« C’est ainsi que la surface de la lune a dû apparaître aux Anciens », murmura Best.
Feric approuva de la tête. Aussi loin que portait le regard, le terrain était bouleversé, troué de grands cratères fumants, couvert de fragments déchiquetés de roche, de métal et d’arbres, chaque pouce de terre retourné et dénudé comme si une charrue gigantesque l’avait préparé pour les semailles. Un épais rideau de fumée dégageait une âcre puanteur chimique, complétant l’illusion de dépaysement. Quant à la populace de Malax, on n’en apercevait nulle trace, sauf quelques taches rouges étalées çà et là.
« L’aviation a magnifiquement fait son travail ! s’écria Best.
— Oui, Best, dit Feric, c’est une nouvelle ère dans la stratégie guerrière : attaque aérienne éclair, puis une irrésistible percée de blindés, les deux poings d’acier agissant en étroite coordination.
— Il semble qu’un seul ait suffi à abattre Malax, Commandeur ! »
Feric grimaça un sourire, songeant aux hordes de Zind qui, certainement, ne se laisseraient pas balayer avec une facilité aussi déconcertante. Avant longtemps, la nouvelle tactique qu’il avait mise au point serait expérimentée dans ses moindres détails. Il imagina avec délectation l’instant où il lancerait l’ensemble de ses forces aériennes et blindées contre la puissante Zind, ennemi plus digne de l’immense puissance de destruction actuellement sous ses ordres.
Rien ne vint sauver Feric de l’ennui pendant la traversée de Malax : on ne voyait que collines basses, poches de jungle cancéreuse – plus nombreuses et plus étendues à mesure que l’armée s’enfonçait à l’est –, champs de cultures pathétiquement biscornues, rares enclos de bovins à six pattes et de cochons boursouflés à peau horriblement tachetée, et, ici et là, un groupe de huttes puantes. De résistance organisée, point ; bien sûr, on découvrait de loin en loin un Malaxien, mais le nuage de poussière qui annonçait l’armée helder suffisait à disperser les métis bien avant que le char de Feric n’arrive en vue.
Les services de renseignements avaient indiqué qu’une petite armée zind occupait les régions orientales de Malax ; c’est avec ces guerriers que Feric espérait, dans un premier temps, apaiser la soif de combat qui grandissait dans les âmes helders. Ils n’offriraient au mieux qu’une résistance passagère, mais ils étaient de l’espèce à s’accrocher à leurs positions et à combattre jusqu’à la mort.
Ce fut donc une surprise que la première manifestation des forces de Zind vînt des airs.
Le char de Feric avait atteint une zone située à une centaine de kilomètres de la frontière de Zind ; ici, les étendues de jungle irradiée se succédaient, toujours plus denses et plus grandes, étouffant les misérables herbages survivants. Pendant près d’une heure, toutes sortes de monstres avaient jailli de la jungle cancéreuse alors que le lance-flammes des chars incendiaient ces cloaques de putrescence génétique : oiseaux géants sans plumes, à quatre pattes, et couverts d’ulcères purulents là où auraient dû se trouver leurs becs, ignominies bondissantes et sans peau traînant des organes palpitants qui rebondissaient dans toutes les directions, chiens sanieux, porcs, des troupes de petites horreurs qui pouvaient être des belettes déformées, des blaireaux ou des hérissons, ou plus sûrement encore le résultat d’un triple métissage.
Aussi Feric ne s’étonna-t-il pas lorsque Best désigna, dans le ciel vingt points noirs qui se dirigeaient vers l’armée helder, venant de l’est. « Une sorte d’oiseaux mutants, sans doute », observa-t-il sans leur prêter plus d’attention – car ils paraissaient extrêmement petits et lents.
Mais quelques minutes plus tard, il changea brutalement d’opinion : de petits et lents qu’ils parussent dans le lointain, ils se découvraient soudain rapides et immenses en survolant le char.
« Quelles répugnantes horreurs ! » hurla Best. C’était pour le moins un euphémisme. Les créatures consistaient pour l’essentiel en ailes immenses de quinze mètres d’envergure, répugnants tissus visqueux tendus sur une fine ossature. Collé sous les ailes, un torse quasiment vestigiel, également couvert de tissu translucide et visqueux, au travers duquel on voyait clairement palpiter les organes internes. Ni tête ni aucun autre appendice, mais d’énormes sacs distendus pendant de façon obscène de chaque côté du corps étroit.
Comme les monstres passaient en formation serrée au-dessus du char de Feric, des sphincters s’ouvrirent à l’arrière des énormes sacs boursouflés et des gouttes d’un liquide vert tombèrent sur les chars, immédiatement derrière Feric. À l’instant où cette pluie putride atteignait les plaques de blindage des chars, des nuages denses de fumée d’un jaune sale fusèrent du métal grésillant.
« Feu ! » cria Feric. Il ouvrit son écoutille, releva sa mitrailleuse et envoya une grêle de balles dans l’une de ces horreurs, perçant la membrane visqueuse de l’aile en dix endroits. Immédiatement, la créature s’abattit silencieusement, et les grands sacs explosèrent comme des pustules, douchant un char d’une pluie acide. Au sol, la créature fut broyée sous les chenilles des engins en marche. Le tank qui s’était trouvé sous le monstre émit une colonne de fumée asphyxiante et parut se dissoudre.
« Essayez les lance-flammes ! » ordonna Feric à son équipage de tourelle tout en continuant de tirer, abattant un autre de ces monstres au prix d’un nouveau char. Le ciel, au-dessus des tanks helders, s’emplit alors de balles brûlantes de mitrailleuses, six autres créatures firent exploser leurs sacs avant de s’abattre, détruisant encore quatre chars.
Une seconde plus tard, une grande langue de feu orange jaillit d’une tuyère au sommet de la tourelle du char de Feric, enveloppant de pétrole enflammé une des choses volantes, qui se recroquevilla en un tas de cendres noircies avant même de toucher le sol, ses sacs d’acide explosant en plein ciel sans dommage pour la colonne blindée.
Voyant cela, les commandants des autres chars ouvrirent le feu avec leurs lance-flammes, descendant sept autres créatures ; soudain les monstres survivants virèrent de bord à l’unisson comme un vol d’oies, grimpèrent vers le soleil et repartirent à tire-d’aile vers l’est, d’où ils étaient venus.
« Commandeur ! » hurla Best, désignant haut dans le ciel un point au-dessus de la formation de monstres qui disparaissait dans le lointain. Survolant la formation de cent cinquante mètres, une créature similaire mais isolée fuyait ; au lieu de sacs d’acide, elle portait, accroché sous elle, une sorte de panier de métal dans lequel on pouvait nettement distinguer une silhouette humanoïde.
« Un Dom ! s’écria Feric. Évidemment ! Il fallait un Dom pour contrôler ces bêtes ! » Il cria dans son micro : « Ouvrez le feu ! Il y a un Dom dans ce panier, là-haut et il tente de fuir ! »
Aussitôt l’air s’emplit du sifflement des obus, du jaillissement des langues de feu et d’une incroyable grêle de balles de mitrailleuses, mais en pure perte. La chose volante était hors d’atteinte, sauf des canons, mais leurs obus n’étaient pas munis de têtes chercheuses et les chances d’un coup au but étaient donc pratiquement nulles.
Ce gigantesque barrage étant sans effet, Feric ordonna le cessez-le-feu.
« Eh bien, nous avons détruit pas mal de ces choses. Commandeur, fit Best d’un ton légèrement découragé, alors que les monstres volants n’étaient plus que de minuscules points à l’horizon.
— Mais pas la plus importante, Best. C’était certainement davantage un raid d’éclaireurs qu’une attaque en règle. À présent, le Dom qui le conduisait va faire un rapport détaillé sur l’avance de notre armée.
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