— Vous allez les contenir ? Tout seul ?
— Certains des hommes de Minnericht seront certainement là aussi, ils ne veulent pas plus que moi finir en chiure de Pourri, et la plupart d’entre eux ne sont ici que parce qu’ils sont payés pour ça. Au fait, si tu entends un gros boum dans les minutes qui viennent, ne t’inquiète pas trop à ce sujet.
— Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Zeke.
Jeremiah était déjà retourné dans l’ascenseur, tâtonnant parmi les leviers pour trouver le bon.
— Reste ici et cherche ta mère , répondit-il . Elle a peut-être besoin d’aide.
Zeke courut jusqu’à la plate-forme et demanda :
— Et ensuite, qu’est-ce que je fais ? Où allons-nous une fois que je l’ai retrouvée ?
— Monte, répondit l’homme en armure, et sors, si tu le peux. Les choses vont empirer ici avant de s’améliorer. Les Pourris sont allés plus vite que nos hommes ne le pensaient. Retourne aux Coffres, peut-être, ou va à la tour et attend le prochain dirigeable.
Puis, l’ascenseur se mit en branle, fit une embardée, et remonta Jeremiah vers le plafond jusqu’à ce que même le bout de ses orteils ait disparu. Zeke était à nouveau seul.
Mais il y avait d’autres portes à ouvrir. Et, comme sa mère avait disparu, il avait au moins quelque chose à faire pour détourner son attention de ce qui se passait à l’étage. La pièce de l’autre côté du couloir était ouverte et, puisque cette porte représentait le chemin qui opposait le moins de résistance, ou qui proposait l’accès le plus rapide, le garçon fonça vers elle et la poussa.
Il venait de trouver la source de l’odeur de fumée : une cheminée en brique avec des bûches rougeoyantes donnait à la pièce une teinte orange doré. Un bureau noir massif était installé au milieu de la pièce, sur un tapis oriental orné de dragons brodés dans les coins. Un vaste fauteuil en cuir avec une assise rembourrée était installé derrière le meuble, et devant ce dernier se trouvaient deux autres chaises. Zeke n’était jamais entré dans le bureau de quelqu’un auparavant et il n’en voyait pas l’utilité, mais c’était une superbe pièce et elle était chaude. S’il y avait eu un lit, cela aurait été un endroit parfait pour vivre.
Comme il n’y avait personne pour le regarder, il fit le tour du bureau et ouvrit le tiroir supérieur. À l’intérieur, il trouva des documents écrits dans une langue qu’il ne savait pas lire. Le deuxième tiroir, plus profond et muni d’un verrou, n’était pas fermé. Il contenait quelque chose de plus intéressant.
Au départ, il crut que l’aspect familier de la sacoche était dû à un effet de son imagination. Il voulait croire qu’il l’avait vue avant, sur l’épaule de sa mère, mais il ne pouvait pas en être certain d’un simple regard, alors il l’ouvrit et glissa les mains à l’intérieur. Sa fouille rapide lui permit de trouver des munitions, des lunettes et un masque, qu’il n’avait jamais vus auparavant. Puis, il trouva l’insigne avec les initiales MW gravées, ainsi que la blague à tabac de sa mère, qui n’avait pas servi depuis plusieurs jours, et il sut que rien, dans le sac, n’appartenait au docteur.
Il se baissa et s’en empara. Lorsqu’il se pencha pour refermer le tiroir, il vit un fusil caché sous le bureau, à un endroit où il était impossible de le repérer, à moins de se trouver derrière le fauteuil à haut dossier où Zeke n’était probablement pas censé s’asseoir.
Il emporta également le fusil.
La pièce était vide et silencieuse, à l’exception des crépitements de la cheminée. Zeke ne toucha à rien d’autre et retourna dans le couloir avec ses trésors.
Il y avait une porte en face, mais il ne put l’ouvrir. Il frappa avec la canne abîmée de Rudy mais, lorsque la poignée se brisa, elle tomba simplement, et ce qui maintenait le battant de l’autre côté resta en place. Il se jeta de tout son poids contre la porte suffisamment de fois pour se faire un bleu à l’épaule. Rien ne bougea. Mais il y en avait d’autres, et il pourrait revenir à celle-là s’il le fallait.
La suivante s’ouvrait sur une chambre vide. Et celle d’après refusa de s’ouvrir, jusqu’à ce que Zeke fracasse la poignée avec la canne. Le verrou tenta de résister, mais le garçon était têtu comme une mule et, au bout d’une trentaine de secondes, le chambranle vola en éclats et la porte s’ouvrit violemment.
Briar rêvait de tremblements de terre et de machines si énormes qu’ils abattaient des villes. Quelque part, à la lisière des choses qu’elle pouvait entendre, elle détecta un coup de fusil et quelque chose d’autre, ou peut-être rien, parce que, quoi ce fût, cela ne se répéta pas. Ailleurs, c’était confortable, les lumières étaient tamisées et le lit était suffisamment large pour accueillir une famille de quatre personnes.
Ça sentait la poussière et le kérosène, et de vieilles fleurs séchées qui étaient restées dans un vase à côté d’une cuvette.
Levi était là. Il lui demanda :
— Tu ne le lui as jamais dit, n’est-ce pas ?
Depuis le lit, où ses yeux étaient si lourds qu’elle pouvait à peine les garder ouverts, Briar répondit :
— Je ne lui ai jamais rien dit. Mais je vais le faire, dès que possible.
— Vraiment ?
Il ne semblait pas convaincu, il semblait amusé.
Il portait l’épais tablier en lin qu’il avait souvent dans son laboratoire, recouvert d’un manteau léger lui arrivant jusqu’au genou. Comme d’habitude, ses bottes étaient délacées, comme s’il avait autre chose à faire que de s’en occuper. Autour de sa tête, il avait attaché des monocles soudés ensemble, qui laissaient sur sa peau une marque qui ne partait jamais complètement.
Elle était trop fatiguée pour protester lorsqu’il vint s’asseoir sur le bord du lit. Il ressemblait exactement au dernier souvenir qu’elle avait de lui, et il souriait, comme si tout allait bien et qu’il n’y avait jamais eu de problème.
— Vraiment, lui répondit-elle. Je vais lui dire, peu importe ce que ça me coûtera. Je suis fatiguée de garder tous ces secrets. Je ne peux plus les lui cacher. Je ne le ferai pas.
— Tu ne le feras pas ?
Il chercha à lui attraper la main, mais elle ne le laissa pas faire.
Elle se tourna sur le côté, dos à lui, se tenant le ventre.
— Que veux-tu ? demanda-t-elle. Et qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je rêve, je pense, répondit-il. Comme toi. Regarde, mon amour. Nous nous rencontrons ici, faute d’ailleurs.
— Alors c’est bien un rêve, dit-elle, et une sensation bizarre se répandit dans son ventre comme de l’acide. Pendant une minute, j’ai cru que ça n’en était pas un.
— C’est peut-être la seule bonne chose que tu aies faite, dit-il, sans se rapprocher d’elle mais sans s’en écarter non plus.
Son poids sur le bord du lit faisait pencher le matelas et donnait à Briar l’impression qu’elle allait rouler ou tomber près de lui.
— Quoi ? Ne pas lui dire ?
— Si tu l’avais fait, tu l’aurais perdu bien avant aujourd’hui.
— Je ne l’ai pas perdu, dit-elle. C’est seulement que je ne l’ai pas encore retrouvé.
Levi secoua la tête. Elle sentit le mouvement, même si elle ne le voyait pas.
— Il a trouvé ce qu’il voulait, et tu ne le ramèneras jamais à la maison. Il voulait des faits. Il voulait un père.
— Tu es mort, lui dit-elle, comme s’il ne le savait pas déjà.
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