Puis elle tira son dernier coup depuis la porte.
Elle abattit le Pourri le plus éloigné d’une seule balle. Son front explosa lorsqu’il s’écroula. Cela avait permis de dégager peut-être dix mètres entre la vague de chair pourrissante et le couloir étroit de la sortie de secours.
— En haut, d’accord. En haut, haleta Zeke en commençant à grimper.
— Il y a une autre porte à l’étage. Il fait sombre. Tâtonne. Tu vas la trouver. Elle ne devrait pas être verrouillée ; normalement, elle ne l’est pas. J’espère qu’elle ne l’est pas.
Angeline criait des instructions d’un coin plongé dans l’ombre où Zeke ne pouvait pas la voir. Dès qu’ils eurent passé le virage et commencé à monter, la cage d’escalier devint parfaitement noire. Des bras, des coudes, et les canons chauds des armes se cognèrent contre des épaules et des côtes, tandis qu’ils essayaient tous trois de battre en retraite vers le chaos ordinaire des vivants.
— J’ai trouvé la porte ! annonça Zeke.
Il poussa, et manqua de tomber de l’autre côté en l’ouvrant. Briar et la princesse se glissèrent derrière lui, puis claquèrent la porte. Une poutre aussi grosse que la tête de Briar était appuyée contre le mur. Ils s’en saisirent, et la poussèrent ensemble sous le loquet pour le maintenir fermé.
Lorsque la horde de Pourris affamés se rua contre la porte, celle-ci tressauta, mais tint bon. La poutre dérapa légèrement sur le sol, mais Angeline la remit en place et lui jeta un regard noir, la défiant de bouger.
— Combien de temps ça va tenir ? demanda Zeke.
Personne ne lui répondit.
— Où sommes-nous, Princesse ? demanda Briar. Je ne reconnais pas cet endroit.
— Enfilez votre masque, répondit Angeline. Vous allez en avoir besoin bientôt. Fiston, cela vaut également pour toi. Enfile-le. Nous allons passer à la surface mais, si vous ne pouvez pas respirer, cela ne servira à rien.
La sacoche de Briar n’était pas positionnée sur son épaule comme elle le voulait, elle s’en était saisie avec une telle hâte qu’elle n’avait pas eu le temps de l’ajuster. Elle la régla donc, la positionnant à l’emplacement familier contre son torse. Elle récupéra son masque et l’enfila, observant Zeke tandis qu’il faisait de même.
— Où as-tu eu ça ? Ce n’est pas le masque que tu avais emporté.
— Jeremiah me l’a donné.
— Swakhammer ? Qu’est-ce qu’il fait ici ? demanda-t-elle sans s’adresser à quelqu’un en particulier, mais Angeline répondit :
— Vous avez mis trop longtemps à revenir aux Coffres. Lucy s’y est rendue et elle a réuni vos amis, puis ce fut une pagaïe monstre.
Elle prit une profonde inspiration qui sembla lui faire mal, comme si ses poumons étaient accrochés à quelque chose de pointu. Lorsque Briar baissa les yeux pour regarder le flanc de la femme, elle se rendit compte que le sang était frais.
— Ils sont venus me chercher ? Me sauver ?
— C’est ça, vous sauver. Ou commencer la guerre qu’ils attendaient depuis des années. Je ne dis pas qu’ils ne voulaient pas vous aider, parce que c’est certainement le cas, mais je dirais qu’ils avaient besoin d’un prétexte pour se soulever comme ça, et vous êtes le meilleur qu’ils aient jamais eu.
Au-dessus de leur tête, une mince corde était nouée autour de lampes suspendues alimentées par une source que Briar ne voyait pas. Mais elle aperçut des veines métalliques autour de la corde, des fils tissés ensemble, qui transmettaient l’énergie nécessaire pour éclairer les lampes. Celles-ci n’étaient pas très lumineuses, mais elles éclairaient suffisamment bien la voie pour leur éviter de se marcher sur les pieds ou de se tirer dessus par erreur. De grandes bâches recouvraient des objets qui avaient la forme de machines monstrueuses et qui avaient été repoussés dans les angles, et des caisses étaient empilées le long des murs. La pièce avait un plafond bas, et était humide et froide.
— Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? demanda-t-elle.
— Stockage, répondit Angeline. Pièces de rechange. Choses qu’il a volées, choses qu’il utilisera plus tard, un jour, s’il en a l’opportunité. Si nous avions le temps, ou les moyens, je dirais qu’il faudrait mettre le feu à cet endroit en partant. Il n’y a ici que des choses conçues pour mutiler et tuer.
— Comme les laboratoires de chimie, en bas, murmura Briar.
— Non, pas comme eux. Les objets qui sont ici sont négociables sur un autre marché, s’il peut trouver comment les faire fonctionner. Ce sont les restes du grand concours lancé par les Russes lorsqu’ils cherchaient une machine d’exploration capable de percer la glace et d’extraire l’or. Si la guerre venait à durer, il serait riche, très riche.
— Il l’est déjà, non ? demanda Zeke.
— Pas autant qu’il le voudrait. Ils ne le sont jamais assez, n’est-ce pas, mademoiselle Wilkes ? À présent, il transforme ces engins en machines de guerre, étant donné qu’elles n’ont pas beaucoup servi pour l’exploitation minière. Il veut les vendre à l’est, au plus offrant.
Briar n’écoutait qu’à moitié. Elle attrapa le coin de la bâche la plus proche et regarda dessous, comme si elle soulevait la jupe d’une femme. Après avoir jeté un coup d’œil à l’obscurité brune qui s’y trouvait, elle dit :
— J’ai déjà vu ça auparavant. Je sais ce que c’est, enfin, ce que c’était censé être… Mais ces machines ne sont pas toutes les restes du concours.
— Quoi ? demanda Zeke. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Il a volé les inventions de Levi et les a modifiées à ses propres fins. Ce sont les machines construites par ton père, indiqua-t-elle. Celle-ci, là… (Elle tira la bâche pour révéler un appareil long, horrible, en forme de grue avec des roues et un blindage.) C’était un système pour aider à construire les gros bateaux, ou en tout cas, c’est comme ça qu’il a essayé de le vendre. Il était censé… Je ne me souviens plus. Quelque chose sur le fait de déplacer de grosses pièces de part et d’autre d’un quai, pour que les hommes n’aient pas à les transporter. Mais je n’y croyais pas à l’époque, et je n’y crois toujours pas aujourd’hui.
— Pourquoi pas ? voulut savoir Zeke.
— Parce que combien de constructeurs navals connais-tu, toi, qui aient besoin d’un blindage contre l’artillerie et de réservoirs à poudre ? Je ne suis pas stupide. Je pense simplement que je ne voulais pas savoir.
— Alors, Minnericht n’est pas… commença Zeke.
— Bien sûr que non, répondit Briar. Il m’a fait peur pendant une minute là-bas, je ne crains pas de te le dire. Il est environ de la même taille et il est le même… Je ne sais pas. Le même type d’homme. Mais ce n’est pas lui.
— Je savais que ce n’était pas lui. Je l’ai toujours su.
— Ah oui ?
Zeke se retourna vers Angeline et lui dit fièrement :
— Vous m’aviez dit de ne rien croire de ce qu’il me dirait, alors je ne l’ai pas cru. Je savais qu’il mentait tout du long.
— Bien, répondit sa mère. Et vous, Princesse ? Qu’est-ce qui vous permet d’être si certaine que le bon docteur n’est pas mon défunt mari ? J’ai mes raisons. Quelles sont les vôtres ?
L’Indienne toucha sa blessure et grimaça, puis la recouvrit de sa main. Elle rangea le fusil à pompe dans son étui et dit :
— Parce que c’est un fils de pute. Il l’a toujours été. Et je suis… (Angeline commença à s’éloigner des portes, le long du couloir, en suivant les lumières qui éclairaient la voie au-dessus de leur tête.) Eh bien, je suis cette pute.
La mâchoire de Zeke se décrocha.
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