« Commandeur, fit-il d’un ton pincé, j’ai l’honneur de vous apprendre que nous avons tiré près de cent mille humains purs des cloaques génétiques ! En fait, nous avons même déniché quelques douzaines de candidats S.S., aussi incroyable que cela puisse paraître !
— Remarquable ! s’écria Feric, impressionné par ces chiffres et désireux de faire amende honorable après ses paroles de scepticisme. Vous opérez des miracles avec cette technique, Remler.
— Commandeur, cette technique est peu de chose comparée à ce que les généticiens S.S. ont récemment accompli. Nous avons mis au point un jeu complet de critères pour les surhommes S.S. du futur. Ces merveilleux spécimens auront plus de deux mètres dix, la peau claire, les cheveux dorés, un physique de dieu et une intelligence moyenne surpassant celle des génies actuels. En réglementant la reproduction de la présente génération de S.S. avec la plus grande rigueur, nous pourrons donner le jour à cette race de maîtres dans trois générations au plus. »
À ces mots, les mâchoires des commandants en chef béèrent. « Fantastique, s’exclama Feric. Dès que nous aurons un stock suffisant de ces pur-sang génétiques, nous pourrons hausser tout le peuple de Heldon à leur niveau divin en une seule génération, en faisant simplement des S.S. les seuls géniteurs de la prochaine couvée de Heldon. »
Remler eut du mal à se contenir. « Exactement, Commandeur ! s’écria-t-il. Mais nos savants les plus audacieux pensent être en mesure de réaliser mieux encore : la technique du clonage. Un fragment de tissu est prélevé sur des S.S. du meilleur pedigree. Dans des bacs nutritifs un nouvel S.S. croît à partir de ce tissu somatique, génétiquement identique au donneur. Ainsi les hasards de la reproduction sexuée sont complètement supprimés. En outre, un donneur peut reproduire des centaines, voire des milliers de clones génétiquement identiques. La race des maîtres peut être créée en une seule génération ! La recherche n’en est cependant qu’aux balbutiements. »
Pendant cet échange, Waffing se trémoussait sur sa chaise, avalant de grandes gorgées de bière, manifestement désireux de présenter ses propres réalisations pour les comparer à celles de Remler.
« Je vois que quelque chose vous étouffe, et ce n’est pas la bière, dit Feric en souriant. Faites-nous votre rapport avant d’exploser.
— L’armée ne s’est pas exactement tourné les pouces pendant que les S.S. faisaient des miracles, dit Waffing. Nous tirons des travailleurs un rendement étonnant et nos savants progressent rapidement dans la redécouverte des arts martiaux des Anciens. Nos derniers chars sont équipés d’appareils capables de lancer de grandes langues de feu sur l’ennemi. Dans très peu de temps, nos nouveaux chasseurs à réaction seront opérationnels ; ces croiseurs seront capables de vitesses supérieures à celle du son ! Quant à la production, nous avons à présent plus de mille chars, autant de croiseurs aériens, assez d’armes modernes pour une armée d’un million d’hommes, ainsi que des montagnes de munitions. Une fois les champs pétrolifères du sud-ouest de Zind conquis, notre problème logistique sera définitivement réglé. »
Waffing s’interrompit pour se fortifier d’une grande goulée de bière et ménager en même temps un effet dramatique. « Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin, Commandeur, fit-il, triomphant. Nos spécialistes en fusées ont mis au point des missiles capables de lancer une charge de trois tonnes à une distance de six mille cinq cents kilomètres. Zind tout entière est maintenant à portée de nos armes.
— Merveilleux, Waffing ! » applaudit Feric.
À nouveau, Waffing porta la chope à ses lèvres, cette fois manifestement dans un but d’emphase dramatique car, lorsqu’il la reposa, il souriait comme un chat qui vient de croquer un canari.
« Et cela ne représente qu’une partie des résultats. Commandeur ! L’un de nos groupes de recherches a découvert les techniques d’obtention des ingrédients légendaires du Feu des Anciens : uranium enrichi, plutonium et eau lourde. Donnez-nous quelques mois et nous pourrons rayer Zind de la carte avec l’arme la plus puissante des Anciens – les missiles nucléaires ! »
Dans le silence pétrifié qui suivit. Feric crut entendre la chute des particules de poussière dans l’air.
Les armes nucléaires ! Le Feu des Anciens qui avait ravagé la Terre, créé les déserts radioactifs, complètement pollué le patrimoine génétique, causé la mutation des Dominateurs ! Le Feu était directement responsable de la situation qui créait pour tous les purs humains l’obligation sacrée de la modifier. Quelle folie de vouloir à nouveau libérer cette force ! Une seule expérience ratée, et la purification du patrimoine génétique serait reculée de plusieurs générations ! Quant à entreprendre une guerre nucléaire, c’était impensable ! Comment purifier la Terre avec le Feu même qui l’avait préalablement souillée ?
Best et Bogel étaient véritablement hagards, alors que Remler montrait une expression farouche et indéchiffrable.
Feric rompit enfin le terrible silence. « Waffing, j’interdis absolument la poursuite de ces recherches. Raviver le Feu est impensable. »
Waffing ouvrit la bouche pour protester, mais ce fut Remler qui articula le premier : « Impensable pour nous, Commandeur, pas pour les Doms.
— Je ne peux croire que les Dominateurs puissent s’abaisser à une telle ignominie, murmura Feric.
— Tout le monde sait que ces créatures exposent le germe de leurs esclaves aux radiations pour développer de nouvelles et horribles dégénérescences protoplasmiques », souligna Remler.
L’argument porta. Feric ne conservait guère l’espoir que des monstres capables de cette ultime infamie pussent être arrêtés par des scrupules moraux quand il s’agirait d’employer des armes nucléaires. « Vous avez raison, bien sûr, souffla-t-il. Mais la discussion est certainement académique. Le niveau technologique de Zind est rudimentaire, comparé au nôtre.
— Peut-être, dit Remler, mal à l’aise. Mais par ailleurs des rapports inquiétants nous parviennent de Zind. Nous savons que les Doms ont envoyé une expédition importante d’esclaves dans les déserts orientaux plus loin qu’ils n’étaient jamais allés ; ces déserts sont si contaminés que ces créatures périront d’une façon horrible en l’espace de quelques mois. Il doit y avoir là quelque chose de très important aux yeux des Doms pour qu’ils dépensent tant de protoplasme. Et il est de notoriété publique que de nombreuses armes nucléaires furent stockées dans ces régions au temps des Anciens.
— Mais les armes nucléaires des Anciens ne seront certainement plus opérationnelles après si longtemps, en admettant que Zind parvienne à les découvrir, dit Feric.
— Certainement, Commandeur, approuva Remler. Peut-être n’est-ce après tout qu’un acte désespéré de la part des Doms, car ils doivent savoir que l’heure de leur anéantissement approche.
— Mais d’autre part, ajouta Waffing, mes savants m’informent que les matériaux nucléaires ne se détériorent pas durant des milliers d’années, et que l’élaboration de ces substances mystérieuses est en fait l’aspect le plus compliqué de la fabrication des armes nucléaires. Même les benêts de Zind pourraient remettre en service les armes nucléaires des Anciens s’ils en découvraient. »
Le cœur de Feric se serra, car la logique de Waffing était irréfutable. Si Zind découvrait les armes des Anciens, les Doms pourraient raviver le Feu ; si les Doms avaient le Feu, ils s’en serviraient. Pourtant, Feric ne se départit pas de son absolue détermination morale : Heldon ne courrait pas le risque d’une contamination totalement irrémédiable du patrimoine génétique en jouant avec le Feu. Il devait y avoir une porte de sortie ! Une idée le frappa soudain.
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