Norman Spinrad - Rêve de fer

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Et si, écœuré par la défaite allemande en 1918, Adolf Hitler avait émigré aux Etats-Unis ? S'il s'était découvert une vocation d'écrivain de science-fiction ? S'il avait rêvé de devenir le maître du monde et s'était inspiré de ses fantasmes racistes et belliqueux pour écrire
, un roman couronné par de prestigieux prix littéraires ? Etonnante uchronie et terrifiante parodie, Rêve de fer est une dénonciation sans appel et sans ambiguïté du nazisme.

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Norman Spinrad

Rêve de fer

Préface

« Through science and technology we will meet the aliens, and they will be us. »

Norman SPINRAD The Neuromantics

Les dates n’ont rien d’innocent. Sans les charger de quelque signification mystico-ésotérique, il faut bien reconnaître qu’elles influent sur la destinée, au même titre que la géographie. Pour faire simple : avoir vingt ans en 1960 à New York, ce n’était pas du tout la même chose que de les avoir en 1980 à Paris.

Né le 15 septembre 1940 à New York, Norman Spinrad n’a pas encore cinq ans lorsque l’arme nucléaire lancée par son pays détruit Hiroshima, puis Nagasaki. On peut donc considérer qu’il appartient à la génération qui a « toujours » vécu avec l’idée de la Bombe… et le souvenir des camps d’extermination nazis. Né à New York dans une famille juive, on peut supposer qu’il en a été plus marqué que ses contemporains moins directement concernés par cette tragédie.

D’un point de vue technique, statistique, le baby-boom commence en 1945, avec le retour des hommes partis à la guerre. Mais il est clair que les enfants nés entre 1940 et 1945 doivent être pris en compte, non comme des baby-boomers à part entière, mais comme les initiateurs de nombre des mouvements culturels qui ont marqué cette génération : les Beatles, Bob Dylan, Jimi Hendrix, quatre Rolling Stones sur cinq, Angela Davis, Huey Newton, Gilbert Shelton… Si Norman Spinrad n’est donc pas un baby-boomer, il est incontestablement l’un des premiers porte-parole de cette génération, et sans doute le premier dans le domaine de la science-fiction, où il introduit notamment le rock’n’roll en 1969 dans « Le grand flash [1] In Histoires de catastrophes . ».

J’aurais pu tout aussi bien souligner qu’il a fêté ses quatorze ans en 1954, année marquée par une explosion qui vaut bien celle d’Hiroshima : la naissance du rock’n’roll. Quatorze ans en 1954 valent bien seize ans en 1966 ou dix-sept en 1977, trois dates majeures de l’histoire du rock : naissance, mutation, retour aux sources et à l’énergie originelle.

Autour de cette date symbolique où Elvis Presley enregistre un disque pour sa maman, il ne faut pas oublier que les années 50, celles de l’adolescence de Spinrad, marquent les débuts de ce qui sera qualifié par la suite de « révolution sexuelle ». Les mouvements jugés provocants du pelvis d’Elvis participent d’une tendance plus générale qui voit fleurir, sous des pochettes sans cesse plus sexy, des disques de musique « exotique » ou censés permettre aux épouses étatsuniennes de s’entraîner à la danse du ventre. On pourrait également citer les tikis, ces symboles phalliques hawaiiens que l’on plante fièrement à la verticale au fond du jardin. Ces premières audaces montrent que la société étatsunienne commençait déjà à s’extraire du carcan étouffant du puritanisme. C’est aussi au cours de cette décennie que commence à se développer l’intérêt pour les drogues psychédéliques dont l’usage se répandra largement dans les années 1960.

La deuxième moitié des fifties voit donc se mettre peu à peu en place le célèbre sex & drugs & rock’n’roll – trinité dont Norman Spinrad saura tirer parti tout au long de sa carrière, le point culminant de cette ligne d’inspiration étant sans doute Rock Machine (1987), avec ses personnages adolescents complètement obsédés, ses drogues électroniques et ses rock-stars synthétiques. De ce point de vue, Spinrad demeure fidèle à une certaine Weltanschauung des années 1960, où la musique en général et le rock en particulier constituent un vecteur pour des idées politiques ou de critique sociale.

En revanche, il a quasiment abandonné en chemin la violence extrême et provocatrice qui était une caractéristique majeure de certains textes de ses débuts – cette violence qui, illustrée entre autres au cinéma par Sam Peckinpah, était considérée comme un élément de modernité au tournant des années 1960-1970. Et il semblerait que Rêve de fer marque chez Norman Spinrad l’apogée et la fin de cette tendance, comme s’il avait enfin réussi avec ce livre l’exorcisme qu’il cherchait à réaliser à travers un texte comme Les Hommes dans la jungle.

Quel est le comble de la provocation pour un auteur juif ?

Écrire un roman signé Adolf Hitler.

Voici ce que Alain Dorémieux écrivait en 1974 dans la revue Fiction dont il était alors rédacteur en chef :

«… [ Rêve de fer ] est une parodie énorme, à la fois délirante et logique, de toute l’heroic fantasy, de tout ce qu’elle contient de fascisme larvaire, de pulsions guerrières, d’images nietzschéennes du surhomme et de la race dominatrice. Autrement dit, dans cet univers où l’hégémonie nazie n’a pas eu lieu, Hitler rêve sur le plan du fantasme l’accomplissement symbolique du nazisme et le projette dans le domaine littéraire de manière pathologique. »

Une parodie, oui. Mais une parodie noire , et d’une violence qui dépasse tout ce que Norman Spinrad a pu écrire auparavant. Le fameux « Et on s’amuse, et on rigole » des Hommes dans la jungle fait place à un implicite « Et on ne s’amuse pas, et on ne rigole pas ». Rêve de fer ne fait pas rire, ni même sourire, mais plutôt grincer des dents. Quant au roman dans le roman, monstrueuse métaphore d’une histoire – la nôtre – qui n’a pas eu lieu là-bas, il n’est que haine [2] Bien évidemment raciale : il suffit de compter le nombre d’occurrences des termes pur/pureté/purhommes et gènes/génétique, qui, seuls ou en association, jouent le rôle de principaux leitmotive. , sang et mort.

Pas de sexe, pas de drogues, pas de rock’n’roll.

L’absence de drogues n’a rien de remarquable, et celle du rock’n’roll semble logique : Le Seigneur du Svastika étant censé avoir obtenu le Hugo en 1954, il lui aurait été difficile de se référer à un genre musical qui n’existait pas encore au moment de son écriture. (On peut d’ailleurs se demander si le rock’n’roll est apparu dans cet univers ; faute des conditions nécessaires à son apparition, j’aurais tendance à penser que non.) L’absence apparente de sexe, par contre, peut sembler surprenante chez un auteur pour qui décrire les relations sexuelles de ses personnages est l’une des manières de cerner leur psychologie.

S’il n’y a pas de scènes de sexe explicites, le livre abonde en scènes de sexe implicites. Pour un œil aiguisé et averti, Le Seigneur du Svastika fait figure d’immense partouze homosexuelle où une sexualité refoulée s’exprime à travers la violence extrême des protagonistes. C’est dans le combat que Feric Jaggar et ses hommes trouvent leur plaisir, et non dans l’union charnelle avec une femme, exclusivement destinée à la reproduction. Ce point et bien d’autres sont détaillés dans la « postface », qui constitue en fait la véritable chute de Rêve de fer en nous donnant un aperçu du monde uchronique où a été écrit Le Seigneur du Svastika. Sans doute rédigée pour éviter toute interprétation tendancieuse de ce livre, cette analyse du roman débouche, à nos yeux de lecteurs de notre univers, sur une véritable interprétation psychanalytique du nazisme – au cas où certains, lisant Le Seigneur du Svastika , au premier degré, auraient manqué l’évidence exprimée par d’innombrables indices dans le corps du roman.

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