« Je crains que ces robots ne soient télécommandés, comme les grues, » dit Larry.
— « Exact, » dit Rorqual.
— « Et si nous attaquions ? »
— « Nous mourrions, » dit le navire. ARNOLD n’exprimait aucune crainte. Dans son esprit, il n’y avait pas d’alternative au combat. Il ne fuirait jamais. « Attaquons ! »
— « Mais nous ne pourrons pas les battre ! » hurla Larry, en faisant virevolter son torse autour de la table des cartes. « Il doit y avoir un autre moyen… »
— « Attaquons ! » répéta le géant.
Le gros Har et les Océanides considérèrent leurs armes fragiles, puis les formidables maches de la fourmilière sur l’écran.
— « N’existe-t-il pas un autre moyen ? » questionna Har.
Le navire éteignit l’écran. Silence. ARNOLD cligna des yeux. Il semblait sortir d’une transe : c’était ainsi que se manifestaient ses dispositions guerrières. « Quoi ? »
Rorqual fit demi-tour, en direction des îles. « Il y a peut-être un moyen. La probabilité de succès est faible mais significative. »
ARNOLD était sidéré. « Nous allons combattre ? »
— « Plus tard, » dit le bateau. « Nous avons des préparatifs à faire. »
Sur le chemin de l’archipel, ils s’arrêtèrent plusieurs fois dans de petites îles désertes, où le bateau ramassa quelques tonnes de pierres lisses et de sable. La cale se remplissait, et la ligne de flottaison du navire était de plus en plus basse.
En approchant de l’île qui était la demeure de Har, ils rencontrèrent dans la baie une flottille de canoës et de catamarans venus saluer leur victoire. Mais le comité d’accueil perdit de sa gaieté lorsque Rorqual lui ordonna de regagner le rivage.
« Jetez vos fleurs. Que les plus grands des catamarans viennent se ranger contre ma coque pour emmener les hommes d’équipage. Tout le monde doit débarquer, sauf ARNOLD. Dans les combats qui vont venir, je n’ai besoin que de mon capitaine. »
Larry contesta la décision du bateau, mais celui-ci n’en démordit pas. Adoptant peu ou prou l’apparente d’une divinité, il fit retentir sa voix comme un grondement de tonnerre sur les eaux : « J’ai apporté le guerrier à votre peuple ; il vous a laissé sa semence. À présent, nous devons aller au combat. Et nous irons seuls ! »
Le semi-humain grimpa le long de la corde jusqu’au mât du catamaran. En dessous, la foule des épouses et des enfants appelaient en pleurant leur ARNOLD. Rorqual s’éloigna, ses ponts désertés. Le docile matelot néchiffe attendit un moment avant de hisser la voile, par respect. La flottille regagna l’îlot.
ARNOLD était dans la salle des commandes, avec tout un arsenal auprès de lui : javelots néolithiques façonnés par les insulaires, pierres de jet, arcs et flèches utilisés pour la pêche, et sa fidèle bipenne. Les écrans avant lui donnèrent la position de l’ennemi. L’armada avait atteint l’horizon.
Brusquement, Rorqual vira à bâbord et mit le cap au nord, en longeant l’archipel.
« Est-ce pour éviter l’affrontement ? »
— « Pour le retarder, » dit le bateau. « Auparavant, nous devons accomplir une cérémonie. »
Ventre Blanc sortit de sa cachette. Elle portait un lavalava fleuri et tenait une fiasque de vin pourpre.
« Tu ne devrais pas te trouver ici ! » gronda ARNOLD.
— « Sa présence est nécessaire, » fit le bateau. Ventre Blanc retira son kilt coloré et monta sur la table des cartes, en cambrant le dos. Elle leva les pieds et s’étendit sur les imprimés craquetants, le nez et les orteils en l’air, les épaules en arrière et les talons joints. De la main gauche, elle versa une once du vin pourpre dans son nombril.
ARNOLD s’irrita. « Nous n’avons pas le temps de faire l’amour avant la bataille… »
— « Cette cérémonie est indispensable… Bois ! » ordonna le navire. Sa cybervoix se fit plus masculine, plus distante, impérative.
ARNOLD haussa les épaules. Il mit la main gauche sur l’épaule de la jeune femme et la droite sur son genou. Le vin était chaud et un peu salé. Elle remplit à nouveau la cavité biologique.
« Bois ! » ordonna de nouveau le bateau.
La saveur florale et fruitée était plus évidente cette fois. La troisième fois, le breuvage était plus frais.
« Bois ! »
Slurp !
Clic ! LEPTOÂME FAUCHEUX.
ARNOLD possédait huit pattes obéissantes, quatre paires coordonnées. La seconde paire oscillait dans l’air comme des antennes, écoutant, humant. Chaque patte était dotée d’une filière, comme les araignées, d’où sortaient des fils robustes. Ses yeux, de trois mètres cinquante de diamètre, clignotaient sur sa tête pareille à une tourelle. Ses pattes puissantes brassaient l’océan, soulevant des gerbes d’écume. ARNOLD était à présent un Faucheux, avec un corps de quatre cents mètres de long !
« Chef Suprême, nous avons repéré Rorqual, » annonça Poursuivant Deux .
— « Capturez-le ! » commanda Furlong depuis la fourmilière.
L’Armada fit demi-tour. ARNOLD attendait tranquillement, les jambes repliées dans le dos. Seuls ses yeux remuaient, aux aguets. Un épais banc de brume roula par-dessus sa poupe. L’hovercraft décrivit un cercle autour de lui, puis rejoignit son hangar : ennuis de moteur. Le brouillard engloutit les navires de la fourmilière.
« Tu ne pourras pas t’échapper ainsi, » fit Furlong.
Les senseurs se réglèrent pour voir au travers de la vapeur d’eau, et continuèrent à retransmettre des images à son écran. Il y eut un moment de confusion sur le pont lorsque les grutiers sortirent de leurs cabines extérieures et se rendirent aux postes de télécommande, sous le pont. Mais ils manquaient d’entraînement et seraient un peu maladroits tant qu’ils ne se seraient pas familiarisés avec les optiques du bateau. Des Bricoleurs s’occupèrent de l’hovercraft. Les archers avalaient leurs stimulants. Les robots-tueurs se mirent en mouvement.
ARNOLD-FAUCHEUX écoutait les conversations qui lui parvenaient des navires de la fourmilière. Il se tapit dans le brouillard.
« Essayez d’encercler le Moissonneur, » dit Furlong. « Je ne veux pas qu’il nous échappe, cette fois-ci. Si vous pouvez vous approcher suffisamment, enclenchez les grues avant et attendez les autres bateaux avant de tenter l’abordage. Nous ne savons pas combien d’Océanides peuvent se trouver à bord. Rappelez-vous, ce bateau peut en transporter jusqu’à dix mille ! »
ARNOLD attendait, sa seconde paire de pattes dressée en l’air, sur le qui-vive. Un vaisseau approchait lentement. Les autres entreprirent une rapide manœuvre d’encerclement. Ils demeuraient à huit kilomètres de distance, en arc de cercle. Il se tourna vers le navire qui se rapprochait. Ses grues compactes s’ouvrirent : distance, 880 mètres : la longueur de deux bâtiments.
ARNOLD fouetta l’eau de ses huit pattes, se précipitant en avant. Il planta la D-1 sur le pont avant de l’ennemi pour repousser les pinces ; la G-1 cracha un jet de polymère visqueux pour prendre au lasso les grues adverses. Les grutiers néchiffes se démenaient aux commandes, mais le Faucheux était vif et agile, et il les ficela en un paquet bien net. Les escadrons de guerriers grouillaient sur les ponts, telles des fourmis, et couraient en rond dans le brouillard.
« Mettez-vous en formation ! À l’abordage ! »
ARNOLD posa ses deux premières paires de pattes sur le pont principal du vaisseau de chasse et se souleva hors de l’eau. Le bateau ennemi donna sèchement de la bande. ARNOLD s’enfonça davantage dans l’eau, et en avala une goulée.
Furlong bondit sur ses pieds. « Rorqual a éperonné Poursuivant Deux ! Ils coulent ! Allez vite les repêcher ! »
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