Le discours de Stopa était aussi agréable à Feric qu’aurait pu l’être celui d’un adolescent à qui n’aurait manqué qu’un père sévère et sage pour canaliser dans la bonne direction ses instincts de jeune animal sain. Quel contraste entre ces splendides gaillards et les citadins terrés au fond de la cabine !
« Ce que je veux vous voir comprendre, espèces de larves, poursuivit Stopa, c’est qu’à notre manière nous sommes des idéalistes et des patriotes. Lorsque nous pensons qu’une limace est un mutant puant, nous le tuons sur-le-champ. Nous débarrassons ainsi les bois d’un tas d’ordures génétiques. C’est un cadeau à tous que nous faisons là, une fleur en échange de laquelle nous pensons avoir le droit de demander quelque chose. Et, pour commencer, videz vos poches et remettez-nous vos bourses et vos portefeuilles. »
Un concert de gémissements épouvantés et de cris de colère fit écho à cette déclaration, mais, Stopa et quelques-uns de ses hommes ayant fait un pas vers les passagers, une véritable avalanche de bourses, de portefeuilles et autres objets de valeur s’abattit sur le plancher de la cabine. Bogel lui-même se fouilla, à la recherche de sa bourse et de son portefeuille, et les aurait sans doute tendus si Feric, d’une pression de la main et d’un regard impérieux, ne l’en avait empêché. Une fameuse brochette d’hommes purs que ces couards, ces poltrons ! Racialement, un seul de ces rudes barbares en valait dix !
Tandis que ses hommes ramassaient le butin, Stopa se dirigea vers les sièges où Feric et Bogel se tenaient immobiles et bien en vue. Il fusilla Bogel du regard, brandit sa massue de manière significative et gronda : « Et toi, gringalet ? À te voir, on dirait un mutant ou même un Dom. Nous arrachons aux Doms bras et jambes avant de les rôtir vivants. »
Bogel devint blanc comme un linge, pétrifié, mais Feric déclara à voix haute et claire : « Cet homme est sous ma protection, et vous avez ma parole d’honneur que son pedigree est parfait.
— Qui crois-tu être ? mugit Stopa, balançant son torse puissant au-dessus de Bogel pour fixer sur Feric un regard féroce. Ouvre encore la bouche et j’y enfonce ma massue. »
Lentement, délibérément et sans détourner une seconde son regard inflexible des yeux de Stopa, Feric se dressa de toute sa taille : les deux hommes gigantesques se trouvaient ainsi face à face, leurs regards se défiant par-dessus Bogel, toujours assis. Pendant un long moment, les yeux bleus de Stopa soutinrent ceux de Feric, qui canalisait résolument chaque molécule de sa formidable volonté dans son regard de fer. Puis la volonté de Stopa fléchit, et son regard fut obligé de se détourner pour s’accorder un répit après cet irrésistible assaut psychique.
À cet instant, Feric dit simplement : « Je suis Feric Jaggar. »
Reprenant ses esprits, Stopa demanda : « Où sont vos richesses, Purhomme Jaggar ? » Mais sa voix avait à présent perdu son inflexion métallique.
« Mon portefeuille et ma bourse sont attachés à ma ceinture, comme vous pouvez le voir, répliqua Feric sans s’émouvoir. Et ils y resteront.
— Je vous ai dit que nous faisions une fleur à tout le monde, dit Stopa, brandissant à nouveau sa massue. Vous devez être quelque mutant ou métis pour refuser de contribuer à la cause, et, ceux-là, nous les tuons. Vous feriez donc mieux de prouver votre pureté en nous remettant vos affaires, ou nous allons nous payer une purée de mutants.
— Laissez-moi vous dire avant tout que j’approuve entièrement vos sentiments. J’ai moi-même débarrassé le monde d’un Dom pas plus tard qu’hier. Nous servons la même noble cause. Je reconnais en vous un homme comme moi, impitoyablement déterminé à protéger la pureté génétique de Heldon à la force du poing et de l’acier. »
Pour quelque raison ces paroles parurent vexer Stopa ; il scruta le visage de Feric d’un air incertain comme pour y chercher un message au sens caché. Ses camarades, cependant, ayant durant cet échange ramassé leur butin, manifestaient maintenant, maussades et impatients, leur irritation.
« Allez, Stopa, casse-lui la tête et allons-nous-en d’ici !
— Écrase cette grande gueule ! »
Stopa se retourna sur lui-même, ivre de rage, fouettant l’air de sa lourde massue. « Larves ! Le prochain d’entre vous qui ouvre la bouche ramènera ses dents dans un sac ! »
Ces grands et rudes gaillards reculèrent devant la fureur de Stopa, qui revint vers Feric, le visage rouge, les yeux brillants de colère. « Écoutez, gronda-t-il, vous semblez être d’une autre trempe que ces vermisseaux, Jaggar, un peu comme moi, aussi n’ai-je aucune envie de vous détruire. Mais personne ne gagne à discuter avec Stopa ; alors donnez-moi vos affaires, et nous nous en irons. »
Feric réfléchit un instant. Jusque-là, il n’avait agi que par instinct, sentant que ces Vengeurs étaient liés en quelque sorte à son destin et qu’il se desservirait lui-même en apparaissant à leurs yeux autrement qu’en héros à la volonté de fer. Il lui semblait désormais qu’il aurait à les combattre tous, auquel cas il serait massacré, ou qu’il devrait se résoudre à leur donner son argent, et alors il perdrait à la fois sa modeste fortune et leur respect. Bogel, pour sa part, était trop terrifié pour oser intervenir, même pour lui donner des conseils de lâcheté. Finalement, fixant Stopa d’un œil méprisant, Feric opta pour la dernière des audaces.
« Vous semblez vigoureusement bâti, Stopa, dit-il. Je ne vous aurais pas pris pour un couard. »
Le visage de Stopa s’empourpra, ses dents grincèrent, et les muscles de ses bras saillirent en collines noueuses.
« Vous n’osez me menacer ainsi que parce que je suis désarmé, que vos hommes sont derrière vous et que vous tenez à la main une massue, poursuivit Feric. Vous savez qu’en combat régulier je vous vaincrais. »
Le rugissement animal qui jaillit de la troupe de Stopa s’acheva en rires moqueurs. Stopa se retourna vers les Vengeurs, le regard mauvais, mais sans grand résultat. La troupe connaissait les mêmes lois qu’une meute de loups ; le chef commandait aussi longtemps qu’il était capable de défaire tous les arrivants. Il venait d’être défié, et son pouvoir sur les autres ne retrouverait toute sa force qu’une fois l’affaire réglée. Stopa lui-même, presque instinctivement, comprit clairement la situation et son regard à nouveau fixé sur Feric brilla de ruse, démentant ses traits empourprés.
« Vous osez défier Stopa ? rugit-il d’un air belliqueux. Seul un Vengeur peut défier le commandant d’égal à égal. Je vous laisse choisir, Jaggar : donnez-moi vos richesses humblement comme les autres vermisseaux, faites-vous écrabouiller sur-le-champ par la bande, ou subissez les rites d’initiation des Vengeurs. Si vous survivez, nous réglerons le reste entre nous. »
Feric sourit largement ; c’était précisément ce qu’il voulait. « D’accord pour l’initiation, Stopa, fit-il calmement. Cette cabine m’a engourdi les muscles et j’ai besoin d’un petit peu d’exercice. »
Les Vengeurs hurlèrent leur approbation à cette repartie. Il était clair que tous ces éléments ne réclamaient qu’une main de fer, un exemple ferme et un but précis pour devenir une troupe de choc animée du meilleur esprit de corps.
« Alors, vous venez avec nous ! » dit Stopa, et il sembla à Feric que sa colère s’était tempérée d’une admiration comme seule il peut en exister entre vieux loups, qu’ils soient ou non voués à se combattre férocement l’instant d’après.
« Mon ami va venir avec nous aussi, dit Feric en désignant Bogel. Il n’est pas très robuste et l’air frais lui fera le plus grand bien. »
Читать дальше