Les anges s’entre-regardèrent et haussèrent les épaules.
— « Tu as raison, bien sûr, » dit l’un d’eux. « Nous ne pouvons tirer notre oxygène de l’eau de mer. Il nous faudrait un rythme respiratoire de plus de cinq cents, ce qui est impossible sans un système d’écoulement branchial. Nous transportons notre oxygène sous forme liquide. » Il tendit à Larry un container léger, d’une capacité d’un litre : une bouteille thermos à double paroi. Chaque ange portait quatre bouteilles accrochées à son harnais, entre les ailes. Larry tourna doucement la valve et sentit sur son doigt un gaz glacé. « Nous avons pour plus de dix heures de respiration dans une bouteille. Cela s’écoule dans les veines des ailes sous forme de bulles et nous avalons les bulles en respirant. »
Larry hocha la tête, puis prit une expression stupéfaite. « Mais alors pourquoi utiliser les ailes ? »
— « Elles éliminent le gaz carbonique. Il est parfaitement soluble dans l’eau. Et aussi, grâce à la respiration aquatique, nous ne tenons aucun compte de la profondeur ni du temps de plongée. Nous ne craignons ni le mal des caissons, ni la narcose des profondeurs, ni l’éclatement. Il existe d’autres périls, mais en plongeant toujours à deux, nous avons évité la plupart d’entre eux. »
Larry tapota le pupitre de Rorqual. « Tu enregistres tout ça ? »
— « Oui. Mes informations sur la science des profondeurs étaient rares. Nos tentatives de capturer un Océanide au filet étaient stupides. »
L’ange acquiesça. « Nous les tenons pour des actes d’hostilité. »
Rorqual déroula des câbles pour marquer l’emplacement des principaux fragments du bateau de la fourmilière. Avec ses grappins à tenailles, il essaya à plusieurs reprises de les hisser, mais ne réussit qu’à déchiqueter davantage les épaves. Sous la direction de Larry, ARNOLD effectua une plongée d’essai réussie, avec les ailes. Il augmenta l’arrivée d’oxygène jusqu’à ce que la sensation d’étouffement soit passée. Ils installèrent une ligne de senseurs afin que Larry puisse parler avec le géant. Même avec un larynx rempli d’eau, ARNOLD parvenait à produire de simples grognements pour « oui », « non », et « au secours ».
Larry observait sur l’écran la descente d’ARNOLD accompagné d’un ange, tandis que le second ange visitait l’installation de Rorqual, inspectait les dispositifs de récolte et de digestion. La cale, d’une contenance de cent mille tonnes, l’impressionna fort. L’ange regagna la salle des commandes avec ses deux guides, des Électrotechs.
« À quelle profondeur sont-ils ? »
— « Quatre-vingt-quinze brasses, » dit Larry. « Et tout va bien. ARNOLD est très doué, sans nul doute.
Il m’a fallu quatre ans pour m’habituer à des plongées à vingt-cinq brasses de fond. Et regardez-le escalader ces épaves. Comment ça va, ARNOLD ? » demanda-t-il en approchant son visage de l’écran.
— « Mmmmmm ! » répondit le géant. Il désigna un amas d’épaves flottant contre le plafond de la cabine inondée qu’ils étaient en train d’explorer. Il cueillit quelques objets dans ce fatras et les tint devant les optiques. Le bateau enregistra et produisit des copies imprimées.
« Ça ressemble à des fichiers du personnel. Essaie ailleurs. »
— « Mmmmmm ! »
Ils posèrent des pinces sur les blocs moteurs. Rorqual les récupéra. Quatre heures plus tard, ils remontèrent pour prendre un repas chaud. À la tombée du jour, ils redescendirent, munis de puissantes lampes et examinèrent une autre partie de la coque fracassée.
« Ça doit être l’atelier des machines, » observa Larry. Il sauta de la table et traversa la cabine en se dandinant sur les mains. « Trilobite ! va rejoindre ARNOLD et vois si tu trouves quelque chose qui pourrait, nous servir. On dirait que la fourmilière voulait terminer d’équiper ce Moissonneur pendant qu’il était en mer. L’atelier est très bien fourni. »
La petite mache-pelle rejoignit les plongeurs. Larry se rendit sur le pont avant pour surveiller les grues qui remontaient les pièces de récupération. Des hommes de pont s’affairaient autour des pièces les plus grosses, pour la plupart des robots de classe neuf ou dix destinés à l’assemblage et au fraisage.
« Pas mal de dégâts causés par l’eau et l’explosion, » dit un tech, « mais je pense que ces machines nous seront utiles si nous devons effectuer des réparations en mer. »
Les Électrotechs posèrent des câbles neuraux sur chaque mache récupérée, pour permettre à Rorqual des interviews en profondeur. Beaucoup d’entre elles étaient trop endommagées pour de simples conversations audio-vocales.
« Rappelez les plongeurs, » dit Rorqual. « Je crois que nous avons trouvé ce que nous cherchions. »
ARNOLD s’appuya faiblement contre la bobine d’une grue et sirota son cocktail stimulant. Le magasin de mémoire du bateau avait été accouplé aux senseurs de pont de Rorqual.
« Le cerveau est un peu brouillé, après le sabordage, mais nous avons trouvé quelques pistes de mémoire intéressantes, » dit le navire. « Écoutez. »
« … assemblage par vaporisation… composé matriciel métallique… »
— « Ce n’est pas la bonne piste. Essayons à nouveau. »
— « Les sucres amino-acides à l’état naturel… »
— « Nous nous rapprochons. Il a emmagasiné une quantité de théories, dans le but de concevoir toutes sortes de maches, dont certaines travaillaient à la fabrication de la nourriture. Je vais essayer de l’orienter vers notre pain aux quinze acides. »
Le magasin de mémoire bredouilla : « Acides aminés… Spectres d’absorption des U.V… cent quatre-vingt-cinq réactifs de la ninhydrine et leurs positions chroma-tographiques… »
« C’est ça ! » hurla ARNOLD. « Imprime ! » ARNOLD attendit fébrilement, tandis que les techs montaient le nouveau système d’hydrolyse des protéines, avec un chromatographe à débit continu d’acides aminés. Des filtres réglables isolaient les quinze acides essentiels. Du bouillon de plancton chauffait dans une solution en mouvement, pour fragmenter les protéines. La Médimache préleva une goutte du sérum sanguin d’ARNOLD pour savoir lesquels des quinze acides étaient au taux le plus bas ; quinze aiguilles tracèrent avec des nutriments leur signature sur la croûte du pain frais. ARNOLD contemplait la miche à la forme allongée. Certains de ces tracés étaient plus sombres que les autres. C’étaient les acides aminés dont il avait le plus besoin, ceux qui étaient présents dans son sérum en quantité moindre. Il mangea. « Je ne sens aucune différence. »
— « Cela prend un certain temps. Essaie de faire une sieste après le repas. »
Le géant dévora le menu prescrit, puis dormit. Larry et les deux anges allèrent sur le pont. Les Réparateurs finissaient de remettre en état le bateau, qui avait beaucoup souffert de la bataille. La réfection des antiques circuits corrodés avançait rapidement, et pour ce faire on avait découpé de larges portions de l’épiderme de Rorqual.
« Merci d’être restés pour nous aider à réaliser la chromatographie. Je n’ai jamais pu différencier la phase porteuse des solvants de la phase stationnaire, » dit le semi-humain. Il grimpa sur le parapet.
— « Nos motivations sont purement égoïstes. Comme la fourmilière s’intéresse à nouveau à nos mers, nous avons besoin d’un guerrier plein de force. »
Larry déplaça son torse, attentif.
« Rorqual peut constituer un important moyen d’approvisionnement, » poursuivit l’ange. « Les Océanides connaîtraient la prospérité. »
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