— Ce qui ne sera pas fait pour leur remonter le moral », répliqua vivement Best.
L’inquiétude de Feric en fut dissipée. Best était un excellent compagnon de bataille ; il voyait toujours le bon côté des choses !
Les troupes de Feric, désormais sur le qui-vive, poursuivirent leur avance vers l’est et la frontière de Zind. Dès à présent, les troupes zind massées à la frontière devaient être en état d’alerte, prêtes à l’action comme jamais elles ne l’avaient été, et dans quelques heures la grande horde zind du Nord serait à son tour au courant de la situation exacte et amorcerait son mouvement vers le sud. Une grande bataille en perspective ; il était essentiel qu’elle eût lieu le plus au nord possible, loin à l’intérieur du territoire de Zind.
Aussi Feric fit-il bifurquer légèrement son armée vers le nord ; les défenseurs frontaliers une fois écrasés, il serait possible de pénétrer à plusieurs centaines de kilomètres à l’intérieur de Zind vers Bora, avant que le gros de la horde zind du Nord n’exécute un mouvement tournant pour arrêter l’avance. Il fallait éliminer au plus vite les forces zind à la frontière de Malax ; chaque heure perdue éloignerait d’autant la bataille de Bora. Pour ne rien laisser au hasard, Feric envoya une escadre de cinquante appareils, à l’intérieur de Zind, paver la voie des corps déchiquetés et des équipements brisés des défenseurs.
Une demi-heure plus tard, dix formations en V de bombardiers noirs et luisants passaient en rugissant au-dessus de l’armée de Heldon, saluaient élégamment en battant des ailes, et fonçaient vers l’est au-dessus des collines couvertes d’une fétide jungle irradiée. Ils n’avaient pas encore disparu derrière les collines qu’un grand sifflement se fit entendre et qu’une paire d’obus explosèrent dans un geyser de mottes de terre et de fumée, à moins de trois cents mètres devant le char de Feric.
« L’artillerie zind ! » s’écria Best.
Levant les yeux vers l’est, Feric aperçut un petit point noir très haut dans le ciel. Il sauta sur la radio pour appeler le commandant des avions. « Un avion de réglage de tir au-dessus de nous ! Faites revenir un appareil pour le descendre. Envoyez-en un autre en avant au-dessus de la horde zind pour transmettre l’angle de hausse et la distance à nos canonniers.
— Tout de suite, Commandeur ! Vive Jaggar ! »
Une autre salve d’obus explosa devant le char, nettement plus près. Bas sur l’horizon, Feric vit un autre point noir brillant surgissant de l’est. Une nouvelle salve tomba, plus proche encore, criblant le blindage de graviers. La petite traînée noire se métamorphosa rapidement en un rapide et étincelant chasseur-bombardier helder ; l’avion se dressa subitement vers le soleil, grimpa, puis plongea pleins gaz et presque en piqué sur l’appareil de Zind. Feric aperçut les flammes orangées des mitrailleuses de l’avion ; puis l’appareil de Zind se brisa et tomba comme une pierre. Le chasseur passa en rase-mottes au-dessus de l’armée helder, exécuta un looping triomphal, puis effectua un virage de cent quatre-vingts degrés et retourna vers les combats de l’est.
Une salve d’obus défonça le sol sans dommage à près de trois cents mètres du char de Feric. « Les canonniers zind sont maintenant aveugles, Best, dit Feric. Augmentez la vitesse de dix kilomètres et virez de cinq degrés vers le sud ; ces porcs tireront sur des fantômes. »
Quelques instants plus tard, l’avion de réglage helder envoyait les coordonnées demandées. Sur la ligne de crête d’une lointaine colline, Feric aperçut les éclairs d’explosions trouant le ciel et des colonnes de fumée : les bombardiers pilonnaient l’ennemi.
Soudain, l’univers lui-même, eût-on dit, fut secoué par le rugissement incroyable de sept cents canons helders tirant à l’unisson. Puis un essaim de météores d’acier déchira le ciel vers l’est, et l’horizon s’embrasa derrière les collines dans une immense aurore de flammes orange et d’épaisse fumée noire. Un puissant grondement se fit entendre encore, immédiatement étouffé par le fantastique hurlement de la salve suivante.
Tirant pratiquement un coup à la minute, les chars helders accélérèrent jusqu’à atteindre quatre-vingts kilomètres/heure, défonçant la jungle irradiée, écrasant la pâle herbe bleuâtre sous leurs chenilles, irrésistible jaggarnath de feu, de chair et d’acier, projetant devant lui ses messagers de mort et laissant derrière lui un sillage de dévastation. Bientôt Feric eut conduit sa puissante troupe de choc au-delà de la dernière crête : les Guerriers de Zind apparurent soudain à leurs yeux.
Ravages et destructions régnaient déjà en maîtres dans cette horde de Zind. Les coteaux éloignés n’étaient plus eux-mêmes que dépotoirs fumants de blindés et de fourgons emmêlés et brisés. Dans la vallée, dix mille Guerriers environ étaient disposés en longues rangées face à l’avance helder. La plupart d’entre eux avaient été transformés en petits monticules sanglants qui maculaient d’écarlate le paysage gris et lunaire fait de trous d’obus et de cratères fumants. Quant aux géants de trois mètres survivants, bon nombre couraient au hasard, tiraillaient frénétiquement en l’air, éclaboussaient leurs camarades d’urine jaune et acide, grognaient, se bourraient de coups et bredouillaient, car la vallée était jonchée de carcasses carbonisées de douzaines de fourgons surmontées des cadavres calcinés de leurs contrôleurs doms.
Un dernier quarteron de bombardiers plongea du ciel, déversa son chargement de bombes sur une formation de Guerriers nus et musclés, remonta au ras des explosions puis rejoignit les autres appareils qui regagnaient leurs bases. Une des dernières bombes tomba en plein sur l’un des fourgons encore intacts, le pulvérisant avec le Dom qui l’occupait. Immédiatement, les Guerriers en formation serrée qui l’entouraient rompirent les rangs et se mirent à courir en cercle, se heurtant de front à chaque tour, se fusillant aveuglément les uns les autres, déféquant, bavant et grognant.
La grande armada de chars noir et rouge descendit dans la vallée : les canons réglés pour un tir à bout portant lancèrent une salve massive d’obus explosifs, projetant dans les airs des milliers de Géants stupides qui retombèrent dans une pluie d’os et de sang. Deux autres salves dévastatrices furent tirées ; puis Feric entraîna ses troupes dans un nuage tourbillonnant de poudre, de poussière, de gravats et de chair. Ce fut au tour des mitrailleuses de faire entendre leur crépitement assourdissant, et les lance-flammes crachèrent des torrents de pétrole ardent et poisseux sur l’ennemi.
Feric enfonça la détente de sa mitrailleuse et la puissante arme tressauta en hurlant dans sa main comme une chose vivante. Inutile de viser dans cet affreux chaos. Le char émergeait par à-coups d’une mer d’énormes créatures nues, nanties de têtes minuscules sans face et de membres épais comme des troncs d’arbres. Ces monstres tiraillaient frénétiquement, donnaient de grands coups de massue à tout ce qui était à leur portée, s’agrippaient aveuglément à leurs camarades ou même aux plaques de blindage des chars, crachant et miaulant. On eût cru plonger dans un nid de serpents enragés.
La muraille de chars progressa dans cette masse de protoplasme sanieux et forcené, derrière une rivière de flammes et un roulement gigantesque de mitrailleuses. Les Guerriers flambaient comme des torches, hurlant, communiquant le feu à leurs camarades dans leurs spasmes d’agonie, emplissant l’air de l’odeur pénétrante de la chair rôtie. Comme du blé que l’on fauche, les putrides créatures tombaient sous les mitrailleuses des chars et étaient transformées ensuite en un mince brouet sanglant par les chenilles d’acier.
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