Feric hocha la tête ; il était inutile de l’inquiéter en lui révélant la vérité. Les Dominateurs disposaient de réserves illimitées de protoplasme dégénéré. Mais, après deux jours d’un terrible carnage, les pertes helders se faisaient lourdes. Vingt mille motards et quarante mille fantassins avaient fait le sacrifice suprême. Parmi les héros fanatiques S.S., les pertes étaient particulièrement élevées, préjudice irréparable pour le patrimoine génétique, et que Feric déplorait amèrement. Mais le pire était que l’importance inattendue et la férocité du combat avaient usé de grandes quantités de munitions et quasiment tari les réserves d’essence. Une ou deux autres attaques, et l’armée helder en serait réduite à combattre avec les seules massues. Waffing devait arriver rapidement !
Cependant, le moral de l’armée n’avait pas fléchi un instant. Plus grandes étaient les pertes, plus grande la férocité avec laquelle les purs humains taillaient les Guerriers en pièces. Après deux jours de dure bataille, on pouvait encore dire qu’aucun monstre zind n’avait réussi à se frayer un chemin jusqu’aux tranchées helders, et que pas une de ces créatures n’avait survécu à l’attaque suicidaire sur les positions helders. En outre les troupes de Waffing n’étaient guère qu’à quelques heures avec de grandes quantités de munitions et des réserves illimitées de pétrole. La situation, après tout, était loin d’être désespérée !
Feric remarqua soudain que Best le dévisageait avec inquiétude pendant qu’il réfléchissait. « Quelque chose ne va pas, Commandeur ?
— Non, Best, tout va bien ! Allons inspecter les troupes ! »
Ayant conduit sa moto au sommet d’un petit tertre, après avoir reçu les saluts fervents d’un bataillon de motards S.S. épuisés mais inspirés, Feric remarqua une grande agitation au sein de la horde zind, à deux kilomètres au nord. Best fit halte à ses côtés et les deux hommes observèrent, par-delà le n0 man’s land désolé, l’océan de chair nue et mutante qui semblait soudainement agité par un frénétique mouvement de masse, comme un gigantesque nid de fourmis-soldats.
« La horde tout entière est en marche ! s’écria Feric. C’est une attaque décisive sur nos positions ! »
Le visage de Best s’éclaira d’un large sourire ; ses yeux brillaient comme des saphirs et son corps irradiait une force presque mystique. Feric comprit parfaitement ce que ressentait le jeune homme car les derniers vestiges de sa propre fatigue venaient de s’évanouir sous la poussée d’une joie ineffable. Enfin l’ultime moment approchait – le peuple de Heldon allait engager contre les forces de Zind une bataille à mort pour la possession de la Terre. Personne ne connaîtrait de gloire plus grande que celle de diriger les forces de l’humanité pure dans cette ultime Armageddon !
Les soldats helders, à leur tour, prirent conscience du mouvement de cette vaste horde et une énorme ovation s’éleva spontanément. Sans qu’il fût besoin d’un ordre, les moteurs des motos démarrèrent, les chars se préparèrent à la charge, et chaque fantassin de cette troupe de héros se dressa, l’œil brillant, l’arme prête. Un chœur de « Vive Jaggar ! » s’éleva ; tout d’abord désordonné, il devint la voix raciale de Heldon hurlant sa haine et son défi à l’ennemi. Il ne fallait pas songer à garder un seul homme en réserve, car on ne pouvait obliger aucun vrai Helder à accepter un tel déshonneur.
Feric dégaina la Grande Massue de Held, foyer de l’énergie raciale, éleva l’arme mystique aussi haut qu’il put, sentant que la puissance de son énorme fût luisant ne faisait qu’un avec la puissance de sa volonté et la conscience raciale qui, en cet instant fatidique, l’unissait à ses troupes.
Puis il fit vrombir sa moto, échangea un dernier regard avec Best et, pointant sa grande arme d’un air de défi en direction de l’ennemi en marche, il lança les armées de Heldon dans la bataille avec un grand cri de guerre.
Il n’était plus temps de s’inquiéter des réserves d’essence ou de munitions ; l’immense armée helder avançait derrière un raz de marée de feu et une muraille d’obus et de balles de mitrailleuses. Galvanisés par l’incroyable spectacle qu’ils dominaient, les pilotes des bombardiers redoublèrent d’audace et de férocité, piquant à cent pieds des têtes des Guerriers, faisant cracher leurs mitrailleuses et lâchant bombes explosives et incendiaires, avant de remonter en chandelle au-dessus de la couronne des explosions, droit dans le soleil, replongeant à nouveau pour mitrailler l’ennemi jusqu’à épuisement de leurs munitions. La borde zind avançait dans un enfer de balles, d’explosions et de flammes ; chaque pouce de terrain était gagné au prix de corps déchiquetés de milliers de Guerriers.
La moto de Feric était arrivée à cent mètres de la mer déferlante des Guerriers géants, quand les chars helders cessèrent le feu et les lance-flammes se calmèrent, ayant brûlé les dernières gouttes du précieux pétrole de leurs réservoirs. Cependant, l’incroyable puissance de feu de près de deux cent mille mitrailleuses helders était encore suffisante pour tailler en pièces chaque rangée de Guerriers qui montaient en ligne. Les balles des mitrailleuses zind sifflaient tout autour de Feric, qui faisait franchir à son armée les derniers mètres ; mais aucune peur ne l’habitait, seulement l’absolue conviction de sa propre invulnérabilité. Il était Heldon, il était l’instrument du destin, il était le Svastika et rien ne pouvait lui arriver.
Puis il plongea dans un monde de fous hurlants et puants, à la bouche souillée d’une bave carminée, qui agitaient leurs immenses massues d’acier, mus par la seule volonté de détruire un homme de plus avant de mourir.
Avançant lentement, Feric fauchait régulièrement de la Grande Massue de Held l’espace devant lui – droite, gauche, droite – sans rater un seul coup, sans laisser à un seul Guerrier aux yeux rouges la moindre chance de passer sous sa garde. Chacune des trajectoires coupait en deux plus d’une vingtaine de Guerriers à hauteur de poitrine, dans une éruption de sang et d’intestins verdâtres et gluants. En quelques secondes l’arme mystique fut à ce point trempée de sang que celui-ci coula le long du bras de Feric, baptisant le cuir immaculé de son uniforme neuf du liquide vital de l’ennemi.
Jetant un rapide coup d’œil, Feric aperçut Best sur ses talons, qui martelait les Guerriers avec un total abandon extatique, ses yeux brûlant d’un fanatisme sans peur et sans pitié. De part et d’autre de Best, de grands motards blonds S.S. avançaient sur une ligne ininterrompue, se précipitant sur l’ennemi avec un courage surhumain et avec toute l’impétuosité helder. De grandes grappes de géants grognant et bavant écrasaient leurs massues sur les chars helders dans un accès de fureur vaine, se déchirant les mains en lambeaux sanglants sur les blindages d’acier, tandis que les mitrailleurs, à l’intérieur des forteresses mobiles, criblaient leurs corps de millions de balles et que les sourdes chenilles d’acier roulaient inexorablement sur leurs cadavres immondes.
Pour Feric, ce combat à mort se parait d’une beauté mystique. Heldon et Zind eux-mêmes étaient engagés dans une bataille décisive, non des Guerriers et des êtres humains particuliers ; le pur génotype humain affrontait la perversion génétique des Dominateurs pour un enjeu de taille, la domination de la Terre et de l’univers pour la suite des temps. Chaque soldat helder combattait, l’esprit enflammé par la véritable signification de ce combat, son âme embrasée de l’ardeur guerrière raciale qu’y avait allumée Feric, son corps et sa volonté se confondant avec l’identité raciale qu’était Heldon. Cet immense réservoir de courage racial, d’énergie et de conscience était canalisé directement dans l’âme de Feric, de telle sorte que Feric Jaggar était Heldon, Heldon Feric Jaggar ; et tous deux montaient un jaggarnath fatidique qui ne pouvait connaître d’échec.
Читать дальше