Feric ordonna par gestes aux autres de rester en arrière, puis leva le Commandeur d’Acier haut au-dessus de sa tête et frappa l’écoutille d’un coup prodigieux, se jetant en même temps de côté, hors de la ligne de tir d’éventuels occupants.
Avec un terrible bruit de ferraille qui se répercuta dans tout le passage, la Grande Massue de Held fendit l’écoutille d’acier en deux et les débris tombèrent sur le sol de pierre aux pieds de Feric.
Instantanément, les dix S.S. furent à ses côtés, leurs mitraillettes braquées, tous leurs sens en hyper-alerte. Mais rien ne vint de l’intérieur ; seule une lueur orange vacillante projeta une clarté timide dans le couloir de pierre. Brandissant la Grande Massue, Feric précéda sa troupe à travers l’écoutille, pénétrant dans une petite pièce creusée dans le roc et éclairée par un cercle de torches en fusion.
Dans cette pièce, rien d’autre qu’une petite console derrière laquelle se tenait un vieux Dom, ratatiné et bossu, avec d’immenses yeux enfoncés dans leurs orbites et l’ignoble sourire torve d’un furet. Ce monstre était vêtu d’une robe zind grise, ornée d’une profusion de galons, de pierres précieuses et de soutaches dorées qui lui donnaient l’apparence d’un rongeur fétide engoncé dans un uniforme royal, victime d’une blague d’écolier particulièrement ignoble.
Malgré cela, le champ de dominance irradié par la cervelle infecte de ce grand-père de tous les Dominateurs était le plus puissant que Feric eût jamais rencontré. Il ne réussit, faute de mieux, qu’à se soustraire à l’ordre de l’impulsion puissante qui lui fouillait l’esprit de jeter la Grande Massue. Derrière lui, il entendit un tintement de métal sur la pierre : les généralissimes et les S.S., pris dans le champ de la créature, se débarrassaient de leurs armes. Seule la volonté de Feric était assez forte pour résister à ce Dominateur incroyablement puissant, et même ses muscles étaient tétanisés, paralysés par conflit des volontés.
« Bienvenue, ordure humaine, croassa le Dominateur dans une macabre parodie de voix humaine. Il va sans dire que j’attendais votre visite. Cependant, la présence de Feric Jaggar en personne est plus que je n’osais espérer. Je vais jouir du spectacle de votre visage, Jaggar, quand le génotype humain sera balayé de la surface de la Terre à tout jamais ! »
La créature était certainement folle de confondre ainsi la destruction finale de sa propre race avec celle de l’humanité pure ! Feric usa de chaque particule de sa volonté pour tenter de briser le filet de dominance, afin d’écraser la cervelle du misérable avec le Commandeur d’Acier, mais il ne réussit qu’à faire de légers mouvements.
Le Dominateur actionna une manette sur la console, devant lui, puis se mit à rire comme une hyène, une bave claire jaillissant de ses lèvres racornies.
« Voilà qui va sceller le destin de votre misérable espèce, Jaggar ! crachota le vieux Dom. Le signal d’activation vient d’être lancé à une installation des Anciens, très loin à l’est, que nos créatures ont remise en état. Dans quelques minutes, une énorme explosion nucléaire éclatera dans les déserts, projetant des millions de tonnes de poussière radioactive dans l’atmosphère. Les Anciens avaient mis au point ce dispositif afin qu’aucun ennemi ne pût survivre à leur défaite. Nous n’avons pas été capables de le restaurer complètement mais, tel quel, son action sera cependant suffisante. Dans quelques semaines, l’atmosphère de la Terre tout entière sera tellement contaminée que l’homme ne pourra plus se perpétuer. Les matrices de vos pur-sang les plus précieux ne donneront naissance qu’à des nains bossus, à des Perroquets, à des Peaux-Bleues, et à des dizaines de nouvelles mutations, peut-être même de notre espèce. Vous avez détruit l’empire des Dominateurs, et maintenant nous détruisons à tout jamais l’humanité ! Meurs, ordure humaine ! »
Une énorme flambée de rage embrasa le corps et l’âme de Feric, brisant instantanément la carapace dominatrice comme si elle n’eût jamais existé. Il se jeta en avant en brandissant la Grande Massue de Held et, l’assenant sur le crâne du Dom écumant et caquetant, l’écrasa comme un melon, faisant gicler la cervelle grise et huileuse, pénétrant dans le torse, l’ouvrant en deux et répandant des organes translucides et palpitants sur le sol humide. D’une autre volée, Feric pulvérisa la console, et la force de son coup furieux enterra la pomme de son arme dans le sol à une profondeur de trente centimètres.
Le dernier Dom mort, tous furent libérés de la masse de dominance et se mirent à clabauder frénétiquement de concert.
« C’est impossible !
— Le Feu !
— La fin de la race humaine !
— Ils n’ont pas…
— Silence ! rugit Feric, les yeux pleins de larmes, une rage sans nom lui dévorant le cœur. Cessez immédiatement ces piaillements ! Remontons à la surface, voir si l’ignoble créature a prononcé autre chose que des mots creux, avant de pleurer sur notre race ! »
Lorsqu’ils parvinrent au-dehors, rien n’avait changé : une perspective infinie de cendres grises et de débris fumants, que l’armée helder sillonnait sans rencontrer d’opposition et sans trouver la moindre trace de vie.
Le moral de Feric et de ses compagnons remonta d’un cran alors qu’ils se tenaient de nouveau à l’air libre. Il semblait que tout fût en ordre.
« Je n’aperçois pas le Feu des Anciens, Commandeur, fit Best.
— Bah ! le vieux monstre était simplement fou ! » dit Waffing. Feric semblait approuver cette hypothèse.
« Peut-être, dit Bogel, mal à l’aise, mais c’est cependant vous qui nous avez dit que les Doms tenteraient d’exhumer les armes nucléaires des Anciens. »
Cette remarque assombrit à nouveau l’atmosphère et Feric décida qu’il était inutile de s’attarder dans cet endroit sinistre à attendre une catastrophe tout à fait incertaine. Il mena la troupe à la voiture de commandement et poursuivit la tournée de la ville en ruine comme si de rien n’était.
Pendant plusieurs minutes, la voiture, suivie de son escorte de motos, parcourut les cendres, en projetant de grands nuages gris, sans rien apercevoir. Feric et ses compagnons s’étaient désaltérés au tonneau de bière, et le Dom fou dans sa chambre souterraine, proférant ses menaces de destruction nucléaire, semblait invraisemblable et irréel.
Soudain, le ciel parut exploser : un énorme éclair jaillit à l’est, plus éclatant que mille soleils, emplissant la moitié du ciel, effaçant toutes les autres couleurs.
Feric sentit son estomac révulser tandis qu’il frottait ses yeux quasiment aveugles. On ne pouvait se tromper, c’était là le Feu des Anciens. Quelques secondes plus tard, cet éclat terrible faiblit un peu pour laisser apparaître une énorme boule de lumière orange ayant dix fois le diamètre apparent du soleil qui s’élevait sinistrement sur l’horizon oriental.
Lentement, cette énorme bulle de feu s’éleva, aspirant un grand nuage noir bouillonnant de débris dans son sillage. Quelques instants plus tard, le nuage ardent se dessina parfaitement et personne, à cette vue, ne put manquer de reconnaître la vision d’épouvante de l’emblème légendaire et du phénomène tant redouté du Feu des Anciens, le Nuage Champignon.
Personne ne put émettre un seul mot devant cette effroyable amanite céleste. La puissance de l’explosion et la taille du champignon dépassaient la compréhension humaine. Il n’y avait plus aucune raison de mettre en doute la menace proférée par le dernier Dominateur. Puis l’atmosphère fut ébranlée par un coup de tonnerre à déchirer les cieux, devenant ensuite un grondement tellurique de la même intensité. Au même instant, Feric sentit l’air le frapper avec la violence d’un coup de poing ; les S.S. furent jetés à bas de leurs motos comme des fétus de paille et le robuste acier de la voiture de commandement se mit à geindre.
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