Robert Wilson - À travers temps

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À travers temps: краткое содержание, описание и аннотация

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Août 1964 : Le voyageur temporel Ben Collier s’installe à Belltower, au nord-ouest des États-Unis, dans une maison de cèdre qui cache bien des secrets.
Avril 1979 : Le soldat Billy Gargullo débarque d’une Amérique future à feu et à sang, dont toute la filière agricole est à l’agonie. Après avoir éliminé le gardien de l’avant-poste de Belltower, il disparaît encore plus profondément dans le passé.
1989 : Récemment licencié, largué par sa compagne,Tom Winter revient dans sa ville natale, Belltower, où il acquiert une banale maison en cèdre.
Un soir, sa petite télé à cent dollars s’allume toute seule et n’affiche plus que le message : « Aidez-moi. »

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Il remonta en voiture et reprit la direction de Belltower.

Il repartit vers ce qui constituait désormais le dérisoire mystère central de sa vie : Joyce.

Il la retrouva sur Post Road, qu’elle montait à pied pour se rendre dans la petite épicerie près de la nationale.

Il immobilisa la voiture et ouvrit la portière passager. Joyce grimpa à bord.

D’après les calculs de Tom, elle avait eu cinquante ans en février. Elle avait pris du poids, des rides, des cheveux gris. Elle portait un jean passé un peu trop serré aux hanches ainsi qu’un sweat-shirt jaune banal et elle avait enfilé des tennis pour la longue montée sur la route. Les marques du temps, se dit Tom. Elle avait la voix rauque et un peu moins aiguë que dans son souvenir : l’effet du temps, peut-être, ou d’une vie difficile. Ses yeux incitaient à privilégier la seconde hypothèse.

Elle le regarda avec circonspection. « Je n’étais pas sûre que tu reviendrais.

— Moi non plus.

— Tu comptes toujours quitter la ville ? »

Il hocha la tête.

« Je me demandais si on pourrait avoir une discussion.

— On peut, dit Tom.

— Tu n’étais pas trop là. Enfin bref. Ça a dû te faire un choc, de me voir comme ça. »

C’était le cas, néanmoins cela aurait été une chose affreuse à dire. Il lui affirma qu’elle avait bonne mine. « J’ai l’air d’avoir mon âge, pour le meilleur ou pour le pire, répliqua-t-elle. J’ai vécu ces vingt-sept ans, Tom. Je sais à quoi m’attendre en regardant dans un miroir. Quand tu t’es réveillé, tu t’attendais à autre chose.

— Tu es partie, dit-il. Sans me laisser l’occasion de te dire au revoir.

— Je suis partie dès que j’ai su que tu irais bien. Tu veux savoir comment ça s’est passé ? » Elle se rencogna dans le siège et plongea son regard dans le ciel bleu de septembre. « Je suis partie parce que le lien entre nous ne m’inspirait pas confiance. Je suis partie parce que je ne voulais pas être un accident de la nature, ici… ou t’en faire devenir un, là-bas. Je suis partie parce que j’avais peur et que je voulais rentrer chez moi.

« Je suis partie parce que Ben m’a dit que le tunnel serait réparé et que le choix que je ferais devrait être définitif. Et donc… retour à Manhattan, retour en 1962. On pense toujours qu’on peut recommencer, mais il se trouve que non. Lawrence était mort. Ça changeait les choses. Et j’étais venue ici, j’avais jeté un coup d’œil à l’avenir. Même un tout petit, ça vous change. Tiens, tu te souviens de Jerry Soderman ? Celui qui écrivait des bouquins que personne ne voulait publier ? Il a pas mal réussi comme éditeur de littérature générale, il est même parvenu à se faire publier dans les années 1970… des romans littéraires que pas grand monde ne lisait, mais dont il était vraiment fier. Quelques mois après mon retour, Jerry m’annonce qu’il est homo, qu’il préfère être franc à ce sujet. Bon, très bien, mais la seule pensée qui m’est venue à l’esprit a été : Hé, Jerry, quand on arrivera vers 1976, il vaudra mieux que tu fasses gaffe. Je lui ai téléphoné à cette époque-là, d’ailleurs, alors que je ne lui avais pas parlé depuis des années.

Je lui ai dit : Jerry, il y a une maladie qui traîne, voilà comment te protéger. Il m’a répondu : Non, il n’y en a pas, et puis qu’est-ce que tu en sais, toi ? Bref… Jerry est mort il y a deux ans.

— Je suis désolé.

— Ce n’est ni ta faute, ni la sienne, ni la mienne. Toujours est-il que je ne pouvais pas faire comme s’il ne s’était rien passé avec toi, moi et cet endroit. J’ai essayé ! Vraiment. J’ai essayé toutes les bonnes manières d’oublier. Et j’ai vécu ma vie. Je suis restée mariée cinq ans. Le type était bien, pas le mariage. J’ai fait des chœurs en professionnelle, sauf que ce n’était pas la bonne époque… J’ai bu un moment, ce qui m’a plus ou moins bousillé la voix. Et puis, j’ai manifesté, tu sais, pour les droits civiques, contre la guerre, pour un air propre. Quand les choses se sont stabilisées, j’ai pris un boulot de secrétaire dans un cabinet d’avocats en ville. Horaires de bureau, paye régulière, congés annuels, j’y serais encore si je n’avais pas démissionné histoire de m’acheter un billet d’avion pour l’ouest. C’est incroyable, car pendant très longtemps, je me suis juré de ne pas le faire. Ce qui s’est passé ici était terminé. J’étais partie, j’avais pris ma décision. Mais je me souvenais de la date du journal que j’ai lu dans ton jardin. Chaque mois d’août, je notais l’anniversaire, si on peut dire. Et puis, les deux dernières années, j’ai commencé à surveiller les calendriers comme on surveille une horloge. J’ai regardé la date approcher petit à petit. Cet hiver, je passais la Saint-Sylvestre seule chez moi, en femme seule et presque quinquagénaire. J’ai ouvert une bouteille de champagne, et à minuit, je me suis dit : et puis merde, j’y vais.

« J’ai acheté les billets d’avion six mois à l’avance. J’ai prévenu mon employeur. Je ne sais pas ce que j’espérais ou m’attendais à trouver, mais je le voulais vraiment. Bon, le vol a eu du retard. J’ai raté ma correspondance à Chicago et j’ai dû passer la nuit à l’aéroport. En arrivant à Seattle, c’était déjà le matin, et le journal, celui dont je me souvenais, me narguait dans les distributeurs. J’ai loué une voiture et j’ai roulé trop vite sur la route côtière. J’ai crevé, et changer le pneu m’a pris beaucoup de temps. Ensuite, en arrivant à Belltower, je ne trouvais plus la maison. Impossible de me souvenir du nom de la route. Je croyais sans doute trouver des panneaux indicateurs genre “DIRECTION DE LA MACHINE TEMPORELLE”. J’ai demandé dans deux stations-service, j’ai étudié un plan jusqu’à ce que les yeux me sortent de la tête. Pour finir, je me suis arrêtée dans un petit resto de nuit boire un café, et quand la serveuse s’est approchée, je lui ai demandé si elle connaissait un Tom Winter ou une Cathy Simmons. Elle m’a dit que non, mais qu’il y avait une Peggy Simmons sur Post Road, est-ce qu’elle n’avait pas une petite-fille appelée Cathy ? Je lui ai filé vingt dollars et j’ai foncé ici. J’ai surpris le méchant dans mes phares et je n’ai pas pu m’en empêcher, Tom : après toutes ces années, il ressemblait encore à la mort. Je me suis souvenue de Lawrence dans un mauvais cercueil d’un funérarium de Brooklyn, où vivaient ses parents, j’en souffrais encore, après toutes ces années. Alors j’ai donné un coup de volant. Je pleurais quand je l’ai heurté.

— Tu m’as sauvé la vie.

— Je t’ai sauvé la vie, j’ai continué jusqu’en bas de la route, j’ai pris une chambre d’hôtel et je suis restée à trembler sur le lit jusqu’à midi. Heure à laquelle mon moi plus jeune était rentré chez lui.

— Alors tu es revenue, dit Tom.

— Ce qui a foutu une sacrée frousse à Doug et Cathy. Ben, par contre, n’a pas vraiment semblé surpris.

— Tu voulais encore quelque chose.

— Je ne sais pas ce que je voulais. Je crois que je voulais te regarder. Juste te regarder. Ça n’a aucun sens, si ? J’ai rarement cessé de penser à toi pendant ces trente dernières années. À toi et à ce que nous étions. À ce que nous aurions pu être. À me demander si je devais t’aimer ou te détester pour tout ça. »

Il entendit la lassitude dans sa voix. « Tu es arrivée à une conclusion ?

— Aucune. Juste à des souvenirs en chair et en os. Désolée si je t’ai fait flipper.

— C’est moi qui devrais m’excuser. »

Il arriva sur le parking à l’arrière du magasin d’alimentation et s’arrêta à un endroit où le soleil brillait entre les grands pins. Tom décida que cette femme était Joyce, indubitablement Joyce malgré tous les changements, qu’il était tombé sur un miracle supplémentaire, aussi impitoyable et aussi bizarre que les autres.

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