« La fourmilière a repris la mer ! » dit Rorqual. « La famille de Palourde a été tuée. »
— « Et sans doute aussi la plupart des Océanides du Récif du Kilomètre Trois, » ajouta ARNOLD.
Larry était soucieux. « Ces grappins-robots semblent avoir été spécialement conçus pour détruire les dômes. Je crains que nous n’ayons sous-estimé l’opiniâtreté de la fourmilière. Elle veut absolument nous anéantir. »
— « C’est nous qui allons la détruire, » marmotta le gros Har.
Les hommes se rassemblèrent sur le pont, parlant de guerre. Le navire écoutait.
« Une guerre avec la fourmilière n’est pas possible, » dit Rorqual. « Elle recouvre les continents, avec son système nerveux unique et ses 3,5 X 10 12Citoyens. Le Département Embryo produit 5 X io 8unités par jour. Ils peuvent fabriquer une copie d’ARNOLD en dix ans, et une de Rorqual en cinq. Vous êtes peu nombreux et dispersés. Vous ne possédez ni machines volantes ni explosifs. Vous n’avez pas d’armée. »
Har agita le poing. « Il faut qu’ils paient. Les gens du Kilomètre Trois étaient des nôtres. »
Palourde désigna le harpon brisé. « Cet océan est à nous. Je tuerai toute créature de la fourmilière qui s’y aventurera. »
ARNOLD approuva. « Il faut détruire le bateau de la fourmilière. »
— « Je vais envoyer des garçons sur les îles voisines, » dit le gros Har. « Nous devons pouvoir réunir vingt ou trente hommes. S’il se trouve quelques ARNOLD Inférieurs sur le navire de la fourmilière, nous pourrons en venir à bout avec des haches et des lances. »
Les voisins commencèrent à arriver, avec leurs outils néolithiques transformés en armes rudimentaires. Ce n’étaient pour la plupart que des adolescents, enthousiastes et naïfs. En tout, on compta dix-huit mâles et quatorze femelles solidement bâties. Ils ressentaient vivement l’atrocité commise au Kilomètre Trois. On laissa à terre les enfants et les femmes enceintes.
L’Homme aux écouteurs, un autre survivant du Récif, était parvenu à rejoindre le Récif Sud. Il raconta son histoire à un petit groupe réuni dans le Grand Dôme.
« Ce sont uniquement nos dômes qu’ils détruisent. Leurs armes peuvent reconnaître les dômes qui abritent des Océanides. Ils n’attaquent que ceux-là. »
Nez Tordu, une femelle pourvue de neuf enfants, se tourna vers son fils presque adulte, Couteau, et demanda : « Comment ont-ils fait ? »
Couteau était l’expert de la tribu. Il avait passé un jour entier caché dans les jardins, à observer un poteau-sentinelle. Ensuite, il avait fourni un rapport détaillé aux Prêtres des Abysses. « La fourmilière possède un tas de petits yeux et de petites oreilles. Certains voient et entendent mieux que les nôtres, d’autres moins bien. Je pense que nous devrions essayer de faire ressembler le plus possible nos dômes à des dômes morts. Si ces yeux sous-marins sont moins bons que les nôtres, il doit nous être possible de dissimuler nos habitations. »
L’Homme aux écouteurs acquiesça. « Mais nous n’avons peut-être pas beaucoup de temps. »
Le jeune Couteau sortit avec un petit groupe dans les eaux troubles. Quand ils revinrent, ils se mirent à parler tous ensemble.’
« Il faut réduire les bulles d’air. »
— « C’est la lumière. Nous ne devons plus nous servir que de la bioluminescence naturelle. »
— « C’est la chaleur. Les dômes chauds indiquent la présence d’une famille. »
— « Non, c’est l’écume marine. Les dômes morts sont recouverts d’algues et de créatures sessiles. Nous devons camoufler nos maisons sous des oursins, des algues et des étoiles de mer. »
Nez Tordu leva les mains pour les faire taire. Elle fit signe à son fils de poursuivre. « Toutes ces suggestions sont valables. Nous devons tout essayer. Il faut éteindre les réchauffeurs et les lumières des dômes. La plupart des dômes, avec leur cerveau de classe onze, collaboreront certainement. Les autres devront être évacués, pour le moment. Je pense que les femmes pourraient tresser une bâche d’algues pour recouvrir l’épiderme des dômes. Les animaux à ventouses et à byssus ne se fixeront pas sur la surface nue d’un dôme vivant. »
— « Je vais monter un réseau dans l’un des dômes du niveau deux. Nous pourrons peut-être ainsi les entendre venir, » dit l’Homme aux écouteurs.
Furlong était assis devant son écran, dans la salle du Conseil. Les autres membres avaient été révoqués.
« Êtes-vous sûr qu’il n’y a plus d’Océanides ? »
Le visage sur l’écran était vide d’expression ; c’était celui du docile capitaine de Poursuivant Deux. « Nous sommes passés trois fois au-dessus de cette zone que les cartes désignent comme le Récif Sud. Pas un dôme n’est vivant. »
Furlong contempla les photos. « On en a pourtant signalé dans les jardins, tout le long de la côte, à cet endroit. Ils doivent bien se trouver quelque part par-là. »
— « Désolé, monsieur. Il n’y a aucune trace. »
Le C.U. leur indiqua une nouvelle zone de recherches.
Rorqual glissait silencieusement sous l’horizon. « Nous devons éviter d’entrer en contact avant d’avoir vu comment ils ont armé ce bateau. La fourmilière a passé deux ans à le construire. La défaite infligée à Poursuivant Un a dû leur servir de leçon. »
ARNOLD était impatient. « Fonçons-leur plutôt dedans et écrabouillons-les avant qu’ils sachent ce qui se passe. »
— « Ils me détecteraient à peu près en même temps que je pourrais le faire. Je présume que nos senseurs sont similaires. »
Larry opina. « La fourmilière n’a fait aucun progrès en ce domaine au cours des mille dernières années. Au contraire, ils seraient plutôt en régression. »
— « O.K. ! » ARNOLD. « Ouvre ta longue oreille. Vois si tu peux capter quelque chose. Larry, comment as-tu organisé nos forces ? »
— « Six escadrons, un sur chaque pont et deux en réserve. Trois remplaçants pour les grutiers. »
— « Parfait. »
— « Annulez ça, » dit le bateau.
— « Comment ? » fit ARNOLD, surpris.
— « Annulez ce plan de bataille. Il échouera. Voici ce que j’ai pu capter des émissions de l’Armada. »
— « L’Armada ? » bégaya Larry, suffoqué.
L’écran se divisa en quatre portions. Chacune montrait une image différente d’un ensemble de bateaux. Il leur fallut le temps de comparer pour s’apercevoir que chaque vue était prise par le senseur d’un bateau différent.
« Regardez-moi ces grues ! Elles doivent être deux fois plus grandes que les nôtres ! » s’exclama Larry. « Et les grues avant sont aussi épaisses que des capsules de fret. »
— « Quatre navires ! » murmura le gros Har. « Eh bien ! s’il n’y a pas d’ARNOLD à bord, nous avons peut-être une chance… »
Les bateaux de la fourmilière paraissaient se livrer à des simulacres de combat. Deux d’entre eux se retirèrent de la bataille pour effectuer des manœuvres avec les grues. Lorsqu’ils enclenchèrent les grues compactes de l’avant, tout le vaisseau trembla. Les grues arrière au long cou lancèrent des charges explosives à cinq kilomètres. Des champignons de vapeur trouèrent la surface, aux points d’impact. Larry et les Océanides sombrèrent dans le désespoir. Seul ARNOLD restait optimiste.
« Nous sommes plus grands, plus forts, plus rapides, » dit le géant. « Si nous pouvons aborder un de ces navires… »
— « Négatif, » fit Rorqual.
Sur l’écran apparurent deux robots armés faisant tournoyer des casse-tête garnis de pointes. Les machines étaient lentes, maladroites, mais il y en avait toute une foule qui s’exerçaient sur le pont central. Certaines semblaient peser plus d’une tonne, manifestement trop grosses pour qu’un Océanide puisse les vaincre avec un javelot artisanal.
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