Je me précipitai pour évaluer les dégâts.
« J’ai plus qu’à trouver une autre machine, dit le technicien. Putain de stupide pétasse. C’est une bécane de cinq mille dollars que j’ai là, et c’est pas le café qui va l’arrang…
— Et la bande ? » J’eus un frisson rétrospectif. Une fois, j’avais passé la bande originale avant de l’envoyer au labo de Washington. J’avais une sacrée chance que ce ne fût qu’une copie. Personne au Conseil n’aurait trop apprécié de voir une bande échapper à une collision en vol pour finir ruinée par du marc de café.
« Ça devrait aller. Je vais la rembobiner et la sécher à la main. » Il consulta sa montre. « Donnez-moi une demi-heure. »
J’acquiesçai et me retournai pour retrouver la fille, mais elle avait disparu.
10. « L’Homme qui était arrivé trop tôt »
Témoignage de Louise Baltimore.
J’ai eu un avant-goût de ce que le Conseil avait dû ressentir. J’avais dit à ces neuf génies pitoyables que ma mission était vitale pour le succès du projet et ça les avait renversés comme autant de quilles. À présent, c’était Sherman qui faisait la même chose avec moi. Je soupçonnais son autorité d’être aussi fallacieuse que naguère la mienne, mais n’osais le faire remarquer et puis… il pouvait avoir raison. Je ressentais la même crainte superstitieuse de désobéir à un message du futur.
Cela dit, j’avais tout intérêt – portée par mon souci de sécurité, d’aucuns diront ma trouille – à tenter de discuter la proposition. Lawrence et Martin n’avaient même pas ça. Eux, ils ne voyaient pas d’inconvénients, à supposer que quelqu’un dût retourner là-bas, à ce que je dirige un raid de commando vers le funeste hangar en cette nuit funeste. Ils pouvaient rester assis bien peinards tout au bout du temps, et se faire le grand plaisir de jouer aux devinettes avec moi quand je me repointerais avec un nouvel échec.
J’avais une prémonition très peu scientifique, très primitive : j’allais échouer de nouveau. Je crois que Sherman le savait.
Tout se régla très vite : il y avait juste quelques détails à aplanir.
Lawrence avait été horrifié d’apprendre mon écart avec l’objectif lorsqu’il m’avait déposé. Il fit plancher ses équipes sur le problème et bientôt fut en mesure de m’assurer qu’il pouvait me déposer dans un rayon de vingt-cinq centimètres autour de l’objectif. Je ne le croyais pas, mais à quoi bon lui dire ?
Les détails pratiques, de mon côté, étaient infiniment moins compliqués. Ce serait bien un raid de commando. Je choisis pour m’accompagner trois de mes meilleurs agents : Mandy Djakarta, Tony Louisville et Minoru Hanoi. Pas de mascarade cette fois-ci. On débarquerait comme des voleurs dans la nuit. Notre objectif : pénétrer dans le hangar, trouver le paralyseur et ressortir sans être vus.
Je confiai à Tony le choix de l’équipement et le plan d’attaque.
Je suppose qu’il avait dû subir le même bourrage de crâne que moi. Du moins avait-il vu les mêmes films. Les uniformes qu’il nous dégotta n’auraient pas été déplacés dans un film sur la Seconde Guerre mondiale. Nous étions tous vêtus de noir, avec gants et espadrilles assorties et il s’était même muni de suie à étaler sur nos visages – Mandy exceptée, qui n’en avait pas besoin.
Nous avions des ceintures pour arrimer le matériel, mais notre seul équipement était l’appareillage de détection grâce auquel on espérait localiser le paralyseur. Pas d’armes ce coup-ci. Assommer quelqu’un ne ferait qu’amplifier les problèmes.
Martin Coventry papillonnait comme une vraie mère poule pendant que nous attendions, alignés, l’entrée en congruence de la Porte. Il avait la bouche pleine de conseils de dernière minute.
« Vous serez là-bas de 11 heures à minuit. Nous voyons Smith arriver à 23 h 30 et repartir une heure plus tard. Donc, pendant une demi-heure, vous allez vous trouver dans le hangar avec lui et…
— On marchera sur des œufs », termina pour lui Minoru. « On a déjà vu tout ça, Martin. Vous voulez venir avec nous pour nous tenir la main ?
— Ça ne fait jamais de mal de tout revoir encore une fois.
— On l’a fait, Martin, lui assurai-je. C’est un grand hangar. On a un million de coins pour s’y planquer et puis, il ne sera pas très bien éclairé.
— Je suis plus préoccupé par votre côté, remarqua Tony. Si jamais il faut qu’on dégage pendant qu’il est en train de fouiner dans le coin, vous avez intérêt à ouvrir cette Porte bien gentiment sans faire de bruit.
— Je n’aime pas ça, dit Mandy. Pourquoi ne pas déposer la Porte à l’extérieur du hangar et entrer ensuite ? »
Martin prit un air douloureux. « Parce qu’il y avait des gardes en faction cette nuit-là.
— Oh ! que je n’aime pas ça ! dit Tony, sombrement.
— On n’y peut rien. Faites-nous juste confiance. Lawrence et moi, on va mettre tous les suppresseurs en action. La Porte apparaîtra à l’endroit prévu et elle arrivera sans le moindre bruit. »
On dira ce qu’on voudra, mais la Porte fut loin d’arriver aussi tranquillement que ça.
Je pouvais encore entendre les échos se réverbérer dans le hangar vide lorsqu’on y mit le pied. Je n’étais pas inquiète outre mesure puisque je savais qu’on était seuls et que le bruit n’était pas assez fort pour porter à l’extérieur de l’édifice. Mais je me rappelle avoir songé que Lawrence aurait intérêt à faire du meilleur boulot pour notre récupération.
« En plein dans le mille », murmura Mandy en montrant le sol en béton.
Elle avait raison. Ma brève incursion dans ce même bâtiment quelques heures plus tôt – ou quelque trente-neuf heures plus tôt, tout dépend du point de vue – avait été utile pour sélectionner un point d’accès et de sortie pour la Porte. Nous avions choisi l’angle nord-ouest, derrière ce qui restait de la queue du 747 et d’autres fragments importants du fuselage. L’ombre y était assez épaisse pour nous contraindre à utiliser nos lampes-crayons afin de scruter rapidement les alentours et d’éviter de trébucher sur quelque chose.
Une fois que je me fus repérée, je fis signe en silence aux trois autres de se déployer et de commencer les recherches. Je sortis moi-même mon détecteur et me dirigeai vers l’endroit où s’était trouvée l’arme lors de ma dernière visite dans le hangar.
Tous les sacs-poubelles avaient été déplacés. Logique. Ils avaient eu presque deux jours pour trier les débris et ils avaient bien avancé. Je commençai donc à chercher, rampant en silence comme un chat parmi l’amoncellement cauchemardesque des décombres.
Un quart d’heure plus tard, je rampais toujours et l’aiguille du détecteur n’avait pas frémi d’un demi-millimètre.
Je sifflai doucement et presque aussitôt mes camarades se matérialisèrent hors des ténèbres ; tête contre tête, on tint conciliabule.
« Je ne trouve rien.
— Moi non plus, dit Tony.
— Rien de rien. »
Minoru se contenta de hausser les épaules et faire non de la tête.
« Des idées, quelqu’un ?
— Ces bidules réagissent à l’alimentation du paralyseur. Peut-être qu’il est à plat.
— Ou que quelqu’un l’a sorti du hangar.
— Peu probable. » Je m’aperçus que je me mordillais l’ongle du pouce. « Il sera là dans quinze minutes. On se prend dix minutes, pour garder une marge de sécurité. Allumez vos lampes, regardez dans tous les coins possibles, ne vous en faites pas tant pour le bruit. Si on ne le retrouve pas, on se planque sous la queue pour attendre le retour de la Porte.
— On est bien partis pour faire chou blanc, pas vrai ? dit Mandy.
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