« Nous avons réussi ! » s’écria Larry en souriant. « Le cocon se défait et nous les distançons. »
ARNOLD sourit faiblement, tandis qu’un déluge de flèches s’abattait sur la poupe, sans atteindre personne. Il se courba lentement et épousseta les débris, l’air absent. Les Réparateurs arrivèrent.
Trilobite Ferreux émergea et monta dans sa niche pour participer.
« J’ai suivi la bataille, caché sous leur quille. Le bateau est muni d’un moteur intercepteur, mais il n’a pas de cerveau, » rendit compte la petite mache.
Larry observait le géant, dont les mouvements trahissaient la faiblesse maintenant que les effets adrénergiques de la bataille se dissipaient. « En manuel ! Il devrait nous être possible de les capturer, avec nos grues et l’ardeur qui commence à se manifester chez les hommes d’équipage. Tâche de te reposer un peu, ARNOLD. Je vais décharger le reste de la cargaison et courir après ce vaisseau chasseur. Avec tous ces ARNOLD Inférieurs à bord, ils ont dû emporter une quantité de pain. Je vais le prendre à l’abordage et demander une rançon. Ils ont perdu beaucoup d’hommes, mais il doit encore en rester plusieurs centaines. Rorqual ! En chasse, mon vieux. »
Le Batteur présidait une séance exceptionnelle. Des instantanés pris au cours des combats circulaient autour de la table.
« Il est clair que l’ARNOLD s’affaiblit. Le temps de réaction est nettement supérieur à sa moyenne. Pourquoi nos ARNOLD Inférieurs n’en sont-ils pas venus à bout ? » demanda la Sûreté.
Le Batteur agita les bras en un geste d’impuissance. « Il a esquivé nos guerriers, il s’est servi de grues. Et il n’a affronté les chasseurs qu’après les avoir pris au piège, pour combattre au corps à corps. »
Le C.U. ajouta : « Une stratégie d’une telle pénétration donne à penser qu’il a fait des progrès en dépit de son taux d’azote négatif… ou… qu’on l’a aidé. »
— « Qui ? »
— « Beaucoup de gens ont fui la fourmilière. »
Le Batteur hocha la tête. La liste aurait été longue. Certains de ces fugitifs avaient dû survivre, nécessairement. Il était évident que les navires de chasse devraient être équipés de grues à l’avenir, des grues robustes et de grande dimension.
Le bruit des sirènes de’ Poursuivant Un fit sursauter les membres du Conseil. Rorqual l’avait contourné, était passé devant lui, lui barrant la route vers le rivage. Le navire de la fourmilière vira brusquement, perdant de la vitesse, et mit le cap au nord.
« Comment ont-ils pu prendre une telle vitesse ? » demanda l’homme de la Sûreté.
— « Regardez la ligne de flottaison. Ils ont déchargé leur cargaison. »
— « Que veulent-ils ? »
Le C.U. enregistra la poursuite. Rorqual continuait la traque. Chaque fois que le bateau de la fourmilière virait de bord, Rorqual suivait l’hypoténuse et le rattrapait. Leurs vitesses étaient voisines, mais, de toute évidence, ils s’éloignaient de plus en plus vers le large. Il n’y avait aucun endroit où se cacher. Lorsqu’ils se heurteraient, l’issue était prévisible. Rorqual avait des grues, lui.
« Il semble que les Océanides soient sur le point de doubler l’importance de leur flotte, » dit le C.U.
Le Batteur fut sidéré par cette extrapolation.
— « Mais le bateau est toujours sous notre contrôle. N’y a-t-il rien que nous puissions faire ? »
— « Nous avons vu ce qu’ils peuvent faire avec leurs grues. Les probabilités sont faibles. Notre navire est perdu. »
Le Batteur considéra les diverses possibilités qui s’offraient. Il aurait aimé saborder le navire et livrer l’équipage. Mais si Rorqual parvenait à planter des grappins, ils réussiraient quand même à renflouer le navire. Il parcourut le cercle des visages, quêtant une aide.
« Nous n’avons pas beaucoup de temps, » rappela l’homme de la Sûreté.
— « Je ne peux pas faire ça ! » gémit le Batteur, en déposant son insigne d’or sur la table.
— « Il nous faut un nouveau président, dans ce cas, et d’ici moins d’une heure. »
Le Batteur soupira et quitta la salle. Il rencontra Furlong dans le couloir.
« Profite bien de ton Distributeur. »
— « Merci, » dit Furlong, en astiquant son emblème de Bélier.
ARNOLD se pencha par le sabord avant et regarda la poupe de Poursuivant Un qui se rapprochait. Au-dessus de lui, les grues avant étaient armées de rouleaux de cordes de jet.
« Nous aurons ton pain d’ici le coucher du soleil, » fit Larry en souriant. Un jet de fumée noire entoura le bateau de la fourmilière. La mâchoire de Larry s’affaissa. Trois battements de cœur plus tard, il entendit comme un craquement de tonnerre.
« Ces charges ont dû être posées par des experts. Le bateau est déjà en morceaux. » Larry traîna son torse jusqu’au sabord et s’appuya contre le châssis. « Je n’aurais jamais pensé que la fourmilière irait aussi loin pour t’empêcher de te procurer ton pain. Pourquoi souris-tu ? Ne te rends-tu pas compte que ta mort est proche ? »
ARNOLD se contenta de hausser les épaules : « Je ne suis pas si bas si la fourmilière me redoute au point de tuer un équipage entier plutôt que de laisser quelques boules de pain tomber entre mes mains. »
Larry hocha la tête.
Ils se rendirent sur les lieux du naufrage. Des cadavres en gilet de sauvetage parsemaient l’eau : des victimes de l’explosion. Les senseurs montrèrent plusieurs épaves, des masses irrégulières qui coulaient vers le fond. Trilobite sortit de sa niche et plongea pour aller examiner les débris.
« Cherche les magasins à vivres, » dit Larry.
La petite mache en forme de pelle suivit la piste de débris flottants et de bulles. Elle s’arrêta en croisant les deux anges. Ils lui signifièrent qu’ils désiraient monter à la surface. Il les mena vers Rorqual, Après un bref échange d’explications, Larry les invita à venir à bord. Ils semblaient impatients de rencontrer ARNOLD.
« Ainsi, tu as détruit un vaisseau de la fourmilière, et à présent tu recherches une compagne parmi notre peuple ? »
ARNOLD acquiesça. « Mais… je m’affaiblis, faute d’un pain spécial qui se trouve peut-être sur le bateau coulé. »
— « Une fois que tu auras appris à respirer sous l’eau, tu pourras aller fouiller toi-même cette épave. »
ARNOLD secoua la tête et raconta la mésaventure qui lui était survenue lors de la plongée précédente. « Ça ne m’est pas possible. Quand je suis remonté, la dernière fois, j’avais très mal ; à cause des emboles, a dit le bateau. Ça a bien failli me tuer. »
— « Des emboles d’azote ; le mal des caissons, » expliqua le vieil ange. « Tu respirais des gaz, oxygène et azote, et l’augmentation de la pression a permis à davantage de molécules gazeuses de pénétrer dans les fluides de ton organisme. Avec la décompression, les gaz s’évacuent. Si tu remontes trop vite, les molécules d’azote dissoutes dans le sang forment des bulles, au lieu de ressortir par les poumons. Les bulles obstruent les petits capillaires ; c’est ce qu’on appelle les emboles, et elles peuvent détruire certaines parties de l’organisme. C’est plus grave lorsque les capillaires obstrués se trouvent dans le cœur ou le cerveau. »
— « Je sais. Je boitille encore. » L’ange lui offrit un chalumeau débordant.
— « Avec ces ailes, tu n’auras plus à te soucier du mal des caissons. Tu respireras des liquides, et non des gaz. »
Larry fit bruire les ailes en examinant leurs membranes, des tubes transparents en sandwich. « Je ne pense pas que leur superficie soit suffisante pour lui, loin s’en faut. Elles n’ont que dix mètres carrés de surface environ. Nos poumons en ont plus d’une centaine, et nous respirons de l’air. L’air contient trente fois plus d’oxygène que l’eau, donc ces ailes devraient être beaucoup plus grandes… trois cents fois plus, à peu près. »
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