous avez surtout un gros bleu. Et vous avez mis du sang sur la taie d’oreiller, mais ce n’est pas à nous, alors aucune importance. Allez. Levez-vous. Debout. Allez.
Il passa son bras autour d’elle et la souleva du lit, qui était aussi moelleux que l’avait suggéré son rêve. La pièce aussi était la même, alors elle avait certainement dû être suffisamment réveillée pour mémoriser son environnement. Mais elle était seule, à l’exception du garçon, qui l’obligeait à se mettre debout.
Ses genoux vacillèrent, puis elle tendit les jambes. Elle se redressa, s’appuyant sur Zeke.
— Hé, dit-elle. Hé, Zeke. C’est toi ? C’est toi, n’est-ce pas ? Parce que j’ai fait un rêve extrêmement étrange.
— Oui, c’est moi, grande nouille, dit-il avec affection et en poussant un grognement. Qu’est-ce que vous faites ici, à propos ? À quoi pensiez-vous, en venant là ?
— Moi ? Attends. (En dépit de la douleur, elle secoua la tête et essaya de suffisamment s’éclaircir les idées pour répondre.) Attends, tu me voles ce que j’allais dire.
Lentement, puis d’un seul coup, la compréhension revint.
— Toi, dit-elle. C’est toi, idiot ! C’est toi, la raison de ma présence ici.
— Moi aussi, je vous aime, maman, dit-il avec un sourire si large qu’il pouvait à peine former les mots.
— Je t’ai trouvé, n’est-ce pas ?
— Je dirais plutôt que c’est moi qui vous ai trouvée, mais nous pourrons en débattre plus tard.
— Mais je suis venue pour te chercher.
— Je sais. Nous en discuterons plus tard. D’abord, nous devons sortir d’ici. La princesse nous attend. Quelque part. Je crois. Il faut la trouver, ainsi que ce Jeremiah.
— La quoi ? Ou qui ?
La pulsation autour de son oreille lui faisait mal, et elle se demanda si elle ne s’était pas trompée sur son état : elle était encore en train de rêver après tout.
— La princesse. Mademoiselle Angeline. Elle est vraiment serviable. Elle va te plaire. Et elle est vraiment intelligente.
Il relâcha Briar et la laissa se tenir debout toute seule.
Elle vacilla, mais réussit à trouver son équilibre.
— Mon fusil. Où est mon fusil ? demanda-t-elle. Il me le faut. J’avais un sac, aussi. J’avais… Certaines choses. Où sont-elles ? Est-ce qu’il me les a prises ?
— Oui, il les a prises. Mais je les ai retrouvées. (Il sortit le fusil et la sacoche et les lui plaça dans les mains.) Il va falloir que vous vous occupiez de ce truc, parce que je ne sais pas tirer.
— Je ne t’ai jamais appris.
— Vous pourrez m’apprendre plus tard. Allons-y, ordonna-t-il, et Briar eut envie de rire, mais elle se retint.
Elle aimait le voir ainsi, même agité et autoritaire, même la dirigeant comme un enfant alors qu’elle reprenait ses esprits. Quelqu’un lui avait donné de jolis vêtements, et il avait peut-être même pris un bain.
— Tu es tout propre, dit-elle.
— Je sais. Comment vous sentez-vous ? Est-ce que ça va ?
— Je survivrai, lui répondit-elle.
— Bien. Il vaut mieux. Vous êtes tout ce que j’ai, vous le savez ?
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle, car il avait l’air de mieux gérer la situation qu’elle. Est-ce que nous sommes… sous la gare ? Où ce salopard m’a-t-il planquée pendant que j’étais inconsciente ?
— Nous sommes bien sous la gare, répondit Zeke. Vous étiez deux niveaux en dessous de la grande salle avec toutes les lumières au plafond.
— Il y a un autre niveau en dessous ?
— Au moins un, peut-être plus. Cet endroit est un labyrinthe, maman. Vous ne le croiriez pas.
Il arrêta sa mère à la porte et ouvrit rapidement, puis regarda de gauche à droite dans le couloir. Il leva la main et dit :
— Attendez, est-ce que vous entendez ça ?
— Quoi ? demanda-t-elle.
Elle vint se placer à côté de lui et le laissa écouter et regarder pendant qu’elle vérifiait le fusil. Il était toujours chargé et, à l’intérieur de la sacoche, toutes ses affaires semblaient être à leur place.
— Je n’entends rien.
Il écouta encore, puis dit :
— Peut-être que vous avez raison. J’ai cru entendre quelque chose, mais je me suis déjà trompé auparavant. Il y a un ascenseur au bout du couloir, là-bas. Vous le voyez ?
Elle sortit la tête par la porte, et acquiesça :
— Oui. C’est ça ?
— Oui. Nous allons courir jusque là-bas. Il le faut, sinon Yaozu va nous attraper, et c’est ce que nous voulons éviter.
— Nous voulons l’éviter ?
Briar n’avait pas l’intention de donner un ton interrogateur à sa phrase, mais elle essayait encore de reprendre ses esprits et, pour le moment, c’était la façon la plus facile de participer à la conversation. De plus, elle était tellement heureuse de le voir que tout ce qu’elle voulait, c’était le toucher et lui parler.
Au loin, elle entendit un coup de feu. C’était une grosse détonation, le son d’un fusil, pas d’un revolver. D’autres tirs lui répondirent, les balles d’une arme plus petite, à la cadence plus rapide.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
— Longue histoire, répondit-il.
— Où allons-nous ?
Il lui prit la main et la tira dans le couloir.
— À la tour Smith, là où ils amarrent les dirigeables.
Un souvenir lui revint alors qu’elle le suivait à un rythme soutenu.
— Mais nous ne sommes pas déjà mardi, n’est-ce pas ? C’est impossible. Nous ne pouvons pas partir par là, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Nous devrions retourner aux Coffres.
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