— Mais il restera bien un Dominateur ? s’enquit Feric. Nos bombardiers seraient-ils vraiment aussi efficaces ? »
Waffing écarta les bras comme pour étreindre tout le territoire conquis de Zind. À perte de vue, il n’y avait plus que terres désolées, grises et putrides, sans une seule trace de protoplasme vivant ou d’une création humaine intacte due aux esclaves de Zind.
« Les preuves sont là, Commandeur », répondit-il.
Feric sourit. « C’est très étrange, dit-il. Dire que je souhaite que l’armée de l’air helder manque à son efficacité coutumière ! »
Une heure plus tard, le commentaire de Waffing sur l’efficacité des pilotes de bombardiers s’avéra largement justifié. À l’est, au-delà d’une plaine grise et désolée, dévorée de plaques exubérantes de jungle irradiée, Feric aperçut une énorme tache de feu semblable à la bouche d’un volcan gigantesque. Tandis que la voiture de commandement et ses troupes d’appui fonçaient vers cette immense conflagration, écrasant la végétation irradiée sous les chenilles d’acier des tanks et arrosant ensuite les décombres au lance-flammes, Feric aperçut des essaims d’avions qui tournaient et piquaient sur la cité en flammes, lâchant encore projectiles au napalm et obus explosifs sur le bûcher funéraire des Dominateurs de Zind. Même à cette distance, la chaleur dégagée par le feu était parfaitement perceptible.
« Peu de chances que quelque chose survive à cela, Commandeur, dit Waffing, engloutissant une pleine chope de bière en trois gorgées. Je crains d’avoir à vous présenter des excuses pour les prouesses de nos pilotes ! »
Feric ne trouva au fond de lui-même aucun motif d’être furieux. Comment ne pas se réjouir à la vue de la dernière citadelle de l’ultime ennemi de la pure humanité anéantie en flammes tournoyantes ! À côté de la joie raciale que faisait naître cette vision, son désappointement de ne pouvoir abattre le dernier Dominateur de sa propre main était somme toute peu de chose.
Au bout de la plaine jaillit une soudaine poussée de flammes. Les immenses incendies consumant Bora semblèrent se fondre en une énorme boule de feu, que les avions helders eurent grand-mal à éviter. Ce soleil né de la terre pesa un long moment sur la cité perdue ; puis il s’éleva comme pour réintégrer sa véritable place dans les cieux. À sa suite, une énorme colonne de feu d’au moins deux kilomètres de large, aussi haute que les nuages, jaillit droit dans les airs. Fait étrange, cette tour de feu persistait encore alors que l’armée Helder atteignait la ville.
« Nos avions ont déclenché une tornade de feu ! s’écria Waffing. Les savants de l’armée avaient admis la possibilité de voir un bombardement suffisamment violent engendrer une colonne de feu brûlant jusqu’à épuisement de tous les combustibles de la zone. Cela semblait extravagant jusqu’à maintenant.
— On dirait le légendaire Feu des Anciens », souffla Bogel.
Waffing acquiesça. « À défaut, c’est ce qu’on peu réaliser de mieux.
— Pour moi, dit Remler, ses yeux bleus embués, cette vision est d’une terrifiante beauté. » Il humecta ses lèvres de bière sans quitter des yeux la grande fontaine de feu qui projetait son éclat rouge-orangé vers le ciel.
Feric comprenait parfaitement ce que ressentait le commandant S.S. Pour sa part, la vue de la tornade de feu de Bora suscitait en lui deux réactions bien distinctes, mais également plaisantes : l’une patriotique, l’autre esthétique. La destruction totale dans les flammes du dernier noyau de résistance à la domination helder sur Terre ne pouvait que faire chanter un vrai cœur humain. Dans le même temps, l’abstraction de ce magnifique geyser de feu baignant l’univers d’un orange intense s’imposait à sa sensibilité esthétique. Aussi Feric percevait-il la tornade de feu de Bora comme une véritable œuvre d’art : noble et exaltante pour l’esprit humain par sa signification profonde, sensuellement stimulante par son aspect extérieur. Il manquait une touche finale pour créer une épopée visuelle qui inspirât le peuple de Heldon et immortalisât ce sommet de l’histoire humaine pour tous les siècles à venir.
« Bogel, avez-vous des avions photographiques au-dessus de Bora ?
— Bien sûr, Commandeur ! Quel commandant en chef de la Volonté Nationale serait assez fou pour manquer l’occasion de filmer l’instant décisif de l’Histoire humaine ? Nous effectuons en ce moment une retransmission sur chaque place publique de Heldon et nous conservons ce spectacle pour la postérité.
— Très bien, Bogel ; je vais offrir à vos caméras quelque chose qui siéra à la dignité et à l’importance de cet instant. »
Feric choisit d’observer le spectacle depuis un avion photographique en compagnie de Bogel : c’était la meilleure position pour admirer l’œuvre d’art qu’il avait façonnée ; en outre, cette vue aérienne graverait son image dans le folklore de l’humanité pure pour tous les temps.
L’avion photo monta en une folle spirale haut au-dessus du pylône de feu de Bora ; le teint de Bogel vira au vert, et Feric lui-même fut légèrement incommodé. Enfin, l’avion atteignit une altitude de plus de trois mille mètres, se mit en vol horizontal et amorça des cercles autour de la tornade de feu, braquant ses caméras sur le spectacle.
Feric avait rassemblé des motards S.S. et des chars noirs polis à neuf, pour former un énorme svastika d’hommes et de machines centré sur la fontaine de feu, ultime bûcher funéraire de l’ignominie qu’avait été Zind. De cette hauteur, la vision coupait le souffle : un gigantesque svastika de lumière cernait un massif pilier de feu qui s’élançait vers le ciel, enveloppant de lueurs chaudes et orangées le métal poli des machines de guerre.
« C’est magnifique, Feric », souffla Bogel.
Feric brancha son micro pour donner ses dernières instructions à Waffing, qui commandait au sol. « Ce n’est pas tout, Bogel », fit-il. Puis il lança un ordre :
« En avant ! »
Au-dessous, le svastika noir commença un lent mouvement giratoire autour de son axe. Une importante armée helder, disposée pour dessiner l’emblème racial sacré, exécutait une marche victorieuse autour de la capitale en flammes du dernier ennemi de l’humanité pure.
« Feu ! »
De l’immense svastika jaillit un univers de fumée, d’éclairs et de flammes, tandis que chaque tank ouvrait le feu et que chaque motard S.S. tirait un flot de balles traçantes vers l’intérieur, pour alimenter la tornade qui faisait rage au cœur du superbe spectacle.
Cette fois, l’incroyable défilé de victoire était à son sommet, et la gloire transcendante de l’instant correctement célébrée. Loin au-dessous, un svastika de fumée et de feu tournait autour du bûcher funéraire qui dévorait la mutation dominatrice et, partant, toute souillure, grande ou petite, du patrimoine humain. Le vaste svastika étincelant, piqué de dix mille étoiles sur fond de métal noir et luisant, évoluait en cercle autour de l’immense pilier de flammes tournoyantes, composant une vision qui faisait frémir l’âme par sa grandeur et sa beauté. Mais le symbolisme flattait l’esprit humain à un niveau plus noble ; le grand svastika de feu et de métal en mouvement représentait – même aux yeux de l’homme le plus fruste – la quintessence visuelle de l’idéalisme et de la puissance helder. Quant à la signification de la fontaine de feu, elle était claire : c’était le bûcher funéraire de Zind. Ainsi le spectacle constituait-il à la fois le symbole parfait de la victoire finale des forces de Heldon sur la putrescence de Zind et le véritable moment historique de cette victoire ; à la fois un sommet de l’histoire humaine et la célébration de cet événement par une grande réalisation d’art.
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